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Nicolas Bonnemaison, fragile "docteur jusqu'au bout des doigts"

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'ex-urgentiste de Bayonne Nicolas Bonnemaison à son arrivée au tribunal de Pau (Pyrénées-Atlantiques), le 11 juin 2014. (NICOLAS TUCAT / AFP)

L'urgentiste de Bayonne est poursuivi pour "empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables". Il est accusé d'avoir "abrégé" les souffrances de sept patients en fin de vie sans consulter ni familles ni équipe médicale.

La médecine, c’est "toute sa vie". Radié de l'ordre des médecins en avril, Nicolas Bonnemaison, 53 ans, comparaît depuis mercredi 11 juin, et jusqu'au 27, devant la cour d'assises de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Il est poursuivi pour "empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables". Entre mars 2010 et juillet 2011, cinq femmes et deux hommes en fin de vie, hospitalisés dans une unité du service des urgences de l'hôpital de Bayonne, sont mortes peu après leur admission.

Les soignants, sa "deuxième famille"

Il a resserré son nœud de cravate, rasé ses rouflaquettes, coupé les boucles brunes qui lui tombaient sur la nuque et troqué ses lunettes rectangulaires pour d'autres, plus rondes. Sa radiation ? "Une grande souffrance dont [il] ne [se] remet pas""C'est un docteur jusqu'au bout des doigts, jusqu'au bout des ongles", martèle sa femme à la barre. 

"Aussi longtemps qu[’il] s’en souvienne", Nicolas Bonnemaison, fils d'un chirurgien et d'une infirmière, a toujours voulu être médecin. Enfant, il fait ses devoirs dans les locaux de la clinique de son père, auprès duquel il joue de temps à autre l'assistant au bloc opératoire. Il fait "des soignants sa 'deuxième famille'", raconte un blog spécialisé de l'hebdomadaire La Vie. Adolescent, il redouble une année pour être admis en section scientifique. Puis triple sa première année de médecine pour décrocher le concours. 

L'urgentiste débute en 1989 à l'hôpital de Bayonne. "A l'époque, l'accès aux soins palliatifs commence à peine en France", note Le Parisien (lien abonnés). En 1993, Nicolas Bonnemaison consacre sa thèse de médecine à l’analyse d’une enquête portant sur la perception, le vécu et l’isolement des soignants face à la fin de vie.

Un "très bon chef de service", "humain"

C'est aussi à l'hôpital qu'il rencontre sa femme, Julie, avec qui il a deux filles. C'est à l'hôpital encore qu'il entretient une relation extraconjugale, entre 2007 et 2009, avec la surveillante du service. Une situation qui rappelle celle de son père : celui-ci annonce à sa famille avoir une maîtresse, divorce, démarre une nouvelle vie avant de se suicider à 58 ans en se sectionnant l'artère fémorale, en janvier 1987. "C'est ma sœur qui l'a découvert", raconte Nicolas Bonnemaison, cité par France culture. Une sœur qui souffre de troubles bipolaires et se suicide, après de nombreuses tentatives, en 2012. 

Nicolas Bonnemaison ne se remettra jamais vraiment de la mort de son modèle de père. A plusieurs reprises, l'urgentiste, qui prend toujours des antidépresseurs, doit arrêter son activité et séjourne en maison de repos. Quand il revient après plusieurs mois de congé maladie en 2010, il n'est plus chef de l'unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD). Mais il continue à travailler dans ce service de huit lits destinés à des patients en attente de transfert et qu'il a contribué à créer en 2005. "J'étais en capacité de le faire", maintient-il, écartant la faiblesse comme excuse à ses actes. 

Le comité de soutien de Nicolas Bonnemaison, le 16 août 2011 à Bayonne, quatre jours après sa mise en examen pour "empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables".  (MAXPPP)

"Excellent professionnel", "très bon chef de service", "très humain", "gentil", "prévenant", "à l'écoute""ouvert aux autres", "très investi" et "attachant"... Durant toute sa carrière, le travail de l'homme autant que la personnalité du médecin sont unanimement salués. Par les soignants comme par les patients et leurs famillles. 

Une peur de "transférer une responsabilité sur la famille"

Ces familles, il ne les a pas consultées dans les sept cas visés par la justice. Pour leur éviter "une source de culpabilité" : "J'ai le sentiment de transférer une responsabilité de médecin sur la famille. Décider la sédation, c'est raccourcir la vie. Ne pas la décider, c'est se dire qu'on va prolonger la souffrance." Il affirme n'avoir pas agi pour autant contre leur volonté. Toutes souhaitaient que le médecin épargne des souffrances à leurs proches, au seuil de la mort. La communication passe "souvent dans un regard, dans une poignée de main", dit-il, cité par Lyon Capitale.  

"Il n'y a pas eu ces mots, mais les choses étaient pourtant claires", abonde Patricia Dhooge, la femme de Fernand Dhooge, 67 ans, l'un des sept patients morts prématurément, arrivé dans le coma après un combat de plusieurs années contre trois cancers. Seules deux familles se sont portées parties civiles, "pour comprendre".  

"L'euthanasie n'est pas mon combat"

C'est aussi pour éviter "des vraies souffrances" à l'équipe soignante que le docteur Bonnemaison ne la consulte pas. Elle le surprend à remplir une seringue avec du Norcuron (du curare), un anesthésiant interdit en soins palliatifs mais dont le médecin dit, selon Libération (lien abonnés) "C’est plus doux, c’est comme si on s’endormait." Il l'injecte à un patient dont le décès est signalé par un bip d'alarme peu de temps après. Les infirmières, à qui il demande de ne pas noter certaines de ses prescriptions dans le dossier, décident de surveiller l'urgentiste. Huit affirment avoir été témoins "d'actes choquants".

Comme lorsqu'il provoque la mort, à l'aide d'un puissant psychotrope, d'une patiente dans le coma mais "stable" et qui ne présente pas de signes de souffrance physique, selon une soignante. "Elle n'avait pas de douleurs physiques, mais une forme de douleur psychique est possible, même dans le coma", se défend le médecin.

Dans un service où l'ambiance s'est dégradée, selon l'infirmière cadre qui travaille avec lui depuis 2007, les soignantes transmettent un rapport à leur hiérarchie. Nicolas Bonnemaison est arrêté à l'hôpital le 10 août 2011, veille de son départ en vacances à Bali. Il est mis en examen après 48 heures de garde à vue. "Un immense choc." "L'euthanasie n'est pas mon combat", répète le quinquagénaire, qui a entamé une formation d'hypnothérapeute. L'"allègement des souffrances", en revanche, oui. Pour l'interprétation qu'il fait de sa mission, au-delà de la loi Leonetti, l'urgentiste encourt la réclusion à perpétuité. 

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