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Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 24

David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord ;pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre.

Article rédigé par franceinfo - David Fritz-Goeppinger
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 47min
Au Palais de Justice de Paris, où se tient le procès des attentats du 13-Novembre. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz-Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la 24e semaine d'audience.

>> Le journal de la vingt-troisième semaine


Je n’ai jamais eu si peu envie de venir

Mardi 12 avril. Aucune envie de venir aujourd’hui. Le grand soleil à l'extérieur me donne l’impression de me jeter volontairement dans une grotte où résonnent les voix du président et de la cour. Ce sentiment d’être pris au piège au cœur de la machine de la justice semble nouveau dans le paysage de mes émotions autour du procès. À la fatigue physique s’ajoute la fatigue mentale d’explorer l’événement et ses coulisses. Avant de tourner à droite sur le Pont Neuf, je remarque les anciennes plaques de la rue Henri-Robert et de la place Dauphine, gravées à même le bloc de pierre de l’immeuble, je prends ma photo et remarque La Samaritaine, et je réalise que je n’y ai jamais mis les pieds depuis sa réouverture. Sûrement trop pris par l’audience.

La rue Henri-Robert, qui débouche sur la place Dauphine. Au fond, dans l'axe du Pont Neuf, l'immeuble de La Samaritaine. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

Il y a des jours comme ce mardi 12 avril où je repense à l’année dernière et à ce que je faisais à ce moment-là. Et en le faisant, je réalise aussi que je le faisais déjà l’an dernier. Comme si me replonger dans mes souvenirs me permettait de m'ancrer dans le présent pour mieux le comprendre, ne pas perdre pied. À l’arrière de mes pensées flotte déjà la date de fin du procès. Le paradoxe est que j’ai hâte d’avoir enfin derrière moi cette étape de ma vie mais qu’à la fois, j’ai peur d’y penser. J’ai beau essayer de garder la tête froide, je sais que la déchirure de la fin risque de faire mal. Est-ce que je ne suis pas déjà en train de me débattre dans les filets de l’audience ?

La sonnerie retentit alors que j’écris ces mots et la journée démarre avec l’interrogatoire de Mohammed Amri sur la fuite de Salah Abdeslam vers la Belgique. Pour rappel, c’est lui qui fait le trajet, en pleine nuit, entre Bruxelles et Châtillon pour récupérer le principal accusé. Mohammed Amri semble pour le moins impressionné, tient ses mains serrées devant lui et porte une chemise blanche repassée. L’accusé répond aux questions mais chacune d’entre elles semble le déstabiliser, il hésite et a l’air de se prendre les pieds dans ses propres mots. Dès le début de son interrogatoire il est repris par le président : "Il va falloir se concentrer, monsieur Amri." L’accusé livre des réponses tantôt incohérentes tantôt partielles et tantôt différentes de ce qu’il avait déjà dit dans ses précédentes déclarations. Il se dit "tétanisé", "choqué" d’avoir appris de la bouche de Salah Abdeslam qu’il était prévu pour comettre un attentat-suicide à Paris : "Moi, dans ma tête, il faut que je m’éloigne de lui et vu que le but, c’était de rejoindre Bruxelles, et ben j’avais envie d’y être pour m’éloigner de lui." Le président le confronte à ses déclarations : "Au cours de l’audience vous avez dit, quand vous avez été interrogé, je ne sais plus à quel moment, mais vous auriez déclaré que Salah Abdeslam vous aurait dit, sur le trajet : 'Ferme ta gueule, tu ne connais rien à la religion'." L’accusé précise le contexte : "Oui, c’était au deuxième contrôle par les gendarmes, après qu’ils nous ont laissé partir. il s’est mis à sourire, il semblait heureux, quoi. Et je lui dis que c’était mal ce qu’il a fait. C’est à ce moment-là qu’il me dit ça." Sur ce deuxième contrôle, Mohamed Amri explique que les gendarmes les séparent et qu’ils enregistrent leurs identités. Le président d’ajouter en haussant les sourcils : "Oui, et le nom de Salah Abdeslam n’était pas encore connu..." Mohamed Amri conclut : "À ce moment-là je pensais qu’on allait se faire tirer dessus, je pensais que c'était la fin pour nous."

Si Salah Abdeslam refuse de s’exprimer sur son état d’esprit (ou s’il refuse de le faire demain durant son interrogatoire), Mohammed Amri livre de précieux détails sur celui-ci, le décrivant comme "excité", "stressé" et "encore énervé après le troisième contrôle" indiquant qu’il a "dormi pendant le trajet". À leur arrivée à Laeken, voulant rassurer son ami, les derniers mots de Salah Abdeslam sont : "On ne se reverra pas. mais ne t’inquiète pas, il ne t’arrivera rien." Puis Mohamed Amri laisse sa voiture à Hamza Attou et rentre chez lui. Jean-Louis Périès insiste sur le fait que laisser son véhicule l’implique davantage mais Amri répète en boucle : "Je voulais m’éloigner de lui. Je voulais m’éloigner." Une fois chez lui, il ne dit rien à sa compagne et regrette de ne pas l’avoir fait : "Peut être qu’elle m’aurait dit d’aller à la police." Tout au long de son interrogatoire par le président, l’accusé insiste sur la peur qu’il a ressenti en apprenant l’implication de Salah Abdeslam et ajoute, en direction de celui-ci : "Monsieur le président, peut être que vous ne pouvez pas comprendre ce qu’on a vécu avec Hamza cette nuit-là. On était tétanisés." Le président semble regarder Hamza Attou (dont l’interrogatoire vient ensuite). "On lui demandera pourquoi il reste avec Salah Abdeslam s’il était tétanisé !" Sur l’écran de retransmission, on peut distinguer Mohamed Bakkali et Sofien Ayari discuter et même rire sous les masques.

J’ai du mal à me concentrer sur la suite des débats mais je remarque que la posture physique et le regard de Mohammed Amri ont changé. Face aux questions du parquet, il croise les bras et son regard se ferme, comme un point de non-retour. Le président annonce ensuite la traditionnelle suspension d’audience de l’après-midi. Dans le dispositif, je retrouve maître Chemla pour un portrait. J’avais déjà eu l’occasion de discuter avec lui après une de ses interventions, je lui propose un portrait et il accepte.

Maître Gérard Chemla, avocat de 140 partie civiles au procès des attentats du 13-Novembre. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

À mon retour dans la salle des criées, maître Topaloff suivi de maître Chemla interrogent Mohamed Amri. Malgré les questions tournées dans tous les sens par les parties, j'ai l’impression d’entendre encore et encore et encore la même chose venant de l’accusé. 

Je quitte le Palais peu après alors qu’une étrange paix règne dans la salle des pas perdus.


SDAT99 et le témoignage providentiel

Vendredi 8 avril. Il pleut si fort qu’on peut entendre les gouttes tomber sur l'échafaudage collé à la fenêtre de la salle des criées. Je suis fatigué et je n'ai pratiquement pas dormi. Suivre l’audience du jour risque d’être particulièrement difficile. À l'écran, la salle principale apparaît parsemée et la plupart des bancs semblent occupés par des avocats et journalistes venus suivre les deux témoignages du jour : SDAT99 et un témoin clé des attentats du 13-Novembre.

L’enquêteur français identifié comme SDAT99, costume noir ajusté, s’avance à la barre. Je me souviens bien de lui, à l’époque je l’observais depuis le fond de la salle et suis resté impressionné par sa maîtrise et l’efficacité de sa déposition.

SDAT99 rappelle ses fonctions : "Je suis toujours commissaire. J’ai exercé en tant qu’adjoint chef de la division nationale pour la représsion terrorisme international." Son exposé portera sur plusieurs événements ayant pour point de départ la série d’attentats en Île-de-France le soir du 13-Novembre. Le premier de ces événements est l’exploitation – via le numéro d’urgence lié à l’appel à témoin lancé après les attentats – d’un "témoignage providentiel". Concernant celui-ci, l’ancien commissaire donne plusieurs détails. C’est une amie d’Hasna Aït-Boulahcen (cousine d’Abdelhamid Abaaoud), qui, après avoir assisté à une conversation entre Hasna et Abaaoud, décide de prendre contact avec les autorités pour les alerter. SDAT99 raconte que malgré le propos confus de la témoin au téléphone, les informations semblent sérieuses. Les services de renseignements décident d’interroger la jeune femme et placent ensuite sur écoute Hasna Aït Boulahcen et parviennent, tant bien que mal, à vérifier chacunes des informations livrées par le précieux "indic".

Au fil des écoutes et des renseignements obtenus, les services se rendent compte que le "cerveau" derrière les attentats s’est réfugié dans un buisson, à Aubervilliers, mais a pour projet de se déplacer dans un appartement à Saint-Denis. Je me suis souvent demandé pourquoi les policiers ne sont pas intervenus à cet endroit, à découvert et facile d’accès. SDAT99 livre un fragment de réponse et évoque la "possibilité d’un piège de l’État Islamique, faisant miroiter la présence d’Abaaoud pour nous attirer dans un guet-apens." Mais leur prudence vient aussi du fait que selon les renseignements acquis via leur indic, il semblerait que "90 personnes en lien avec le jihad" sont présentes dans l’immeuble à Saint-Denis, ce qui sous-entendrait une lourde opération en simultané. Concernant l’intervention du Raid dans l’appartement conspiratif, l’enquêteur de la SDAT donne un exemple dont je n’avais pas connaissance : "Après les attentats de Madrid en mars 2004, les policiers ont appris que des personnes soupçonnées d’avoir participé à ces attentats se sont réfugiées dans un appartement. Durant l’intervention, les terroristes avaient actionné des explosifs, provoquant la mort d’un des policiers des forces spéciales."

Malgré le danger, les policiers interviennent et s'ensuit l'opération que tout le monde connaît. J’ai, là aussi, un souvenir assez précis du moment où je la découvre. C’est toujours chez mes parents, mais cette fois-ci sur mon ordinateur. Le cerveau embrumé, l’esprit ailleurs, je ne comprends pas vraiment ce que je regarde mais je sais que c’est important.

SDAT99 projette ensuite des photographies issues des constatations de l'appartement rue du Corbillon, à Saint-Denis. Sur ces images, le logement est en ruine et on peine à comprendre ce qu’on voit. Sur un des documents, on aperçoit le corps d’un homme, allongé, l’enquêteur à la barre précise : "Un corps est retrouvé mais est difficilement identifiable à cause d’un énorme fracas facial. Identifié le 19 novembre comme Abdelhamid Abaaoud." Le plafond, les murs et le sol sont criblés de trous, provoqués par les boulons issus du gilet actionné par Chakib Akrouh durant l’intervention mais aussi par les nombreux tirs. Sur la scène de crime, ils découvrent deux pistolets, une réplique et un "vrai" dont une balle était chambrée, à côté de lui, deux chargeurs vides. Pour clôturer ce chapitre, le policier projette une diapositive avec quatre photographies : les deux pistolets, un sac plastique et des baskets oranges, aperçues six jours plus tôt durant les attentats.

L’ancien commissaire continue ensuite en détaillant, étape par étape la procession du duo dans leur fuite : Montreuil, Paris, Aubervilliers et finalement Saint-Denis. Et il évoque la possibilité d’un nouvel attentat, à La Défense et Roissy Charles-de-Gaulle. Je suis captivé par la déposition et je prends peu de notes. Le président interroge ensuite l’enquêteur sur ces hypothèses d’attentat et SDAT99 se lance alors, à grand renfort d’exemples et arguments liés à la téléphonie et aux constatations sur le véhicule abandonné par le duo de terroristes à Montreuil, sur toutes les hypothèses probables. Ce qui ressort de toute la déposition du commissaire, c’est que les deux terroristes semblaient prêts à tout pour propager la terreur mais que plusieurs questions demeurent. Comment se sont-ils rendus à Aubervilliers ? Pourquoi avoir abandonné leurs armes à Montreuil ? Comment un cadre de l’État Islamique a-t-il fini terré dans un buisson en banlieue parisienne ?

Je vais rejoindre Gwendal dans la salle principale pour la suite, SDAT99 continue de répondre aux parties.

Le témoin suivant est la "témoin providentielle" à laquelle l’enquêteur français a fait référence pendant sa déposition. Afin de protéger son identité (elle en a adopté une nouvelle depuis les faits), le dispositif pour l’entendre est impressionnant : derrière un voile et voix déformée électroniquement. Le président lui pose les questions d’usage avant qu’elle ne dépose. La voix déformée répond et poursuit en présentant ses condoléances aux proches qui ont "perdu quelqu’un" et souhaite "bon courage aux autres". Elle démarre ensuite sa déposition libre et raconte avoir été surprise par les baskets orange très voyantes que portait Abdelhamid Abaaoud. J’apprends qu’Hasna Aït-Boulahcen lui a menti en lui disant qu’ils allaient à la recherche d’un "petit cousin qui dort dans la rue". La cousine du terroriste lui saute au cou en le voyant et s’exclame : "Abdelhamid t’es vivant !" Et il serre la main de la témoin, qui décrit son dégoût et son mouvement de recul quand elle apprend son implication dans les attentats. À ce sujet, Abaaoud lui aurait dit, froidement : "Ouais, les terrasses c’est moi." En regagnant son domicile, elle attend qu’Hasna parte pour contacter le numéro vert (appel à témoins) mis en place après les attentats et doit insister lourdement pour qu’on la prenne au sérieux. Elle reçoit un peu plus tard un appel du 36, quai des Orfèvres qui eux-mêmes lui disent que c’est "trop gros pour eux", la "DGSI ou la SDAT" prennent en charge la suite. Malgré la peur, elle fournira des informations clés à la sous-direction antierroriste et son témoignage sauvera des vies. À la fin de sa courte mais intense intervention, elle dit ne pas regretter ce qu’elle a fait et ne le "regrettera jamais" et qu’elle le referai. Mais elle déplore "le déroulé par la suite, d’avoir été mise en garde à vue." Après un échange rapide entre le président et la témoin, celui-ci conclut en disant, solennel : "Je salue votre geste qui a permis d’éviter d’autres attentats."

Étant donné que ce sont les parties civiles qui ont cité la témoin, c’est maître Maktouf qui l’interroge : "Bonjour madame, ça fait un moment qu’on se connaît et j’ai du mal à vous appeler car vous avez plusieurs noms." L’avocate : "Est-ce que vous pouvez nous décrire votre vie d’aujourd’hui ?" La témoin : "C’est une vie qui m’a coûtée cher. Avec beaucoup de déception, on tombe, on se relève et ainsi de suite. Est-ce que je mérite cette vie-là ? Comparé à des milliers de personnes vivantes ? Je me dis que oui, mais c’est un sacrifice à faire." "Vous avez mis votre vie sociale et familiale pour sauver nos vies."

Je suis avec attention la fin de son témoignage, et j’ai le sentiment qu’il restera gravé dans ma mémoire. Longtemps, je me suis demandé qui avait bien pu trouver le courage et la force d’interférer dans les mécanismes mortifères des terroristes, de mettre en échec la terreur. Au fond, j’ai l’image d’une personne qui, grâce à ce geste héroïque, a abandonné sa vie d’avant au profit de la vie des autres. Comme quoi, l’héroïsme se cache parfois dans les gestes les plus simples, comme un coup de fil.

Dehors il pleut toujours et nous ne sommes plus que deux dans la salle des criées, Sophie Parmentier pianote sur son clavier et je termine ma longue semaine au Palais.

À mardi.

Au Palais de Justice de Paris. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)


Le retour de la juge d'instruction belge, Isabelle Panou

Mercredi 6 avril. Dernier jour de déposition des enquêteurs belges à la barre. Demain, nous entendrons Isabelle Panou, qui est déjà venue en septembre présenter l’enquête belge sur les attentats du 13 novembre. À l’époque, nous sommes beaucoup à avoir apprécié son exposé et j’admets avoir hâte de la retrouver demain pour enfin clôturer l’intervention des autorités belges. Ces derniers mois, les déposition de ces derniers ont été grandement critiquées (y compris par moi), tantôt sur le fond – réponses partielles, cloisonnement inexpliqué, témoignage depuis une pièce où d’autres personnes dont nous ne connaissons pas l’identité sont présentes – que sur la forme voix monotones, présentations peu rythmées, réponses partielles… Finalement, et même si j’ai l’impression que cet avis est partagé par une grande partie des victimes, j’ai conscience que sans l’intervention et la coopération de la justice belge depuis plusieurs années, nous n’aurions tout simplement aucun élément dans le dossier.

Je suis dans la salle des pas perdus lorsque l’audience reprend et je m’engouffre dans la salle des criées. Sur la toile de projection, on retrouve l’habituelle configuration de vidéoconférence, le bureau belge en U inversé en haut et les documents exposés en dessous.

Le policier commence par présenter la fuite d’un des accusés absent à l’audience : Ahmed Dahmani. L’homme, incarcéré en Turquie (et dont la remise à la justice française est restée sans réponse) est l’un des témoins clé du dossier français des attentats. Connu de la justice belge (et européenne) pour divers délits et ami proche de deux frères Abdeslam et de Mohamed Abrini, il quitte le territoire belge la nuit suivant les attentats du 13-Novembre. Avant cette fuite, l’accusé absent rencontre un autre témoin clé des attentats : Ayoub Bazarouj (dont les deux frères sont en Syrie, dans les rangs de l’État Islamique.) Au sujet de cette rencontre, l’enquêteur projette des photographies tout en détaillant la scène. Sur ces images, issues des caméras de vidéosurveillance du bar le Time Out (lieu où une grande partie des accusés ont leurs habitudes avant les attentats), nous retrouvons Ahmed Dahmani et Ayoub Bazarouj accoudés au bar. Il est 21 heures. Les deux hommes consultent une tablette et des téléphones portables, l’enquêteur précise que ces appareils n’ont jamais été retrouvés. Photo suivante, à 21h13, les protagonistes s'enlacent et semblent exulter. C’est à cette heure-là qu’à des centaines de kilomètres de là, a lieu au Stade de France la première explosion.

La trace d’Ahmed Dahmani reprend plusieurs heures après, à l’aéroport d’Amsterdam, où l’homme prend un vol en direction d’Antalya. Retrouvé par les autorités turques, il sera arrêté le 16 novembre, à son hôtel. Le même jour, ses deux passeurs seront eux-mêmes arrêtés. Dans la voiture, un faux passeport syrien avec la photographie d’Ahmed Dahmani. L’homme prétend dans un premier temps être en vacances mais admettra finalement sa fuite aux enquêteurs disant qu’il "voulait aider" la population syrienne. Mais il niera toute implication ou adhésion personnelle aux thèses de l’EI. Dans les faits, l’homme fait partie de l’entourage de nombreux protagonistes liés aux attentats et des documentations liées à l’État Islamique ont été retrouvées chez lui et dans son téléphone portable. En entendant l’enquêteur belge, je réalise à quel point l’absence de cet accusé à l’audience crée un vide. Aurait-il pu aider à la manifestation de la vérité ?

La cour interroge ensuite l’enquêteur belge, puis le parquet. Maître Rimailho commence le tour de questions des parties civiles et revient sur les photographies projetées par l’enquêteur et la téléphonie entourant l’accusé absent. J’écoute peu la suite de l’échange, le président annonce la suspension habituelle.

Gwendal vient à ma rencontre en me tendant un micro Zoom et me dit qu’il est à son frère, mais que l’outil pourrait m’aider à enregistrer mes "bruits de couloir".

"Bruits de couloir" - 6 avril 2022

Au moment de la reprise, le Président annonce à l’enquêteur belge : "C’est la dernière déposition de la police fédérale belge, allez-y monsieur, on vous écoute !" L’enquêteur projette son plan de présentation. Premier point : "Ralliement Henri-Berger". Pour rappel, l'appartement situé rue Henri-Berger à Schaerbeek, en Belgique, est l’une des caches de la cellule terroriste derrière les attentats du 13-Novembre. Sur sa diapositive, le policier affiche une frise chronologique et une photographie de Mohamed Abrini en ajoutant que l’accusé est allé dans cette cache le soir des attentats, faits corroborés par les proches de Mohamed Abrini : "On ne l’a plus vu après le 13-Novembre." L’enquêteur lit ensuite le procès-verbal de l’accusé : "Que constate monsieur Mohamed Abrini en arrivant dans cette planque ? Il y trouve une machine à coudre, par exemple, mais dira plus tard aux enquêteurs : 'Une machine à coudre ? C’est l’objet le plus gentil qui s’y trouvait'. Il y avait une arme par matelas, un bac pour préparer du TATP et des boulons." Au total, six personnes se retrouvent dans cette planque dont Salah Abdeslam, Sofien Ayari et Osama Krayem. C’est le décès d’Abdelhamid Abaaoud le 18 novembre qui déclenche la scission du groupe dont une partie est ensuite stationnée dans une autre planque jusqu’au mois de mars 2016.

L’enquêteur présente ensuite un document audio nommé Carved001884. L’enregistrement sonore a été retrouvé dans l’ordinateur de la rue Max-Roos. Dans celui-ci, Najim Laachraoui* contacte Abou Ahmed (kunya d’Ousama Atar**) et mentionne plusieurs sujets en lien avec les attentats passés, à survenir et d’autres projets futurs. Le policier belge précise que le fichier a été créé entre le 13 et le 16 mars 2016 et poursuit en expliquant que dans cet audio, Najim Laachraoui dit à son correspondant qu’ils ont produit 100 kilos de TATP, mais demande quand même des informations sur la fabrication d’explosifs. L’homme, en confiance, poursuit en dévoilant les projets de la cellule terroriste pour les mois à venir : l’Euro 2016 et l’enlèvement de personnalités publiques en vue de demander la libération de Mehdi Nemmouche*** et Mohamed Bakkali. À la fin de son descriptif du fichier, le policier souhaite le diffuser à l’audience mais le son passe mal et la qualité est désastreuse. Le président insiste pour que les fichiers soient quand même diffusés et après plusieurs tentatives, Bruxelles parvient à le faire grâce au transfert des documents au greffe.

Je pense que rien ne pouvait me préparer à l’écoute de ce sonore particulièrement glaçant et violent. Dans celui-ci, nous pouvons clairement entendre Najim Laachraoui s’étaler ouvertement et en confiance sur ses projets. Il va jusqu’à se confier sur les envies personnelles (cibles, méthode) des terroristes présents dans la planque. L’intonation banale de l’homme me saisit, si on ne prête pas l’oreille, rien ne laisse penser qu’il parle de fabrication d’explosifs en vue de commettre des attentats, en vue de tuer des innocents. Au passage faisant référence à la fabrication de TATP, l’homme s’exprime comme un prof de chimie, ou un apprenti cuisinier. Il livre le détaille des dosages de chaque composé pour fabriquer l’explosif et va jusqu’à proposer une variante à son interlocuteur : "Dis-lui d’essayer et de me dire." Visiblement fier de lui, il mentionne la fabrication des 100 kilos de TATP évoqués plus tôt par l’enquêteur et ajoute : "Au total on a 130 kilos." Je me demande même si le président n’aurait pas dû censurer ce passage tant les détails qu’il contient sont précis. Constant et méticuleux dans sa froideur, il émet des hypothèses d’attentats à commettre et propose des options : une camionnette, une voiture ou une bonbonne de gaz vidée dont les parois serviraient de "grenaille". Chaque phrase, chaque idée est plus mortifère que l’autre. Toujours plus loin dans l’horreur, toujours plus loin dans la mort. Inventif, l’homme évoque une autre idée, celle de mettre des explosifs sous des rails, et encourage son correspondant à "essayer chez vous, à Raqqa, il y a des rails qui sont détruits tu vois". Sur les motivations de ses "frères", il précise qu’ils souhaiteraient ne pas "taper la Belgique" et préfèreraient "taper la France" et fait référence à l’Euro qu’ils "aimeraient faire annuler" pour que les "autres comprennent". Pas de doute sur les "autres".

Concernant le passage sur les enlèvements de personnalités, Mohamed Bakkali semble impassible à la mention de son nom par Najim Laachraoui. L’homme conclut son message sonore en encourageant Oussama Atar à changer de kunya pour sa "sécurité" et envoi des salutations personnelles, mais aussi au nom d’Abou Yahya (kunya de Mohamed Abrini) qui salue Youssef Bazarouj. L’extrême banalisation de la violence et les mentions de possibles tueries est quasiment inaudible, je reste atterré par la facilité avec laquelle il mentionne les attentats et l’absolue noirceur de ses propos.

Les prochains fichiers audios sont ceux d’Ibrahim El-Bakraoui, mais j’ai du mal à suivre, comme si le premier fichier avait fait déborder le trop plein. Cependant, un élément accroche mon attention plus que d’autres, c’est la référence d’Ibrahim El Bakraoui au fichier "avocat" déjà diffusé à l’audience il y a quelques jours : "Dis au frère incarcéré (Mohamed Bakkali) de tout remettre sur moi. Dis à l'avocat que voilà, je vais lui faire une lettre et s’il dit que c’est une bonne stratégie (...)" Le fichier audio est ponctué de phrases en arabe. Comme pour conclure en beauté ces quatre mois de déposition des enquêteurs belges, le policier n’a pas fini de diffuser des documents clés de l’enquête. Les diapositives suivantes sont des scans des lettres d’allégeance à l’État Islamique de Mohamed Abrini et Salah Abdeslam. Il y a peu, Mohamed Abrini les avait qualifiés de "copié collé" et avait même ajouté : "J’ai fait ça comme ça, je me suis enflammé !" en précisant que c’était un des deux frères El Bakraoui qui "demandait à tout le monde de faire des testaments". Même traitement concernant la lettre d’allégeance de Salah Abdeslam. Ces documents, arrivés à pratiquement deux mois et demi de la fin de l'audience, sont de véritables fenêtres ouvertes sur le passé et les pensées de deux accusés et viennent mettre en péril leur défense.

C’est au tour de la cour d’interroger l’enquêteur alors que je commence l’édition et la correction du billet. Je termine l’écoute de l’audience chez moi. Je repense à mon état d’esprit en arrivant à l’audience aujourd’hui. Il peut m’arriver de venir à reculons et j’admets avoir hésité à me déplacer, mais ce soir, je suis plutôt heureux d’avoir été là pour assister à ces derniers instants belges à l’audience. Si l’audio de Najim Laachraoui restera gravé dans ma mémoire pour longtemps, je suis certain que l’écho de sa voix a changé la trajectoire de l’audience.

Via la webradio, j’écoute Camille Hennetier interroger l’enquêteur. Je décroche pour aujourd’hui.

Jeudi 7 avril. La voix d’Isabelle Panou filtre à travers les portes de la salle des criées et je m’empresse de m’asseoir pour démarrer l’écriture. La présence de la juge fait exister une réalité qui me frappe, cela fait désormais sept mois que le procès a démarré. Sept mois à me rendre sur l’Île de la Cité et à tenir ce journal et raconter mon quotidien.

Comme lors de sa venue en septembre dernier, la juge est assise. Ses cheveux, roux, récemment teints, bougent en suivant le rythme de son flot de paroles. Comme il m’arrive de le faire, je lis le livetweet de Charlotte Piret pour rattraper mon retard et découvre que le président a choisi d’interroger la juge belge sur les récentes déclarations des accusés. À mon arrivée, le président fait référence à la déposition de la compagne de Farid Kharkhach au sujet des conditions d’interrogatoires dans le cabinet de la juge. En effet, la compagne de l’accusé a indiqué à l’audience il y a quelques semaines qu’"on avait fait pression sur lui" et que "son avocate l’avait giflé" sans que la juge n’intervienne. La juge ne se démonte pas : "C’est un étonnant scénario que vous me racontez." Et elle pointe ensuite du doigt le fait qu’aucun incident n’a été soulevé par son nouvel avocat et précise même que l’accusé a été auditionné sept à huit fois au total. Le président indique qu’il n’a plus de question. La première assesseure prend la suite. Elle commence par demander à la juge ce qu’elle pense des activités de Brahim Abdeslam à l’été 2015. La juge revient sur sa propre déclaration en septembre et se cite elle-même : "Je me souviens, en conclusion de mon audition, j’avais dit : 'L’été 2015 était chaud.' Brahim Abdeslam était dans les préparatifs des attentats, pour moi, il l’était déjà en revenant de Syrie en février." Si les déclarations des enquêteurs belges ont pu souffrir d’une grande monotonie, celle de la juge Panou est tout l’inverse. Les détails et la force avec laquelle elle s’adresse à la cour sont particulièrement saisissants. C’est étrange de le dire, mais ça fait du bien. La première assesseure revient ensuite sur les ordinateurs retrouvés rue Max-Roos et pointe du doigt l’ordinateur manquant. Isabelle Panou donne une réponse claire : "Il n'apparaîtra pas car il n’a pas été retrouvé, c’est tout. Les hommes de main d'œuvre de la ville de Bruxelles ont pris le seul ordinateur qui semblait en bon état et on laissé l’autre partir. Ensuite on a cherché, fait les poubelles, mais on l’a jamais retrouvé."

Nicolas Braconnay se lève pour interroger la juge. Il démarre son tour de parole en précisant que c’est le PNAT qui l’avait cité en septembre mais qu’aujourd’hui, c’est la défense qui le fait. L’avocat général commence par remercier la juge d’instruction belge au sujet de ses explications sur l’accusation de Farid Kharkhach qu’ils qualifient de "grotesque", encore plus dans le cadre de cette audience. Nicolas Braconnay revient ensuite sur le fichier nommé "Yass" dans l’ordinateur de la rue Max-Roos et rappelle les propos de l’enquêteur hier qui, aux questions de la défense de Yassine Atar, a répondu que "l’enquête belge n’avait pas permis prouver une aide apportée par Yassine Atar à Ibrahim El-Bakraoui." Et Nicolas Braconnay ajoute que cela pouvait être dû à "l'efficacité de la défense de Yassine Atar et l'heure tardive." Durant ses questions, la juge l’observe attentivement et pour lui répondre, se tourne pour regarder la cour (comme le veut la règle) : "S’il n’y avait pas d’indice de responsabilité, j'aurais levé le mandat. Il est bien plus simple pour un juge d’instruction de placer un mandat que de le lever !" Elle donne ensuite plusieurs exemples dans qui accablent l’accusé et conclut : Ibrahim El Bakraoui, alors qu’il est dans l’urgence, le remercie, la veille des attentats de Bruxelles. Afin d’appuyer son propos la juge précise : "Ce qui est alarmant c’est pas le contenu, mais le moment auquel il le fait." Finalement, elle dira de Yassine Atar qu’il est "l’homme de la malchance", sur "tous les sujets", mais qu’au fond c’est quelqu’un qui "dissimule". Le président annonce une rapide suspension et j’en profite pour démarrer l’édition du billet.

Maître Topaloff, avocate de parties civiles s’adresse à la juge Panou. L’avocate l’interroge sur les dernières déclarations de Salah Abdeslam. La juge, impartiale : "Il a actionné ou pas actionné, l’acte de participation est là, il est avec une ceinture explosive au milieu de Paris. Il est évident qu’il a fait des déclarations et qu’il nous a dit que la ceinture n’a pas fonctionné (...) Les versions ont évolué, comme toutes les auditions c’est aussi habituel dans un dossier pénal." Concernant Mohamed Abrini, l’avocate revient sur la déclaration de celui-ci et le fait qu’il soit prévu aux attentats du 13-Novembre : "Faire 300 km avec trois voitures, des explosifs, des armes, des kalachnikov si je dois le rappeler aux parties civiles (...)" Maître Topaloff : "Mais vous semblez dire qu’en réalité, il a fui sans que Salah Abdeslam soit au courant ?" La juge : "Oui je pense, les au revoir ont été fait à Charleroi pendant longtemps." Elle pointe ensuite du doigt le fait qu’Abdelhamid Abaaoud ait très mal pris la défection concernant l’attentat du Thalys et qu’il ne l’aurait jamais laissé partir comme ça. Et d’ajouter : "Il (Mohamed Abrini) ne connait même pas les horaires de TGV, et prend le sans doute le moyen le plus cher sans pour autant en avoir l’argent, le taxi !"

Les questions se poursuivent et la juge répond volontiers. Je quitte la salle des criées pour une courte pause juste après être allé voir Gwendal dans la salle principale. Au fond, l’audition de la juge d’instruction comprime les quatre derniers mois de déposition des enquêteurs belges. Mais la mention, par cœur, de la plupart des strates des deux dossiers : français et belge demeure impressionnante.

Je me doute que toutes ces affirmations vont être reprises par les avocats de la défense et c’est justement à leur tour. C’est l’avocate de Farid Kharkhach qui commence. Elle souhaite rétablir la vérité concernant la question du président au sujet de la gifle dans le cabinet de la juge et propose une autre version : "L’avocate de monsieur Kharkhach aurait menacé de le gifler, c’est cela qui a été rapporté par la compagne de l’accusé." Maître Lefrancq propose ensuite au président que son client s’exprime devant la juge : "Ne vous inquiétez pas monsieur le président, il ne sera pas véhément." Jean-Louis Périès accepte et demande à l’accusé de se lever. L’homme a maigri depuis sa dernière prise de parole et semble particulièrement ému : "J’aimerais dire que le seul responsable c’est moi. Je n’en veux qu’à moi-même. J’ai des questions, j'ai plein de choses qui reviennent depuis cinq ans et demi. Pourquoi ? Pourquoi, madame Panou quand j’ai été arrêté m’a commis une avocate d’office, qui a été emprisonnée ?" Très remué, l’homme continue en demandant à la juge pourquoi a-t-elle fait venir son épouse, menottée, alors qu’elle venait d’accoucher et d’ajouter : "Pourquoi on a laissé ma femme devant ma celulle ? Elle a pleuré toute la nuit." Farid Kharkhach explique qu’il était prêt à tout lui avouer, y compris la radicalisation d’Ibrahim El Bakraoui et indique qu’à la fin de son audition, la juge lui aurait promis de demander sa libération le "lundi". Dans un souffle, et avec retenue, il semble crier silencieusement : "Ça fait cinq ans que je croupis en prison !" L’accusé continue sa liste de "Pourquoi ?", le président le coupe poliment et l’homme conclut : "Je ne suis pas en train de remettre en question le travail de madame Panou, c’est juste des ressentis pour moi. Monsieur le président, j’ai plein de questions."

La juge répond point par point à l’accusé sans pour autant se justifier mais reste ferme concernant la procédure qu’elle a suivie lors des différents interrogatoires : "Pourquoi le bâtonnier n’a pas été saisi s'il y a eu des manquements ?" Elle continue : "Si il y a eu quelque chose que Monsieur Kharkhach n’a pas fait - et c’est placardé dans le bureau de tous les juges d’instructions belges -, c’est de garder le silence." Maître Martin Vettes, l’un des deux avocats de Salah Abdeslam, se lève ensuite pour interroger la juge : "Un petit peu comme pour la première fois ici, on vous écoute religieusement." et il continue en pointant du doigt le fait que la juge d’instruction n'a pas suivi l’audience depuis le mois de septembre. La juge belge : "Non je ne peux pas." L’avocat de Salah Abdeslam : "C’est retour vers le futur. J’ai l’impression d’être au 14 septembre et que vous redites les mêmes évidences. Je m’étonne que vous restiez à ce point figée." Comme je pensais plus tôt, la défense pointe du doigt les nombreuses incohérences dans l’enquête belge.

Isabelle Panou, qui siège avec la même énergie depuis 4 heures maintenant : "J’essaye de venir avec une certaine objectivité. La loi ne me permet pas de siéger avec vous ou je ne sais où. C’est la défense qui m’a convoqué alors que je ne demandais rien du tout. Est-ce qu’il y a des failles, peut-être, mais je trouve dommage qu’elles ne m’aient pas été signalées durant les cinq années d’enquête." Au tour de maître Kempf, qui cite une expression française, en souriant : "Je ne sais pas si vous connaissez l’expression 'plaider par procureur'." La juge sourit en retour et lui lance : "J’ai été procureur !" Les deux protagonistes sourient. S'ensuit un échange sur le droit belge, je suis fatigué et j’admets avoir de plus en plus de mal à suivre l’audience. En creux, plusieurs avocats de la défense reprochent à la juge de témoigner à charge et de se prêter au jeu du parquet (l’accusation).

Je crois qu’un autre témoin est attendu après madame Panou, il est pratiquement 18 heures et les questions de la défense se poursuivent. Le président conclut en disant : "Il n'y a plus de questions ! Vous êtes libre !" La juge d’instruction sourit et l’audience est suspendue pour quelques minutes.

Sur de nombreux aspects, ces deux derniers jours ont été particulièrement denses. Le premier reste quand même l’écoute des audios glaçants de l'artificier derrière les explosifs qui ont semé la mort en France et en Belgique. Pour être honnête, j’ai beaucoup de mal à oublier le calme violent derrière la voix de l’homme. De l’expérience acquise ici, je me rends compte que depuis le début de l’audience, les points difficiles rencontrés ne sont pas ceux que j’escomptais. Que la douleur, sournoise et attentive, se cache parfois derrière des choses anodines, comme la mention d’un nom entendu le soir du 13. Après tant de signes écrits, tant de propos relatés, tant de pensées transmises, il m’arrive de me demander où je trouve la motivation d’écrire ces mots et de partager, de mettre à nu une partie de mes pensées. Pour la première fois depuis longtemps je comprends que j’ai hâte que cela se termine et que je puisse enfin peut-être, "passer à autre chose."

Dans la salle des pas perdus, le son des bottes des gendarmes accompagnent la clôture de ce billet.

Je rentre.

*Najim Laachraoui est considéré comme l’artificier des attentats du 13-Novembre et ceux du 22 mars 2016 à Bruxelles. Il est l’un des trois terroristes derrière cette seconde vague d’attentats.
**Oussama Atar, seul accusé jugé pour direction d’une association terroriste, est le commanditaire présumé des attentats de Paris en novembre 2015 et Bruxelles le 22 mars 2016, présumé mort depuis 2017.
***Mehdi Nemmouche est l’auteur de l’attentat du Musée Juif de Belgique le 24 mai 2014. Il est condamné par la cour d’assises de Bruxelles en mars 2019 à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une mise à disposition du tribunal de l’application des peines d’une durée de 15 ans.

Devant le Palais de Justice de Paris. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)

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