Rouvrir l'enquête pour faire toute la lumière
Pour ceux qui ne croient pas à la thèse judiciaire, le procès est l'unique occasion d'essayer de comprendrePour ceux qui ne croient pas à la thèse judiciaire, le procès est l'unique occasion d'essayer de comprendre
Jacques Mignard, fondateur et président de l'Association "Mémoire et solidarité" regrette que de nombreux témoignages troublants aient été écartés de l'enquête.
Avec les 650 adhérents de son association, anciens salariés d'AZF et sous-traitants, il a mené pendant sept ans un travail de recherche.
Jacques Mignard travaillait dans l'usine le jour de l'explosion, à 300 mètres du cratère. Par miracle, il n"a pas été touché mais 21 de ses collègues y ont eux laissé leur vie. Sept ans et demi plus tard, les images sont intactes. "J'ai le souvenir des copains que j'ai relevés et qu'on m'a demandé de reconnaître". Depuis ce jour, son existence a changé. " J'avais 52 ans à l'époque. J'en ai 60 aujourd'hui mais depuis l'accident, je n'ai pas profité de la vie".
Jacques Mignard sait que le procès va être difficile, douloureux. Il l'attend et le redoute. " Je me suis préparé à certaines situations assez délicates". Son seul objectif : comprendre. "Notre drame, c'est que nous n'avons pas d'explication. Nous sommes dans une démarche de questionnement. Il appartient à la justice de faire toute la lumière quelle qu'elle soit. Aucune piste n'est interdite. Mais si on ne nous explique pas, alors il faudra rouvrir l'enquête".
Etudier tous les faits pour comprendre
Jacques Mignard ne croit pas à la thèse d'une explosion accidentelle. "Dès le départ, la piste officielle était trop cadrée. Trop de faits ont été négligés". Avec son Association, il a déposé près de vingt demandes d'actes notamment la possibilité d'utiliser les images des équipes de France 3 et M6 présentes dans la zone le jour de l'explosion, toutes repoussées en bloc, avec celles déposées par la défense et certaines associations de civils. Autre fait troublant, la double explosion, entendue par des dizaines de salariés et des milliers de toulousains qui pourtant ne figurait pas dans le rapport d'étape.
La thèse d'une explosion accidentelle est qualifiée de "mauvaise fable par les plus grands spécialistes" souligne l'ancien salarié d'AZF. "Il n'est pas démontré que le mélange entre les produits mis en cause ait eu lieu. Et même s'il a eu lieu, il n'est pas dit que cela aurait explosé".
C'est aussi l'avis de Monique Mauzac, chimiste et directrice de recherche au CNRS. Elle a perdu dans son mari lui aussi chimiste et qui travaillait dans l'usine AZF. Après avoir étudié tous les documents disponibles, classé quelque 5.000 pièces sur les 7.000 du dossier et consulté de nombreux scientifiques, elle en est convaincue : la thèse des experts judiciaires ne tient pas. Son seul but, comprendre ce qui s'est passé. "J'ai la conviction que ce qu'on nous raconte n'est pas la vérité". Elle dit faire confiance à la justice pour s'approcher de la vérité. "C'est compliqué, sinon on aurait trouvé. Mais le procès est l'occasion pour tous de pouvoir parler sans a priori", l'occasion surtout de faire valoir d'autres versions.
Et Monique Mauzac s'y est appliquée. Via son avocat, elle est à l'origine de plusieurs citations à comparaître, celle notamment de Georges Guiochon, professeur à l'université du Tennessee, l'un des plus grands spécialistes français en nitrate d'ammonium. "J'ai l'impression que depuis le début, on cherche à démontrer à n'importe quel prix qu'il s'agit d'un accident" a expliqué le professeur au journal Libération. "Mais la réaction chimique qu'ils présentent, dans la pratique, ça n'est pas possible."
"Pourquoi n'a-t-on entendu aucun expert international au cours de l'enquête judiciaire" s'étonne Monique Mauzac. "Ma logique, c'est celle de mon métier. Je ne suis pas convaincue par la thèse officielle. Je cherche donc les autres raisons mais je n'ai rien imaginé".
Chirac, Jospin, et Fabius invités au procès
Autres personnes citées à comparaître, Jacques Chirac et Lionel Jospin, à la tête de l'Etat lors de l'explosion de l'usine AZF en 2001. "Nous voulons leur demander grâce à quelles informations ils ont pu déclarer à Toulouse dès le 21 septembre que l'explosion était d'origine accidentelle". Quelques heures après l'explosion, les deux têtes de l'exécutif s'étaient rendues sur les lieux, évoquant "avec une certitude étonnante l'hypothèse d'un accident chimique", rappelle Me de Caunes, l'avocat de Monique Mauzac.
Mais l'ancien Président de la République et l'ancien Premier ministre socialiste ont annoncé leur intention de ne pas venir à la barre. S'appuyant sur l'article 67 de la Constitution, Jacques Chirac a indiqué "qu'il ne pouvait être requis de témoigner" sur des faits ayant eu lieu pendant son mandat ajoutant qu'il "n'avait pas été témoin des faits".
Lionel Jospin a lui demandé à "être excusé", estimant qu'il ne pouvait "apporter d'information utile" n'ayant "pas été témoin des faits" et n'étant "détenteur d'aucune information", l'information judiciaire ayant été conduite "sans interférence du pouvoir administratif". Il a toutefois ajouté qu'il était "à la disposition du tribunal pour le cas ou il l'estimerait nécessaire".
"Etant donné que le tribunal se devra, durant les débats, de n'écarter aucune autre hypothèse sur les causes de ce drame, le témoignage de ces deux personnes aurait sans doute pu aider la justice", estime l'avocat toulousain. A ses yeux, leur réponse aurait été "d'autant plus intéressante que, par la suite, l'hypothèse de l'accident chimique a bénéficié de la part de la justice du statut de piste unique et exclusive".
Regrettant la réponse de l'ancien Président de la République", Me de Caunes a renoncé à sa demande, tout en ajoutant: "je ne désespère pas qu'il se présente spontanément". Quant à l'ancien Premier ministre, l'avocat a noté: "M. Jospin ne disconvient pas qu'il est un citoyen comme les autres". "Je maintiens ma citation à son égard", a-t-il ajouté. Le Président du tribunal Thomas Le Monnyer a indiqué qu'il écrirait à M. Jospin en vue d'une audition le 19 mars.
Me de Caunes a également cité à comparaître Laurent Fabius, ministre de l'Industrie au moment des faits. Le dirigeant socialiste n'a pas officiellement décliné.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.