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"Pourquoi a-t-on donné des instructions pareilles ?" Pompiers et forces de l'ordre s'interrogent après les incidents lors de la manifestation des soldats du feu

Les images de pompiers aspergés par des canons à eau ou visés par des gaz lacrymogènes ont choqué les soldats du feu. De leur côté, les forces de l'ordre sont partagés sur cette intervention.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des pompiers professionnels pris dans des nuages de gaz lacrymogène lors de leur manifestation, mardi 15 octobre à Paris. (SEVERINE CARREAU / HANS LUCAS / AFP)

Aspergés par les canons à eau. Visés par des gaz lacrymogènes. Sur les réseaux sociaux, ces images prises à la fin de la manifestation parisienne des pompiers, mardi 15 octobre, ont choqué. Plusieurs milliers de pompiers professionnels "en colère" avaient défilé dans le calme pour dénoncer le manque d'effectifs et de reconnaissance de leur profession, avant quelques incidents en fin de parcours. Selon la préfecture, trois membres des forces de l'ordre ont été blessés et six manifestants interpellés pour violences ou jets de projectiles.

Cette intervention plutôt musclée des forces de l'ordre, au moment de la dispersion, était-elle nécessaire ? Du côté des pompiers comme de certains policiers, les réactions étaient encore vives mercredi. 

"L’intention de provocation venait de la police"

"Cette intervention policière est honteuse et elle a été faite délibérément !", s'étrangle André Goretti, le président de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels (FA/SPP, premier syndicats de pompiers professionnels). "Nous étions en fin de parcours et nous informions les manifestants des suites de la rencontre au ministère de l’Intérieur [qui s'était déroulée le jour même] lorsque nous avons reçu des gaz lacrymogènes alors qu'il ne se passait rien !", s'exclame-t-il. 

Pour lui, sans l'ombre d'un doute, "l'intention de provocation venait de la police". Il en veut pour preuve la "ligne d'arrêt empêchant les pompiers d'accéder aux bus qui devaient les ramener dans leur département. Quand les pompiers demandaient à rejoindre leur bus, on leur interdisait l'accès et on les gazait [avec des gaz lacrymogènes]", affirme le syndicaliste à franceinfo. 

Il y avait beaucoup de méchanceté dans les actions policières : ils ont gazé un manifestant à 10 cm du visage.

André Goretti, président du syndicat de pompiers FA/SPP

à franceinfo

"A la suite de cette intervention policière, il y a même un pompier qui risque de perdre un œil et qui a été opéré ce matin", poursuit-il. Sollicitée par franceinfo sur ce point, la préfecture de police n'avait pas encore répondu mercredi soir. André Goretti pense que les actions policières laisseront des traces : "Ça risque de refroidir les relations entre pompiers et policiers dans les départements pendant les interventions."

"Ça n'a pas dégénéré"

Vice-président du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels (SNSPP), Yael Lecras livre à franceinfo un récit légèrement différent. "Mardi, 8 000 pompiers manifestent dans le calme de midi à 18 heures et, à la fin de la manifestation, la plupart s'en vont", déclare-t-il à franceinfo. Mais au moment où la police sécurise le parcours, des sapeurs-pompiers "s'en prennent aux forces de l'ordre", explique-t-il. 

Ce sont des radicaux qui sont allés au contact et on les condamne. Mais c'est à mettre en rapport avec le mouvement des forces de l'ordre qui avance frontalement vers les manifestants encore sur place, alors que les pompiers sont très remontés depuis des mois.

Yael Lecras, vice-président du syndicat de pompiers SNSPP

à franceinfo

"Le 14 mars, rembobine-t-il, on avait rencontré le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, pour lui exposer nos revendications. Et, depuis, on n'a pas avancé sur le sujet." Pour lui, après plusieurs rencontres ou négociations sans résultat entre l'exécutif et les syndicats, "il aurait été opportun de se montrer plus diplomate". Il estime néanmoins qu'"il ne faut pas surjouer ce qu'il s'est passé en marge de la manifestation". "Ça n'a pas dégénéré", commente-t-il. "Il y a eu d'un côté l’action de quelques énergumènes, de l'autre un manque de tact des autorités. Fermez le ban."

"Un total mépris des autorités"

Tel n'est pas l'avis d'André Goretti. "Je ne comprends pas pourquoi, place de la Nation, on s'est servi des canons à eau et on a gazé les manifestants", insiste-t-il. L'exécutif, juge-t-il, "a créé un fossé entre pompiers et forces de sécurité alors qu'ils devraient travailler en bonne harmonie. Ça montre un total mépris des autorités." Et de préciser sa pensée : "Rien n'est étonnant de la part de ce gouvernement qui dit non au dialogue social. On appelle à la poursuite de la grève jusqu'au 31 décembre."

Et du côté des forces de l'ordre ? "Force doit rester à la loi, même s'il s'agit de pompiers, estime l'un d'eux, qui tient à garder l'anonymat. Quand un parcours est déclaré, il faut s'y tenir, quel que soit le corps de métier. Sinon, comment justifier les interventions dans d'autres occasions, lorsque les manifestants sortent du parcours qu'ils ont déposé ? Qu'est-ce qu'on va expliquer aux 'gilets jaunes' ou aux autres ?"

Secrétaire général de l'Unsa police, Philippe Capon est plus réservé. "Je n’ai pas toutes les informations, prévient-il. Apparemment, des sapeurs-pompiers ont été infiltrés par des 'gilets jaunes'".

Utiliser des gaz lacrymogènes contre ceux avec qui on travaille au quotidien n'est pas spécialement judicieux.

Philippe Capon, secrétaire général de l'Unsa police

à franceinfo

"C'est choquant, surtout quand on connaît leurs revendications, poursuit Philippe Capon. Pourquoi de pareilles instructions ont-elles été données par l'administration, en l'occurrence la salle de commandement de la préfecture de police de Paris ?" Egalement sollicitée à ce sujet, la préfecture de police n'avait pas encore donné suite mercredi soir.

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