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Essais nucléaires : du "Hourra pour la France" du général De Gaulle au "J'assume" d'Emmanuel Macron

Après les déclarations d'Emmanuel Macron sur la "dette" de l'Etat envers la Polynésie, franceinfo revient sur l'histoire des essais nucléaires français et les déclarations des présidents de la Ve République.

Article rédigé par Thomas Destelle
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Cette photo prise en 1970 montre un essai nucléaire français à Mururoa, en Polynésie française. (AFP)

"Une dette" envers la Polynésie française. Emmanuel Macron s'est exprimé, depuis Papeete mardi 27 juillet (mercredi matin à Paris), sur les essais nucléaires réalisés par l'État dans ce territoire français du pacifique. Un discours devant les responsables polynésiens où le président a reconnu que "trop longtemps l'Etat a préféré garder le silence sur ce passé". Franceinfo remonte le temps et revient sur la façon dont les présidents de la République ont évoqué les essais nucléaires menés par la France.

Charles De Gaulle : "Hourra pour la France !"

La France devient officiellement une puissance nucléaire en 1960. Le 13 février, la première arme atomique est testée dans le désert algérien, près de Reggane. L'Algérie est à l'époque un département français. L'opération est baptisée du nom d'un petit rongeur du Sahara : "Gerboise bleue". Perchée au sommet d'une tour à 100 m du sol, la bombe au plutonium d'une puissance de 70 kilotonnes, trois à quatre fois celle d'Hiroshima, explose au petit matin engendrant un gigantesque éclair qui illumine le ciel et au sol.

Depuis Paris, le général De Gaulle s'enthousiasme dans un télégramme adressé à son ministre des Armées, Pierre Messmer, présent sur place : "Hourra pour la France ! Depuis ce matin elle est plus forte et plus fière. Du fond du cœur, merci à vous et à ceux qui ont, pour elle, remporté ce magnifique succès."

En tout, l'armée française procédera à 17 essais nucléaires en Algérie. La dernière bombe explosera en février 1966, quatre ans après les accords d'Evian qui mettent fin à la guerre d'Algérie et qui contenaient des clauses autorisant une présence française dans le désert algérien.

Valéry Giscard d'Estaing et cette "saloperie" de bombe

Après l'Algérie, c'est au tour de la Polynésie française de connaître les essais et des expérimentations nucléaires. Le 2 juillet 1966, le tir Aldébaran est le premier des 193 essais nucléaires menés par la France dans les atolls de Mururoa et Fangataufa à près de 1 200 km au sud-est de Tahiti. L’explosion de la première bombe H, le 24 août 1968, marque un tournant chez les Polynésiens. Il s'agit d'une bombe thermonucléaire 170 fois plus puissante que celle larguée au-dessus d’Hiroshima en 1945.

Ces essais sont d'abord effectués dans l'atmosphère. Une méthode qui est accusée d'avoir provoqué des retombées nocives pour les populations locales. Alors que les Etats-Unis et l’URSS ont renoncé à cette méthode dès 1963, Il y aura 46 essais à l'air libre jusqu'en 1974. À cette époque, Valéry Giscard d'Estaing est le chef de l'État et donc le maître de la dissuasion nucléaire française. Pourtant, VGE était un président "qui n'aimait pas la bombe" comme l'expliquent Jean Guisnel et Bruno Tertrais dans leur livre Les Présidents et la Bombe. Jupiter à l'Élysée, (éd. Odile Jacob). Un désamour du président résumé dans une formule prêtée à Valéry Giscard d'Estaing : "Tant que je serai président, on ne se servira jamais de cette saloperie."

Jacques Chirac : "Une arme au service de la paix"

Les essais nucléaires sont réalisés dans les sous-sols ou sous les lagons polynésiens avant que la France ne décide d'un moratoire en 1992 sous la présidence de François Mitterrand. Le Premier ministre Pierre Bérégovoy l'annonce devant l’Assemblée nationale. Ce moratoire sera respecté par les grandes puissances nucléaires - la Russie, les États-Unis et la Grande-Bretagne – sauf la Chine.

Trois ans plus tard, le nouveau président Jacques Chirac rompt le moratoire et ordonne la réalisation d'une dernière campagne d'essais nucléaires dans le Pacifique. Officiellement, ces essais nucléaires ont pour but de compléter les données scientifiques et techniques pour passer définitivement à la simulation.

Mais la reprise des tirs déclenche un tonnerre de protestations et met la France en position d'accusée sur la scène internationale. De huit initialement prévus, ils seront réduits à six. Lors d'une allocution télévisée le 29 janvier 1996, le président Jacques Chirac annonce la fin définitive des essais nucléaires français : "Je sais que le nucléaire fait peur. Mais dans un monde toujours dangereux, il s'agit pour nous d'une arme de dissuasion, c'est-à-dire d'une arme au service de la paix."

François Hollande reconnaît "l'impact sur l'environnement et la santé"

Après l'arrêt des essais, la question des conséquences sanitaires et environnementales est devenue de plus en plus prégnante pour les Polynésiens alors que le niveau de radioactivité semble sous-évalué. En juillet 1974, un nuage radioactif issu d’un essai nucléaire a touché Tahiti, contaminant potentiellement près de 110 000 personnes comme le révèle le livre Toxique écrit par Sébastien Philippe et Tomas Statius (éd. PUF), en partenariat avec la cellule investigation de Radio France et du média Disclose.

Lors d'une visite en 2016, le président de la République François Hollande prend une série d'engagements et notamment de revoir les indemnisations des victimes des essais nucléaires conduits par la France entre 1966 et 1996, reconnaissant "l'impact sur l'environnement et la santé" de trente années d'essais dans cette région du pacifique. "Vous avez droit à des réparations mais surtout à l'égalité", ajoutera le chef de l'État.

Mardi soir à Papeete, Emmanuel Macron a de son côté reconnu "qu'on n'aurait pas fait ces mêmes essais dans la Creuse ou en Bretagne". Il a cependant déclaré "assumer pleinement" et défendu le choix fait par le général De Gaulle puis poursuivi par ses successeurs de doter la France de l'arme nucléaire, notamment pour protéger la Polynésie française.

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