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Peut-on congeler librement ses ovocytes en France ?

Apple et Facebook proposeraient de soutenir financièrement les femmes qui désirent congeler leurs ovules pour se concentrer sur leur carrière, selon la chaîne NBC News. Une telle initiative est-elle envisageable dans l'Hexagone ?

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un prélèvement d'ovocytes réalisé au service de chirurgie gynécologique de l'hôpital Antoine-Béclère (Hauts-de-Seine). (L. SOUCI / BSIP/AFP)

Les sociétés Apple et Facebook seraient prêtes à prendre en charge, à hauteur de 20 000 dollars (15 800 euros), la congélation des ovocytes de leurs salariées, selon la chaîne américaine NBC News (en anglais), mardi 14 octobre. Objectif : permettre aux employées de remettre à plus tard leur envie d'enfants pour se consacrer à plein temps à leur carrière professionnelle. Mais est-il possible, en France, de congeler ses ovocytes si on le souhaite ? Francetv info avance quelques éléments de réponse.

Légalement, ce n'est autorisé qu'en cas d'infertilité

Dans quel cadre est autorisée l'autoconservation d'ovocytes ? Modifiée en juillet 2011, la loi prévoit que "toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d'être prématurément altérée, peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité."

Les femmes concernées sont donc celles qui bénéficient d'une aide médicale à la procréation en cours, et celles qu'un traitement médical (notamment en cas de chimiothérapie) risque de rendre stériles, explique à francetv info Françoise Merlet, chef de pôle à l'Agence de la biomédecine (ABM), un établissement public national de l'Etat spécialisé dans la transplantation d'organes, de tissus et de cellules, la procréation, l'embryologie et la génétique humaine. 

Avant 2011, "seule la technique de congélation lente (beaucoup moins performante) était autorisée", explique Le Figaro. Mais depuis juillet 2011, il est possible de bénéficier d'un nouveau procédé : la vitrification. Cette technique consiste à congeler de manière ultrarapide et sans cristaux de glace des cellules reproductrices féminines. Un procédé qui permet, selon le quotidien, d'obtenir "un très bon taux de récupération après décongélation des ovocytes (...) puisqu'il est identique à celui des ovocytes frais".  

Mais certains obstétriciens veulent changer les règles... 

Plusieurs spécialistes sont montés au créneau pour réclamer la libéralisation de la pratique. En décembre 2012, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a publié "un argumentaire en faveur de l’autoconservation sociétale des ovocytes". 

Premier argument avancé : cette "autoconservation" est "la seule méthode de traitement de l’infertilité réellement efficace à 40 ans et plus". Or, les femmes ont tendance à avoir leur premier enfant de plus en plus tard. Environ 20% des Américaines ont ainsi leur premier bébé à 35 ans, alors que l'âge accroît les risques d'infertilité, selon le site Eggsurance.com. Une tendance qui se développe aussi en France. 

Un argument que réfute Françoise Merlet. "L'autoconservation des ovocytes ne donne pas l'assurance d'avoir un enfant plus tard. C'est un leurre pour les femmes", assure-t-elle. Selon une étude d'août 2013 de la revue scientifique américaine Fertility and Sterility, citée par Slate, les ovocytes vitrifiés d'une femme de plus de 30 ans ont moins de 25% de chance d'être fécondés. L'Agence de la biomédecine alerte aussi sur la "banalisation des conceptions tardives", malgré des risques pesant sur la santé de la mère et de l'enfant.

Second argument avancé par les défenseurs d'une libéralisation de l'autoconservation, l'égalité hommes-femmes. "Un homme peut faire conserver son sperme s’il se fait ligaturer les canaux déférents [vasectomie], c’est une conservation de convenance, avance, sur Rue89, René Frydman, un des pères de la fécondation in vitro. Je ne vois pas au nom de quoi une femme n’aurait pas le droit de disposer de ses ovocytes, à part si elle a un cancer."

Un argument qui ne tient pas, pour Françoise Merlet. "La préservation de la fertilité s'inscrit dans le même cadre pour les hommes et pour les femmes." La spécialiste précise que l'autoconservation du sperme dans le cadre d'une vasectomie est une situation "historique et totalement marginale", datant d'avant le cadre légal.

... ce qui soulèverait des questions financières et éthiques

Qui prend en charge financièrement l'autoconservation des ovocytes en France ? "La Sécurité sociale, à hauteur des besoins, et on se bat pour que chaque patiente dont la fertilité est menacée soit financée", répond Françoise Merlet.

Mais, ajoute-t-elle, la stimulation ovarienne et le fait de prélever des ovocytes sont des actes médicaux susceptibles d'avoir un impact sur la santé : ils ne sont donc pris en charge que dans des cas très précis. "C'est cohérent avec notre système d'assurance-maladie solidaire, estime-t-elle. Et la France n'autorise pas d'activités business dans ce domaine." 

Or, si Facebook, une des sociétés les plus riches au monde, est prête à débourser jusqu'à 20 000 dollars dans la congélation d'ovocytes d'une salariée, ce sera via une mutuelle privée d'entreprise et cela ne concernera que les salariées cadres de la société. L'univers bien particulier des géants du web.

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