Prostitution : qui sont les clients ?
Le gouvernement veut pénaliser les clients des prostituées. Cela ne plaît pas aux "343 salauds", qui publient un manifeste. L'occasion pour francetv info de résumer ce que l'on sait des clients des prostituées.
Ils payent pour obtenir un service sexuel. Ce sont des hommes, en immense majorité. Mais bientôt, les clients des prostituées pourraient être sanctionnés par une amende de 1 500 euros, doublée en cas de récidive. Une proposition de loi qui va dans ce sens, et qui vise aussi à abroger le délit de racolage public, a été déposée lundi 14 octobre par le groupe socialiste à l'Assemblée. Les députés devraient examiner le texte le 27 novembre. En attendant, cela fait grincer les dents des "343 salauds", dont Frédéric Beigbeder, Eric Zemmour, Nicolas Bedos, qui publieront un manifeste dans le prochain numéro du magazine Causeur, pour revendiquer leur droit d'avoir recours au sexe tarifé.
Les députés estiment qu’il faut s’intéresser aux clients, longtemps préservés mais acteurs de la prostitution, afin de provoquer une prise de conscience des implications de leurs actes. Or, derrière le mot "client", il n'y a pas de profil type et unique, mais plusieurs caractéristiques qui définissent ces hommes.
Ils voient la femme comme un objet et sont parfois violents
Les parlementaires de tout bord estiment que la violence est inhérente à toutes les formes de prostitution. C'est pour enrayer cette violence qu'ils veulent pénaliser les clients. Les acteurs de terrain partagent ce constat, mais pour eux, une telle mesure aurait surtout pour effet de renforcer la précarité et la stigmatisation de celles qu'il s'agit officiellement de secourir.
Beaucoup de clients s'autorisent à dominer la prostituée, voire à être violents, car la relation est tarifée, et à ce titre, un service acheté. "Sans faire de mal à la femme, (...) je me venge un peu sur elle quoi, je sens la sexualité (...). Enfin, elle, elle aime ça. (...) Je n'ai pas envie de faire mal, attention… Tiens, je la domine", explique un client dans Les Clients de la prostitution. L'enquête (Presses de la Renaissance, 2006), de Claudine Legardinier et Saïd Bouamama.
Des pratiques violentes évoquées dans certains commentaires sur internet. "Et elle continue à encaisser. C'est clair, elle cherche à faire plaisir. Pour lui apprendre les bonnes manières, je [le passage de ce commentaire a été retiré pour ne pas heurter les sensibilités]. La seule chose qu'on pourrait lui demander de plus, c'est de s'assouplir pour mieux dilater", écrit un homme dans un commentaire cité par le Tumblr Paroles de clients, sur lequel une féministe a compilé les avis les plus choquants.
Plus généralement, sur ces forums, les prostituées, souvent des escort girls, sont considérées comme des produits : "Pour qui aime les mamies de 65-70 ans, allez-y. Les autres, passez votre chemin." Ils décrivent leurs rapports sexuels avec des mots crus et de leur point de vue, sans aborder le plaisir de la femme. Car les clients ont en commun une vision fantasmée et avilissante de la femme qui se prostitue, ainsi qu'une vision très inégalitaire des rapports entre hommes et femmes.
Ils ont entre 20 et 50 ans
Une enquête sur la sexualité en France, réalisée en 2008, affirme que 3,1% des hommes ont eu un rapport sexuel avec une personne prostituée au cours des cinq dernières années. Un chiffre stable : c'était le cas de 3,3% d'entre eux en 1992. Selon l'enquête de 2008, ce sont les hommes âgés de 20 à 34 ans qui y ont le plus recours.
A partir de son étude (PDF), réalisée pour le Mouvement du Nid, une association d'aide aux prostituées qui milite en faveur de l'abolition de la prostitution et de la pénalisation des clients, le sociologue Saïd Bouamama constate, au contraire de l'étude précédente, que la majorité des clients (47,6%) ont entre 30 et 50 ans. En 2004, il est parvenu à interroger 63 clients de prostituées. "Ce qui, sur un tel objet, est déjà conséquent", estime-t-il.
Ils sont bien insérés socialement
"Ils sont 69,8% à vivre ou avoir vécu en couple, mais les personnes ne vivant pas en couple sont fortement majoritaires puisqu'elles représentent 65,1% de l'échantillon. (...) Par ailleurs, ils sont plus de la moitié à être pères (55,5%)", indique le sociologue.
Sur 63 clients interrogés, 35 sont cadres, commerçants ou chefs d'entreprise. "Il semble que l'aspect financier soit un facteur freinant le recours à la prostitution pour les catégories modestes et pour les clients occasionnels", relève Saïd Bouamama. Les clients occasionnels* se retrouvent ainsi majoritaires, d'après cette étude (30 personnes, soit 63,8%), qui tente aussi de classer les clients en fonction de leurs trajectoires personnelles et de leurs motivations.
Ils manquent parfois d'éducation sexuelle
Derrière ces chiffres, il y a les témoignages, retranscrits tels quels par le sociologue. "Je n'avais pas le droit, à 22, 23 ans, de ramener une copine à la maison, etc. (...) Je me suis dit si un jour que si je voulais savoir comment ça fonctionne, il faut absolument que j'aille voir. Dès que j'en ai eu l'occasion, j'ai sauté sur l'occasion, j'avais quand même 24 ans [sic]", raconte un des clients interrogés par Saïd Bouamama. Absence d'éducation sexuelle, tabou familial sur le sexe : autant de raisons qui peuvent encourager un homme à payer pour des relations sexuelles.
Certains n'ont pas de vie affective
"Ça m'est arrivé d'être heureux, parce que bon, c'était pas tellement pour le fait physique, c'est le fait du contact que j'ai eu moral avec la personne, où on s'était parlé. (...) Oui, oui. Mais autrement ben on sort frustré bien sûr, on aurait aimé rester plus longtemps [sic]", confie un autre homme. Il illustre une autre réalité : certains clients payent pour un acte sexuel, mais recherchent aussi un rapport humain qu'ils ont échoué à créer dans leur vie. Pour ces personnes, Saïd Bouamama parle d'isolement affectif et sexuel.
Ils sont insatisfaits des relations sexuelles dans le couple
Dans les témoignages recueillis par Saïd Bouamama, les hommes mariés expliquent qu'ils font appel à des prostituées car ils ne souhaitent pas tromper leur femme, "du fait du risque d'engagement affectif que supposerait une infidélité". "En définitive, ces hommes émettent (...) une demande paradoxale et sont généralement insatisfaits de leur clientélisme", analyse le sociologue. Le client insatisfait de la sexualité de son couple est "une figure dominante", note-t-il.
"Nous pouvons réaliser des pratiques qu'il ne nous est pas possible de réaliser avec [notre] partenaire de tous les jours. Et il nous est possible de découvrir tous les types de femmes selon nos critères physiques", témoigne Radric, 24 ans, en couple, dans Le Monde (pour abonnés), le 17 septembre. "Antoine Inconnu", la quarantaine, ajoute qu'il "'réalise' avec les prostituées 'ce qu'il n'est pas en mesure de réaliser' avec son épouse. Il parle aussi d'un 'besoin de changement, de nouveautés'".
Contactés via des sites internet consacrés à la prostitution, ces clients ont accepté d'expliquer leur comportement au Monde en conservant leur anonymat. Mais ils ont hésité. "Il n'est pas toujours évident pour un homme de parler de relations tarifées avec une femme. La peur du jugement et de passer pour un salaud, ce que je suis sûrement mais je n'ai pas envie d'y penser", commente Jean, 37 ans, divorcé. Objet d'un débat passionné, mais taboue, la prostitution reste un sujet difficile à étudier, du côté des clients comme des prostituées.
* Qui ont eu moins de 20 contacts avec une prostituée dans leur vie, ou qui n'ont pas de contacts réguliers dans le temps, car certains occasionnels indiquent des moments de régularité intenses (en vacances, lorsqu'ils sont en groupe…).
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