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Derrière le discours des Bernardins, comment Macron courtise les catholiques

Enquête sur le discours des Bernardins, où le Président a exposé, le 9 avril dernier devant les évêques de France, sa conception de la place des catholiques dans la société. Coulisses d’un discours qui a fait couler beaucoup d’encre.

Article rédigé par franceinfo - Laetitia Cherel. Cellule d'investigation de Radio France
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Emmanuel Macron sert la main de l'archevêque de Paris, lors de la conférence des évêques de France, au collège des Bernardins, à Paris. (LUDOVIC MARIN / POOL)

"Un président de la République prétendant se désintéresser de l'Église et des catholiques manquerait à son devoir." C’est par ses mots que, le 9 avril dernier, sous les voûtes du collège cistercien des Bernardins à Paris, devant les évêques de France, Emmanuel Macron a entamé son discours. Un président chez les évêques, c’est une première depuis la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Le chef de l’État a également évoqué son souhait de vouloir "réparer le lien entre l’Église et l’État qui, selon lui, s’est abîmé". Une phrase qui a provoqué beaucoup de critiques, la gauche l’accusant d’attaquer la laïcité.

"On sentait une réelle volonté de réconcilier l'Église catholique avec l'État"

Un discours d'une heure devant 400 invités représentant les forces vives du monde catholique. "C'était une soirée très courue, beaucoup de gens ont demandé à y être et n'ont pas pu être invité, raconte la journaliste spécialiste des religions à Libération, Bernadette Sauvaget. On sentait une réelle volonté de réconcilier l'Église catholique avec l'État. Tout le monde était très content de ces retrouvailles."
Sous la présidence de François Hollande, les relations entre l’Église et l’État s’étaient nettement rafraîchies, pour ne pas dire dégradées. La très vive opposition de certaines franges du catholicisme au mariage pour tous a laissé des traces de part et d’autre, d’où une volonté mutuelle de réconciliation.

Recoller les morceaux après l’entre-deux tours de la présidentielle

Les évêques de France sont à l’initiative de ces "retrouvailles" au collège des Bernardins. Un mois après l’élection d’Emmanuel Macron en mai 2017, ils lancent une invitation officielle au président de la République. "La réponse a été donnée dans la seconde, affirme le porte-parole de la Conférence des évêques de France, Vincent Neymon. C'était très simple." Selon nos informations, du côté de l'Élysée, ce feu vert a été mûrement réfléchi. Une petite phrase prononcée par le pape François entre les deux tours de l'élection présidentielle 2017 a été assez mal vécue dans le camp Macron. Invité à se prononcer sur les deux candidats, le pape François botte en touche et refuse de prononcer, indiquant à propos de Marine Le Pen et d'Emmanuel Macron : "Je ne connais pas l’histoire, leur parcours, je sais que l’un représente la droite forte, mais l’autre, je ne sais pas d'où il vient."

D’autant qu’Emmanuel Macron a pris le soin de rencontrer, fin 2016, quand il était encore candidat à la présidentielle, le Nonce apostolique en France (représentant officiel du Vatican), et d’échanger avec lui sur son programme.

À cette petite phrase du pape s’ajoute le flottement de l’Église de France dans l’entre-deux tours de la présidentielle. La conférence des évêques de France ne se positionne pas clairement sur le candidat à soutenir. "Contrairement à 2002, où l'ensemble de l'épiscopat avait très clairement pris position pour Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen, en 2017, les catholiques se sont retrouvés un peu livrés à eux-mêmes, explique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’institut de sondage IFOP. L’épiscopat français a bien publié un texte, dans lequel on peut comprendre un appel à faire barrage à Marine Le Pen. Mais ce n'est plus aussi explicite qu'en 2002. Les évêques savent qu'une partie de leur base vote ou est tentée de voter pour le Front National." 

Selon l’entourage d’Emmanuel Macron, une "mise au point" entre l'Élysée et les évêques a bien lieu sur ces sujets, avant que cette invitation aux Bernardins ne soit validée. L’idée, avec les Bernardins, est, dit-on à l'Élysée, "de recoller les morceaux".

"Dire que l'Église catholique a conforté la République est un non-sens politique"

Pour renouer le dialogue avec l'Église, le président, dans son discours, n’hésite pas à aller assez loin dans son expression. Emmanuel Macron tient à affirmer que l’Église fait partie intégrante de l’Histoire, et surtout, de la nation française : "La France a été fortifiée par l’engagement des catholiques", "La Nation s'est le plus souvent grandit de la sagesse de l'Église""Je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation". Une vision de l’histoire de France qui – pour certains – ne passe pas. "La République, contrairement à ce que dit le président, ne s'est pas faite avec l'Église catholique mais contre elle, fulmine le socialiste Jean Glavany. Le parti religieux s'est opposé à la République, et systématiquement, au pouvoir civil."

L'ancien ministre rappelle les positions prises par le pape Pie XI (pontificat de 1922 à 1939), qui condamnait la République, et excommuniait ceux qui voulaient réconcilier l'Église et l'État. "Cela a été d'une grande violence. Dire aujourd'hui que l'Église catholique a conforté la République ou a aidé à l'établir est un non-sens politique et je ne comprends pas pourquoi le président dit des choses pareilles." Du côté de l’Élysée, on affirme qu'il s’agit pour Emmanuel Macron, à travers ce discours, de "faire nation" et de réconcilier "des pans de la société française très clivés", qui selon Bruno Roger-Petit, le porte-parole de la présidence de la République, "ne se supportent plus les uns et autres."

Des références de tous bords

Aux Bernardins, Emmanuel Macron émaille son discours de de nombreuses références à des auteurs et penseurs de toutes les sensibilités catholiques, de tous bords. Une vingtaine de références, de François Mauriac, Maurice Clavel en passant par la philosophe Simone Weil. "Cela a fait sourire certains, parce qu’à ce stade on peut parler de "name dropping" [procédé consistant à citer des noms connu]. Cela donne le sentiment qu'il a voulu donner des gages et prouver la qualité et l'ampleur de ses références intellectuelles chrétiennes en citant un maximum de noms, analyse le journaliste de La Croix, Gauthier Vaillant. Il a essayé de s'adresser à toutes les sensibilités, de droite comme de gauche."

Le président de la République fait également allusion à son propre parcours dans ce discours. "Je me fais une haute idée des catholiques, pour des raisons biographiques, personnelles et intellectuelles." En effet, Emmanuel Macron, dont on dit qu’il est agnostique, a baigné dans un environnement catholique. Baptisé à 12 ans à sa demande, il effectue la majeure partie de ses études secondaire une école jésuite. Bien plus tard, entre 2010 et 2017, il intègre le comité de rédaction de la revue Esprit, "qui évoque souvent les religions, et considère cela comme 'un sujet important'", selon Jean-Louis Schlegel, qui dirige la rédaction.

"La vie de l’enfant à naître"

Comme pour montrer aux catholiques qu’il parle leur langage, le chef de l’état emprunte parfois le vocabulaire propre aux thématiques catholiques. "Entre la vie de l’enfant à naître, celle de l’être parvenu au seuil de la mort, ou celle du réfugié qui a tout perdu, vous voyez ce trait commun du dénuement, de la nudité, de la vulnérabilité absolue." L'utilisation de l’expression "la vie de l’enfant à naître" n’est pas anodine : c'est LA formule utilisée par ceux qui considèrent que le fœtus est un être humain à part entière dès le début de la grossesse. "C'est le terme utilisé par tous les opposants à l'avortement et par l'Église, explique Gauthier Vaillant. Le fait qu'Emmanuel Macron l'utilise ne veut rien dire sur sa position par rapport à l'IVG, mais c'est une manière de dire à son auditoire : 'Je connais votre langage et je sais le parler'. Je suis sûr que beaucoup de catholiques ont été sensibles à cela."

Une stratégie là aussi parfaitement assumée par l’entourage d’Emmanuel Macron. "Si on veut se faire comprendre, il faut avoir une convergence sémantique" nous explique l’Élysée. "Il leur fait la leçon avec leurs propres mots, analyse Thomas Legrand, éditorialiste à France Inter. Tout ce discours était étonnant, on aurait dit un sermon. Il y avait une petite pointe de démagogie. Mais avec des messages fermes."

Faire passer la pilule de la PMA

Au-delà de la volonté de renouer le dialogue, ce discours, s’inscrit dans un agenda politique, avec entre autres la révision des lois de bioéthique prévues cette année. Un sujet très sensible pour les catholiques, notamment l’ouverture éventuelle aux couples de femme de la PMA, la procréation médicalement assistée. Une promesse de campagne d’Emmanuel Macron.

Le président de la République consacre une large part de son discours aux questions de bioéthique. Il insiste pour rappeler qu'il a ouvert les débats des États généraux mis en place par le Comité national consultatif, aux citoyens et à l’Église ainsi qu’aux autres religions (contrairement à François Hollande qui n’avait pas organisé de débats sur le mariage pour tous).

Le chef de l’État insiste sur l’importance de l’avis de l’Église sur ces questions "qui ne sont pas simples". Mais il tient aussi à rappeler sèchement que l’Église ne doit pas être "injonctive", mais dans le "questionnement", et que l’État n’a pas de leçons à recevoir de sa part. "Il a sans doute fait un retour d'expérience", confirme Jérôme Fourquet, auteur du livre A la droite de Dieu, paru aux éditions du Cerf, évoquant la période où Emmanuel Macron était secrétaire général adjoint de l’Élysée, il y a cinq ans. "Il veut faire en sorte que seuls les noyaux les plus politisés et les plus militants défilent, sans avoir des centaines de milliers de personnes dans la rue, poursuit le politologue. Il prépare le terrain sur une ouverture de la PMA."

Du côté des opposants, même si on apprécie l’ouverture des débats de bioéthiques aux citoyens et le discours aux Bernardins, on reste très mobilisé. "Ce n’est pas parce qu’il nous passe de la pommade qu’il va nous endormir", nous confie un militant. "La mobilisation serait immense, prévient Ludovine de la Rochère, la présidente de la Manif pour tous. Ce serait tenter de berner les Français et de se moquer de la démocratie. La réaction serait encore plus épidermique." Un avertissement très clair.

Politique envers les migrants : un "humanisme réaliste"

Il n’y a pas que la bioéthique qui contrarie une partie de l'Église. Très critiquée par certaines associations, notamment catholiques, la politique du gouvernement envers les migrants est vivement défendue par Emmanuel Macron dans son discours des Bernardins, qui n'hésite pas à parler d'"humanisme réaliste" pour justifier sa politique migratoire. "Les migrants qui sont sur notre territoire sont traités comme des chiens, poursuivis et harcelés, bondit Véronique Fayet, présidente du Secours catholique. Des milliers de personnes campent en plein Paris, des mineurs sont renvoyés vers l'Italie, ce qui est illégal. On ne peut pas dire que les exilés sont reçus de façon humaniste."

Les élections européennes dans le viseur

Une autre phrase d’Emmanuel Macron a suscité des de nombreuses interrogations.
"Ne restez pas au seuil, ne renoncez pas à la République que vous avez si fortement contribué à forger ; ne renoncez pas à cette Europe dont vous avez nourri le sens." Pour le politologue Jérôme Fourquet, cet appel à l’engagement des catholiques est un signal à l'électorat du centre et de la droite en vue des élections européennes de 2019. "Il existe toute une frange du catholicisme issue de la démocratie chrétienne, qui a été l'un des maillons les plus importants dans la construction européenne, affirme Jérôme Fourquet. Une bonne partie de cet électorat - proche de François Bayrou - est déjà reliée à Emmanuel Macron, mais une autre est plutôt historiquement fidèle à la droite classique. C'est à eux qu'il s'adresse. Cet appel a un objectif électoral et politique."

Les réactions des catholiques

Comment les catholiques ont-ils vécu ces signaux ? Beaucoup ont apprécié le discours d’Emmanuel Macron. D’autres ont eu des réactions plus partagées, à l’exemple de ces courriers de lecteurs reçus au journal La Croix. "Merci monsieur le président d'avoir défini une conception de la laïcité qui me rassure. Mais je reste toujours opposé à la politique sociétale de votre programme." À la fois satisfaits mais pas vraiment rassurés, ils ont été nombreux à réagir. "Que font vos sbires Monsieur Macron ne serait-ce que vis-à-vis des sans-papiers ? Je constate que les obligations de quitter le territoire tombent comme à Gravelotte", écrit un autre. Pour un troisième, "Macron a fort bien et très justement parlé, avec moult citations bien appropriées au contexte. Reste les sujets, sur lesquels la République a été précisément interpellée, et sur ces sujets, force est de constater que le président s’est révélé d’une totale transparence, au sens littéral du terme."

Extrait du journal La Croix. (CAPTURE D'ECRAN LA CROIX)

"Ce sont des courriers assez vindicatifs, résume Gauthier Vaillant. Le message est très clairs, ils ont entendu des belles choses, mais sur les migrants, sur la fin de vie, sur la PMA, ils ne savent pas ce qu'Emmanuel Macron pense, ne savent pas ce qu'il va faire, et cela les inquiète." Du côté du Vatican, selon des sources proches du Saint-Siège, ce discours a été très bien reçu. Hasard de calendrier ou non, Emmanuel Macron devrait rencontrer le 26 juin 2018 l’homme qui disait ne pas connaître le président y a un an, le pape François.

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