Comment l'Eglise a tenté de couvrir les affaires de pédophilie en Pennsylvanie
Selon le procureur général de l'Etat de Pennsylvanie, "le Vatican était au courant des abus et était impliqué dans leur dissimulation".
Pendant plus de soixante-dix ans, plus d'un millier d'enfants ont été victimes d'abus sexuels perpétrés par des prêtres de l'Eglise catholique dans l'Etat de Pennsylvanie, aux Etats-Unis. C'est ce que dévoile un rapport diffusé le 14 août dernier, réalisé par les services de Josh Shapiro, le procureur général de Pennsylvanie, après deux ans d'enquête. Le document dénonce notamment la façon dont l'Eglise a méthodiquement couvert ces actes.
"Ils ont tout caché, pendant des décennies"
Commis au sein de six des huit diocèses de Pennsylvanie (les deux autres ayant fait l'objet de procédures séparées), certains actes pédophiles impliquant des prêtres américains dateraient des années 1940. Le rapport final du procureur général (PDF en anglais), rédigé par un jury populaire, pointe, depuis cette date, des centaines d'affaires similaires sur des mineurs. Attouchements sexuels, pénétration orale, anale ou buccale, et même organisation secrète d'avortements à la suite de viols… Les descriptions des comportements pédophiles publiées dans ce rapport se ressemblent toutes et choquent par la violence et la régularité de ces actes.
A ce jour, sur les 301 prêtres accusés dans le document, seuls deux ont été inculpés par la justice américaine. Dans les autres cas, les faits sont trop anciens, et donc prescrits. Dans toutes ces affaires, aucun prêtre n'a été radié de l'Eglise. Pendant des années, ces hommes ont seulement été déplacés de paroisse en paroisse, rappelés à l'ordre ou couverts par le clergé. "Toutes ces affaires ont été balayées d'un revers de main, dans chaque coin de l'Etat, par des dirigeants de l'Eglise qui préféraient protéger les agresseurs et leur institution avant tout", dénoncent ainsi les auteurs du rapport. "Des prêtres violaient des petits garçons et des petites filles et les hommes de Dieu qui en étaient responsables non seulement n'ont rien fait, mais ils ont tout caché. Pendant des décennies", accuse le rapport.
Tout au long de la fin du XXe siècle, les diocèses ont développé des stratégies durables pour cacher ces abus sexuels pédophiles. Ces schémas apparaissent clairement dans les documents.
Extrait du rapport publié le 14 août 2018
Une méthode rodée, "comme un manuel pour cacher la vérité"
Le rapport dénonce la méthode employée par la hiérarchie de l'Eglise pour étouffer ces affaires. Tellement rodée qu'elle ressemble à "un manuel pour cacher la vérité". Si un rapport doit être fait sur un prêtre ou un homme d'Eglise à propos d'agissements pédophiles, le mot "viol" ne doit jamais être utilisé et les rédacteurs doivent privilégier les expressions comme "comportement inapproprié" ou parler d'un "problème de limites", explique le New York Times (en anglais). Le Monde relate ainsi les agissements d'un prêtre ayant commis des pénétrations orales et anales sur plusieurs petits garçons. Malgré ces actes, il a été félicité par l'évêque de sa paroisse pour les "progrès" effectués pour "contrôler son addiction".
Le rapport reproche également à l'Eglise de ne pas conduire de réelles investigations à l'aide de personnes "correctement formées", ou encore de faire "évaluer psychologiquement les prêtres mis en cause, mais dans une structure dépendant de l'Eglise". Si un prêtre était finalement démis de ses fonctions, on disait à ses paroissiens qu'il était en "arrêt maladie" ou qu'il souffrait de "fatigue nerveuse", poursuit le document.
L'essentiel n'était pas d'aider les enfants, mais d'éviter le 'scandale'. Ce n'est pas notre mot mais le leur ; il apparaît partout dans les documents que nous avons récupérés.
Extrait du rapport publié le 14 août 2018
Le Vatican "au courant"
Ces abus et ces dissimulaions n'étaient pas simplement couverts par la hiérarchie cléricale locale, mais ils sont remontés jusqu'aux plus hauts niveaux de l'Eglise. Le Vatican était au courant de ce qu'il se passait en Pennsylvanie, a expliqué Josh Shapiro, le procureur général de l'Etat de Pennsylvanie, sur CBS, mardi 28 août.
Nous avons la preuve que le Vatican avait connaissance de cette dissimulation.
Josh Shapiro, procureur général de l'Etat de Pennsylvaniesur CBS
"Il y a des exemples dans lesquels, lorsque des abus avaient eu lieu, les prêtres mentaient aux paroissiens, mentaient aux forces de l'ordre, au public, mais documentaient tous les abus dans des archives secrètes qu'ils partageaient souvent avec le Vatican", a détaillé Josh Shapiro, sans préciser si le pape François ou ses prédécesseurs étaient personnellement au courant.
Non seulement le Vatican était au courant des abus, mais, dans certains cas, il était même directement "impliqué dans leur dissimulation", a ajouté Josh Shapiro.
Des pressions avant la publication du rapport
Le document du procureur général de Pennsylvanie précise que la protection offerte à ces prêtres remontait jusqu'aux plus hautes instances de l'institution aux Etats-Unis : trois évêques et cardinaux ont ainsi été forcés à la démission ces dernières années, pour avoir fermé les yeux sur ces comportements. Plusieurs cadres de l'Eglise ont également refusé d'enquêter sur des accusations visant des prêtres, comme le souligne Josh Shapiro. "La dissimulation par l'Eglise a empêché que la justice soit rendue pour ces victimes", déplore-t-il.
Certains ont même tenté de faire obstacle à la diffusion du rapport de Josh Shapiro. "Des membres du diocèse ont essayé d'empêcher ce rapport de voir la lumière du jour", a indiqué ce dernier dans une déclaration. Laurie Goodstein, journaliste spécialiste de la religion pour le New York Times, précise que "deux diocèses de Pennsylvanie ont tenté de ralentir le processus" dans cette affaire. "Ils se sont dit : 'pourquoi ne laisserions-nous pas les procureurs locaux s'occuper de cela ?' En sachant parfaitement que le procureur général de Pennsylvanie aurait plus de pouvoir, serait plus attentif et pourrait mettre en place de plus grandes investigations", explique l'experte.
Toujours des démentis
Selon elle, environ douze ou treize personnes, citées dans le rapport, auraient "demandé au tribunal d'empêcher le rapport d'être révélé". Ce groupe serait composé de plusieurs prêtres et "d'au moins un évêque retraité", souligne-t-elle. Pour Laurie Goodstein, "l'attitude de l'Eglise est d'ailleurs toujours d'essayer, plus ou moins, d'étouffer l'affaire". Il a d'ailleurs fallu deux jours au Vatican pour réagir à ces informations. Dans un communiqué publié le 16 août, le Saint-Siège a exprimé sa "honte" et sa "douleur" après la publication du rapport, affirmant que les "victimes doivent savoir que le pape est à leurs côtés", et que "ceux ayant souffert sont sa priorité, l'Eglise veut les écouter pour éradiquer cette horreur tragique qui détruit la vie des innocents".
Mais certains membres haut placés de l'Eglise continuent de nier leur implication, comme le souligne CNN. Josh Shapiro accuse par exemple le cardinal Donald Wuerl, actuel archevêque de Washington, de "ne pas dire la vérité" sur ces révélations. Cet homme, ancien évêque de Pittsburgh de 1988 à 2006, se défend d'avoir ignoré les actes de pédophilie au sein de sa paroisse, en expliquant avoir "agi avec assiduité, dans un souci des victimes et le souhait d'empêcher de futurs actes d'abus". Pour Josh Shapiro, ces déclarations "sont directement contradictoires avec les documents appartenant à l'Eglise elle-même, et qui étaient gardés dans des archives secrètes". Avant de conclure : "Ces déclarations trompeuses ne font que renforcer la couverture mise en place par l'Eglise [sur cette affaire]."
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