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Religieux enlevés en Haïti : "Il faut craindre pour leur vie", leurs ravisseurs sont de "vrais criminels", estime un spécialiste du pays

Jean-Marie Théodat estime que les ravisseurs des religieux, qui appartiennent au gang des "400 Mawozo" sont "des chiens enragés".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Vue de la capitale Port-au-Prince, 2017 (HECTOR RETAMAL / AFP)

Jean-Marie Théodat, maître de conférence à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, géographe et spécialiste de Haïti, a affirmé que les religieux, dont deux Français, qui ont été enlevés en Haïti ce dimanche sont entre les mains de "vrais criminels, des gens qui sont des chiens enragés dont les maîtres ont perdu le contrôle". L’un des ravisseurs réclame "une rançon d'un million de dollars", a témoigné un prêtre. Selon Jean-Marie Théodat, "il faut craindre pour leur vie".

franceinfo : Qui est le gang des "400 Mawozo" ?

Jean-Marie Théodat : Les "400 Mawozo", c’est un des gangs parmi la centaine qui opèrent sur le territoire national, constitué souvent d'anciens policiers ou de policiers encore actifs, mais qui agissent sous couvert de gangstérisme. Ils sont, nous le savons depuis des lustres, aux commandes des hommes politiques qui occupent le devant de la scène en Haïti. Les sénateurs, les députés, les ministres, les membres du gouvernement pour ne pas dire le président lui-même, tout le monde revendique un gang.

Les enlèvements sont-ils fréquents ?

Très fréquents. Les enlèvements ne sont que la face la plus visible d'un dérèglement social beaucoup plus profond, beaucoup plus systémique depuis 2018, date des premières grandes manifestations contre le pouvoir accusé de corruption. C'est comme cela que tout ça a commencé. Pour créer une sorte de contre-feu, on a vu dans la foulée de ces grandes manifestations pour la reddition des comptes sur la dilapidation des fonds publics, cette floraison de gangs qui ont systématiquement dispersé les manifestations. Finalement, c'est un chaos contrôlé, malgré tout.

Est-ce que le fait qu'il y ait deux Français parmi les religieux a joué un rôle dans cet enlèvement ?

Qu'ils soient Français n'a absolument aucune incidence. C'est le fait d'être blanc, d'être religieux, d'être dans un véhicule probablement 4x4 tout terrain qui permet d'aller partout. Cela vous désigne comme faisant partie de la catégorie des privilégiés d'Haïti, donc une proie possible pour ces gens qui cherchent tout simplement le baladin cousu d'or qui passe au mauvais moment au mauvais endroit. Et ces religieux sont tombés dans un traquenard. Nous avons affaire à de vrais criminels, des gens qui sont des chiens enragés, dont les maîtres ont perdu le contrôle. La semaine dernière, c'était un prêtre, un pasteur adventiste qui a été kidnappé en plein service. Ils cherchent à frapper l'imagination et ils sont prêts à aller jusqu'au bout.

Un changement de gouvernement est-il nécessaire en Haïti ?

Bien plus que ça. Il faudrait vraiment un nouveau contrat social en Haïti. Il y a quand même un paradoxe dans ce pays qui s'est libéré de l'esclavage, le premier dans toute l'histoire de l'humanité, et se retrouve aujourd'hui à reproduire le modèle d'un trafic d'humains qui reproduit à l'identique les captures de négriers en Afrique pour les vendre en Amérique. La seule différence, c'est qu'on n'a pas à traverser, le commerce se fait sur place. Mais c'est la même indignité. C'est le même déni d'humanité qui nous frappe.

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