Ce que l'on sait de la mise en retrait du proviseur du lycée Maurice-Ravel à Paris, après une altercation liée au port du voile et des menaces de mort en ligne

Un message interne à l'établissement affirme que ce responsable quitte son poste "pour des raisons de sécurité", ce que le rectorat n'a pas confirmé.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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La cour du lycée Maurice-Ravel, à Paris, le 5 mars 2024. (SERGE TENANI / HANS LUCAS / AFP)

Le proviseur de la cité scolaire Maurice-Ravel à Paris a quitté ses fonctions, a fait savoir le rectorat de Paris, mardi 26 mars, invoquant un "départ anticipé" à la retraite, accordé "au vu des évènements qui ont marqué ces dernières semaines, de leur médiatisation et de l'impact qu'ils ont pu avoir sur lui". Selon un message interne envoyé aux enseignants, aux élèves et à leurs parents, plus tôt dans la journée, le chef d'établissement est parti "pour des raisons de sécurité", ce que l'administration n'a pas confirmé. 

Le proviseur "n'a pas démissionné", a pour sa part déclaré la ministre de l'Education nationale Nicole Belloubet, mercredi devant la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée. "Il est en retrait (...). Il est actuellement en autorisation spéciale d'absence jusqu'au mois de juillet, jusqu'à la date de sa mise à la retraite", a-t-elle ajouté. Dans la soirée, le Premier ministre Gabriel Attal a apporté son soutien au proviseur, annonçant une plainte de l'Etat contre l'élève qui l'avait accusé de violence.

Il avait été la cible de menaces de mort sur internet après une altercation avec une élève à laquelle il demandait de retirer son voile dans l'enceinte cet établissement du 20e arrondissement, fin février. Un homme de 26 ans a été interpellé pour les menaces et sera jugé le 23 avril. Une enquête a également été ouverte sur l'incident entre le proviseur et l'élève, qui ont tous deux porté plainte. Celle déposée par l'élève a été classée sans suite, a annoncé mercredi le parquet de Paris. Franceinfo fait le point sur ce que l'on sait de cette affaire.

Une altercation a opposé le proviseur à une élève, qui l'accuse de l'avoir frappée

Selon le récit du parquet, le proviseur a, le 28 février, "rappelé à trois élèves l'obligation de retirer leur voile dans l'enceinte du lycée". L'une d'entre elles, majeure et scolarisée en BTS, "a ignoré le proviseur, ce qui a provoqué une altercation". Ce responsable a ensuite voulu "entraîner vers la sortie de l'établissement" l'élève, qui a "résisté", ont rapporté les services du ministère de l'Education nationale à l'AFP. "Devant la montée de tension et pour éviter l'altercation", il "s'est retiré et la police est intervenue", concluait le ministère.

Dans le même temps, l'élève de BTS a livré sa version de l'incident au Parisien, confirmant qu'elle sortait du lycée quand elle a croisé le proviseur. "J'avais mon bonnet et ma capuche sur la tête ainsi que mon voile, mais qui n'était pas mis complètement, a-t-elle affirmé. Le proviseur est arrivé vers nous et a commencé à crier sur ma copine. Il a vu qu'elle enlevait son bonnet et son voile, donc il est venu directement vers moi." Elle dit avoir été "poussée" et "tapée violemment au bras" par le chef d'établissement.

Un élève rencontré par Le Parisien, qui dit avoir assisté à la scène, a aussi évoqué un geste violent de la part du proviseur. "Il l'a interpellée très agressivement pour lui dire de dévoiler ses cheveux, raconte-t-il. Il a levé la main sur elle puis lui a porté un coup très violent sur le haut du corps." Un camarade de classe de BTS de la jeune femme, rencontré par le Bondy Blog, dit s'être interposé. "Le coup, il était parti, tout le monde l'a vu et on était tous choqués. (...) Il l'a littéralement tapée", dénonce-t-il lui aussi.

Dans la foulée, selon le parquet, l'élève a porté plainte pour "violences n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail", et le proviseur pour "acte d'intimidation envers une personne participant à l'exécution d'une mission de service public pour obtenir une dérogation aux règles régissant ce service". Une enquête a été ouverte. Mais la plainte déposée par l'élève a été classée sans suite pour "infraction insuffisamment caractérisée", a précisé mercredi le parquet de Paris.

Le 5 mars, la directrice de l'académie de Paris a démenti des messages sur les réseaux sociaux accusant le proviseur d'une gifle. "Ce n'est pas comme ça que les choses se sont déroulées", a répondu Valérie Baglin-Le Goff lors d'une visite de la cité scolaire Maurice-Ravel. "Reçue de nouveau hier [le 4 mars] avec sa famille, cette élève a reconnu qu'elle n'a pas été giflée, Le proviseur lui a simplement demandé d'enlever son voile. Et comme elle ne l'entendait pas, il lui a mis une main sur le dos. (...) Mais à aucun moment, il n'y a eu de violence telle que ça a pu être relayé par certains médias". Dans une vidéo diffusée le 15 mars par le Collectif contre l'islamophobie en Europe, la jeune femme a contesté ces propos de la directrice, maintenant avoir reçu "un coup violent au niveau du bras".

Il a été visé par des menaces de mort en ligne, et un homme va être jugé

Dès le 1er mars, trois jours après l'altercation, le rectorat de Paris a rapporté que l'incident avait "été repris et détourné sur les réseaux sociaux, générant des propos diffamatoires et des menaces". "Depuis ces faits, des menaces de mort à l'encontre du proviseur ont été constatées en ligne", a confirmé le parquet de Paris, expliquant que le pôle national de lutte contre la haine en ligne s'en était saisi et avait ouvert une enquête.

Depuis, un homme de 26 ans, originaire des Hauts-de-Seine, a été arrêté – il doit être jugé le 23 avril "pour provocation publique non suivie d'effet à commettre une atteinte volontaire à la vie". Ce délit est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Il a été placé sous contrôle judiciaire dans l'attente du procès. Un autre homme avait été interpellé le 14 mars à Trouville (Calvados), mais il a été relaxé après avoir été jugé en comparution immédiate. Aucun de ces deux hommes n'avait de lien avec l'établissement scolaire, a affirmé le ministère de l'Education nationale mercredi.

Des mobilisations ont eu lieu pour soutenir le proviseur et l'élève

Le 4 mars, quelque 150 chefs d'établissements scolaires se sont rassemblés devant la Sorbonne, à Paris, en soutien au proviseur de Maurice-Ravel. "Pour nous, c'est anormal de devoir aller au travail la peur au ventre. Ce n'est normal pour aucune profession, et a fortiori la nôtre", a dénoncé une principale d'un collège de l'est parisien rencontrée par franceinfo.

"Le déclencheur, ce sont les événements du lycée Ravel. Mais plus largement, il s'agit d'apporter un soutien à l'ensemble des collègues, qui, à un moment ou à un autre, sont menacés parce qu'il faut appliquer les règles", a défendu Nicolas Bray, responsable pour l'académie de Paris du principal syndicat de chefs d'établissement, le SNPDEN-Unsa.

"A la suite de cet appel au rassemblement, les langues se sont déliées et il y a d'autres chefs d'établissement qui ont dit qu'ils recevaient des menaces", a renchéri Kamel Ait Bouali, son homologue du SGEN-CFDT Paris.

Trois jours après l'altercation, la cité scolaire Maurice-Ravel avait été bloquée par des jeunes contestant l'attitude du proviseur. Une banderole "élève frappée, lycée bloqué" a été accrochée devant l'établissement et les cours ont été suspendus durant la journée.

L'Education nationale avait pris des mesures de protection

La ministre de l'Education nationale, Nicole Belloubet, a réagi dès le 1er mars, dans un message sur X, pour "adresser tout [son] soutien au proviseur et à l'ensemble des équipes du lycée" face à "cette situation inacceptable". Le 5 mars, elle s'est rendue au lycée Maurice-Ravel et a assuré que le ministère avait "réagi pour former un bouclier de protection autour de l'établissement et de ses personnels".

"Une série de mesures" a été prise pour protéger le proviseur, a ajouté la ministre. Dans un communiqué postérieur à l'annonce de la démission de ce dernier, le ministère précise que "plusieurs équipages de la police nationale ont été mobilisés autour de l’établissement" dès le 29 février, au lendemain des premières menaces en ligne, et que les messages concernés ont été signalés à la plateforme Pharos pour obtenir leur retrait. L'Education nationale affirme avoir également accordé la protection fonctionnelle au chef d'établissement pour "qu’il puisse être accompagné humainement et financièrement dans ses démarches judiciaires"

Le Premier ministre a lui aussi exprimé son soutien au proviseur, qu'il a rencontré mercredi. "Je veux vraiment lui rendre hommage parce qu'il a une très grande dignité dans cette épreuve", a déclaré Gabriel Attal, lors d'une interview dans le journal de 20 heures de TF1, mercredi. "Il devait partir en retraite au mois de juin. (...) Certains lui ont conseillé, pour des raisons de sécurité, de partir un peu plus tôt", a-t-il expliqué. Le chef du gouvernement a en outre annoncé que l'Etat "allait porter plainte" pour "dénonciation calomnieuse" contre l'élève.

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