Des garçons refusent-ils de tenir la main des filles à l'école pour des raisons religieuses, comme le dit Jean-Michel Blanquer ?
Le ministère de l'Education nationale reconnaît qu'il ne dispose pas de chiffres précis sur les faits décrits par son ministre. Quant aux syndicats d'enseignants, ils dénoncent un mauvais procès fait aux élèves.
A en croire le ministre de l'Education nationale, l'influence de la religion à l'école se ressentirait chez les élèves dès le plus jeune âge. "C'est vrai qu'on voit parfois des petits garçons qui refusent de tenir la main d'une petite fille", a glissé Jean-Michel Blanquer dimanche 13 octobre sur BFMTV. Pour l'ancien recteur d'académie, ce comportement n'est "évidemment pas acceptable dans l'école de la République". Le ministre assure que "normalement, la solution à ce problème est relativement simple et rapide", mais que "si elle débouche sur un problème plus grave, on le signale".
Combien de cas semblables à celui évoqué par le ministre se sont-ils produits ? Où ont-ils eu lieu ? Ont-ils été signalés ? Interrogé par franceinfo lundi 14 octobre, le ministère tempère ces propos et précise qu'il s'agit d'"un cas de figure parmi tant d'autres". Il ajoute qu'il ne dispose cependant "pas de chiffres précis" et qu'il se refuse à "stigmatiser un secteur géographique". Les services de Jean-Michel Blanquer renvoient à un document produit fin septembre à l'occasion d'un séminaire des coordonnateurs des équipes "Valeurs de la République", mises en place dans chaque académie sous l'autorité du recteur afin d'aider les enseignants à lutter contre "les atteintes à la laïcité" dans leurs classes.
Depuis 2018, 1 500 "atteintes à la laïcité" signalées
D'après ce document, 1 500 situations jugées problématiques par les équipes pédagogiques ont été signalées depuis le début de l'année 2018. Si le chiffre peut paraître important, il est à comparer à ceux du nombre d'élèves, près de 12,4 millions, et d'établissements, environ 63 600.
Le ministère donne quelques exemples : "Le refus de participation à certains cours, la mise en cause de faits éprouvés par la science, le refus de la mixité ou encore les intimidations." Le ministre a demandé à ses équipes de procéder à un "signalement systématique". Soit auprès du directeur d'école, du chef d'établissement ou de l'inspecteur d'académie, soit via un formulaire en ligne à disposition des personnels de l'Education nationale.
Parmi ces cas, 660 ont été gérés directement par les établissements concernés. Mais environ 240 ont nécessité le recours à une équipe "Valeurs de la République". Pour 40 situations, l'équipe a dû se déplacer dans l'établissement pour épauler les enseignants. Les élèves sont responsables de 61% de ces faits et 37% des signalements ont lieu à l'école primaire. Enfin, six académies concentrent la moitié des cas, mais le ministère n'en donne pas le détail. Voilà pour les statistiques, mais, encore une fois, aucun détail n'est livré par le ministère.
"Quelque chose d'ordinaire lié à la psychologie infantile"
Du côté du corps enseignant, la perception est toute autre. "Des garçons et des filles qui ne veulent pas se tenir la main, on en voit tous les jours dans les cours des écoles maternelles. C'est quelque chose d'ordinaire lié à la psychologie infantile", explique Brendan Chabannes, co-secrétaire de la fédération SUD-Education. Corréler ce comportement à une quelconque pratique religieuse, "c'est bien mal connaître les enfants", objecte Rodrigo Arenas Munoz, co-président de la fédération de parents d'élèves FCPE. "Je vois difficilement comment on peut être un intégriste religieux à 3 ou 4 ans", fait valoir le représentant syndical SUD-Education. "Je ne dis pas que ça n'existe pas, mais je n'en ai jamais entendu parler", tranche Rémy-Charles Sirvent, secrétaire national SE-Unsa en charge des questions liées à la laïcité.
Ça n'a pas beaucoup de sens de dire que, parce qu'un petit garçon ne veut pas tenir la main d'une petite fille, c'est un signe de radicalisation.
Francette Popineau, co-secrétaire générale et porte-parole du SNUIPP-FSUà franceinfo
"C'est mal connaître le monde de l'enfance, rétorque Francette Popineau, co-secrétaire générale et porte-parole du SNUIPP-FSU. On a tous autour de nous eu un enfant qui ne veut pas donner la main ou faire un bisou et il y a plein d'explications possibles. Cela peut être par timidité, parce qu'il n'a pas envie ou le résultat d'une éducation un peu sexiste."
"Un enfant a le droit de ne pas vouloir donner la main ou recevoir de bisou. On apprend aussi aux enfants à respecter leur corps, ajoute la représentante syndicale. S'il s'agit de se déplacer avec la maîtresse pour une sortie scolaire, il suffit de se mettre en rangs. Se donner la main, c'est pratique, mais ce n'est pas une obligation."
"Des choses qui arrivent mais dans des proportions ridicules"
"Des enfants qui contreviennent aux règles de la laïcité et de l'Education nationale pour des raisons religieuses, c'est vrai, ça existe", reconnaît toutefois le représentant de la FCPE. "Certains élèves sont influencés par la vision confessionnelle de leurs parents. Mais cela ne vaut pas que pour l'islam, cela vaut pour toutes les religions", souligne-t-il. "Ce sont des choses qui arrivent mais dans des proportions ridicules en comparaison des millions d'enfants scolarisés chaque année dans les écoles, les collèges et les lycées", relativise le syndicaliste SUD-Education, qui fustige les "propos nauséabonds et réactionnaires" et la "manipulation" de Jean-Michel Blanquer.
La porte-parole du SNUIPP-FSU déplore également "la tendance à faire des raccourcis" et à "tomber dans la surenchère" du ministre de l'Education nationale. "Les signes de radicalisation, on sait les reconnaître. Ça ne passe pas du tout par se donner ou non la main. Et ce n'est pas du tout la majorité des situations que nous avons." Le co-président de la FCPE dénonce lui aussi un "amalgame" et un "raccourci facile" entre le comportement de jeunes enfants et leur éventuelle radicalisation religieuse. Et de trancher : "A la FCPE, on ne pense pas que ce soit la solution de stigmatiser des enfants de maternelle ou de primaire." Le secrétaire national SE-Unsa pointe lui un autre "problème", plus préoccupant, selon lui. "L'Education nationale a quand même laissé s'ouvrir des écoles privées hors contrat non-mixtes, qui sous couvert de liberté d'enseignement s'affranchissent, elles, des règles de la République."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.