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Grand entretien Islamisme dans le sport : "On laisse 11 000 personnes s'entraîner dans un environnement séparatiste alors qu'une loi en France l’interdit", dénonce un ex-gendarme

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Article rédigé par franceinfo
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Aujourd'hui docteur en sociologie, Médéric Chapitaux demande que la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostentatoires dans l’Éducation nationale soit élargie au domaine du sport. 127 associations sportives sont aujourd'hui identifiées par les autorités comme ayant une relation avec une mouvance séparatiste.

"On laisse 11 000 personnes s'entraîner dans un environnement séparatiste alors qu'on a une loi en France qui l’interdit", a dénoncé en exclusivité mercredi 25 octobre sur franceinfo Médéric Chapitaux, ancien gendarme, fonctionnaire du ministère des Sports, docteur en sociologie, et auteur du livre Quand l’islamisme pénètre le sport qui paraît aux Presses Universitaires de France (PUF). 127 associations sportives sont aujourd'hui identifiées par les autorités comme ayant une relation avec une mouvance séparatiste. Le football et les sports de combat sont particulièrement touchés par le phénomène.

Médéric Chapitaux demande que la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostentatoires dans l’Éducation nationale soit élargie au domaine du sport. "Ça permettrait aux dirigeants des clubs de sport d'avoir une base légale sur laquelle s’appuyer", explique-t-il. Aujourd’hui, des clubs de football demandent "qu'on leur mette à disposition un vestiaire pour pouvoir faire la prière avant le match", a-t-il cité comme exemple.

franceinfo : Concrètement quand vous dites "l'islamisme pénètre le sport", de quoi il s’agit exactement ?

Médéric Chapitaux : L'islamisme, c'est tout ce qui va en contradiction avec les règles du sport et le principe de neutralité dans le champ du sport. Ça va être de la permissivité, c'est-à-dire des gens qui vont s'autoriser le port du voile, par exemple, sur un terrain de sport. Ça a été aujourd'hui contesté devant les tribunaux et les tribunaux ont donné raison au gouvernement français. Ça va être des gens qui vont être dans le communautarisme. On ne se regroupe qu’entr coreligionnaires dans un club de sport, les autres n'ont pas le droit d'y venir. On bascule dans le séparatisme. Enfin, la radicalisation. Ça dépend des services de renseignement qui vont ficher les personnes au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, comme on l’entend depuis l'attentat du professeur d’Arras.

Le football et les sports de combat sont particulièrement touchés. Pourquoi, selon vous ?


Ce n'est pas nouveau. On a les premières apparitions de cette identification depuis 2010. En 2011, le Conseil de l'Europe avait alerté sur ces disciplines l'ensemble des pays européens. J'ai recueilli les notes des services de renseignement qui ont montré qu'il y avait vraiment une porosité à l'intérieur de ces deux disciplines. Pourquoi ? Parce que le sport est un formidable espace de socialisation. On ne peut que s'en réjouir. Mais il y a parfois des déviances. On l'a vu avec les violences sexuelles, on le voit avec le dopage et là, on le voit avec l'entrisme islamiste.

"Le football étant pratiqué par énormément de personnes, c'est un moyen de recrutement. Par contre, dans les sports de combat, on est sur une version utilitariste, c'est-à-dire qu'on veut se préparer au combat."

Médéric Chapitaux, ancien gendarme, fonctionnaire du ministère des Sports

à franceinfo

On a des documents des groupes terroristes à travers le monde qui sont publiés sur la toile, qui expliquent qu'il faut aller dans des clubs de sport de combat pour se préparer à terme au jihad.

Des clubs de boxe en France servent de lieux de recrutement pour les jihadistes ?

Aujourd'hui, on peut le confirmer pour de la radicalisation idéologique. Un responsable des services de renseignement en France a dit, lors d'un entretien très documenté dans le cadre de ma thèse, que quasiment tous les auteurs des attentats terroristes en France et en Europe étaient passés par des clubs de sport de combat. Mais c'est pertinent puisque, techniquement parlant, ils cherchent à affronter les forces de l’ordre. Donc autant faire des sports de combat plutôt que de la danse classique.

Vous dites que le principe des prières avant le match de football finit parfois par s’institutionnaliser. Vous avez des exemples concrets ?

Dans des championnats, aujourd'hui, des clubs demandent, lors de déplacements, qu'on leur mette à disposition, un vestiaire pour pouvoir faire la prière avant le match. On a même deux éducateurs qui nous disent qu'aujourd'hui, la prière est complètement intégrée à la préparation d’avant-match.

En quoi c'est problématique de prier dans les vestiaires avant un match ?

C'est une vraie question. Ce n'est pas une opposition. C'est de la permissivité. À quel moment on sort du cadre républicain. C'est un espace de neutralité. Le vestiaire fait partie du jeu. Un arbitre de football a le droit de mettre un carton jaune ou rouge dans le vestiaire pour des propos divers et variés. C’est dans l'espace du jeu. Et dans l'espace du jeu, on ne prie pas. Dès qu'on commence à faire une prière collective, ça peut poser des questions. Je viens des sports de combat. Si on doit prier avant de monter sur un ring parce qu'on a besoin de ça, on ne va pas l'interdire. C'est normal. On met en jeu son corps, on met en jeu plein de choses. Certains éducateurs nous disent que la religion fait partie de la performance sportive et ça doit s'entendre. Ça ne signifie pas que toutes les personnes qui vont faire une prière vont devenir des terroristes demain. Ce n’est absolument pas le propos. C'est de dire : 'attention, il y a une graduation'. Il faut être capable d'identifier ces graduations. Dans la très grande majorité des cas, ça se passe très bien. Qu'est-ce qu'on fait quand ça se passe moins bien ? C'est là où il faut intervenir et c'est là où il y a peut-être un sujet de discussion.

127 associations sportives sont aujourd'hui identifiées comme ayant une relation avec une mouvance séparatiste. Par rapport aux 360 000 structures déclarées, finalement ce n’est pas un phénomène massif. Fallait-il en faire un livre ?

C'est une très bonne remarque. Ce sont les chiffres du gouvernement. On ne peut que se réjouir que ça représente 0,07% des associations sportives. Quand on le dit comme ça, je vous rejoins, il n'y a pas besoin d'en faire un livre. Mais si je vous dis que si on ramène ce chiffre en valeur réelle, ça représente 11 000 personnes qu'on laisse s'entraîner dans un environnement séparatiste alors qu'on a une loi en France qui l’interdit. La loi séparatisme (2021) est écrite, maintenant il faut l’appliquer.

La loi de 2004 pour l'Éducation nationale interdit les signes religieux ostentatoires. Faudrait-il l’appliquer dans le sport ?

Je suis pour la cohérence pédagogique et républicaine. On ne peut pas dire que le sport est un vecteur d'éducation si on n'applique pas les mêmes directives et les mêmes consignes que le ministère de l'Éducation nationale. Techniquement parlant, une loi de 2004 étendue aux services sportifs permettrait aux dirigeants des clubs de sport d'avoir une base légale sur laquelle s'appuyer pour pouvoir avancer. Deuxième élément qui est incontournable pour moi : imaginez qu’aujourd'hui des éducateurs sportifs peuvent être fichés au plus haut niveau et être en face à face pédagogique avec nos enfants puisque la radicalisation n'est pas illégale.

Ce sont les encadrants qui font du prosélytisme ?

Bien évidemment. Imaginez un éducateur sportif qui va être repéré par le renseignement. Il va être fiché le matin dans un groupe d'évaluation départemental (Dispositif territorial de prévention de la radicalisation) dans une réunion avec un préfet de département. Tout ce qui est plus normal, ça arrive tous les jours. Il est donc fiché par le renseignement. À 14 heures, ce même éducateur a obtenu son diplôme d'État d'éducateur sportif, de football par exemple. Alors qu'il est fiché, l’après-midi, le même préfet va pouvoir lui délivrer une carte bleu blanc rouge pour être éducateur sportif dans tous les lieux puisqu'on ne peut pas l'interdire d’exercer. Il y a une dichotomie qui frôle l’absurdité. Il faut impérativement remettre un peu de cohérence pédagogique dans tout ça.

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