Affaire Stéphane Plaza : on vous explique ce qu'est le "love bombing", un comportement manipulatoire dont est accusé l'animateur
Promesses de mariage, puis dénigrement voire violences physiques... Trois ex-compagnes de l'animateur Stéphane Plaza l'ont accusé dans une enquête publiée jeudi 21 septembre par Mediapart de violences conjugales, ce que l'intéressé nie en bloc. Leurs récits décrivent un partenaire violent, bien loin de l'image publique de l'agent immobilier gaffeur à l'humour potache, employant la technique du "love bombing", une intense démonstration d'affection souvent utilisée par les pervers narcissiques afin d'influencer leur victime.
"J'ai d'abord cru que je vivais un rêve", confie Eva*, qui a partagé sa vie pendant un an. Mère célibataire, cette ancienne candidate de l'émission "Recherche appartement ou maison" présentée par Stéphane Plaza raconte que ce dernier lui a promis de se marier et d'emménager dans sa maison en Ile-de-France... Mais Eva voit évoluer le comportement de l'animateur au fil des semaines.
"Au début, il me disait que j'étais magnifique. Après, il s'est mis à me faire comprendre que j'étais vieille, moche, petite, qu'il pouvait avoir bien mieux que moi."
Eva*, ex-compagne de Stéphane Plazaà Mediapart
Dans Mediapart, elle témoigne par ailleurs des "humiliations" et du "harcèlement moral" subis aux côtés de l'animateur. "Il abuse de sa position, il se sert de sa notoriété pour détruire les femmes", dénonce Eva. Le site d'investigation rapporte aussi les témoignages de Jade* et Julia*, à qui l'animateur aurait fait croire qu'il était en couple exclusif avec elles, alors qu'il les fréquentait en même temps.
"Il arrivait toujours à des heures pas possibles, à chaque fois il me disait que j'étais la huitième merveille du monde, qu'on allait se marier."
Julia*, ex-compagne de Stéphane Plazaà Médiapart
La psychothérapeute Anne-Clotilde Ziégler, autrice du livre Pourquoi suis-je resté.e ? Comprendre et dénouer le lien traumatique au pervers narcissique (éd. Solar), reconnaît dans ces témoignages la technique du "love bombing". "C'est un bombardement d'amour qui a lieu pendant la première phase d'une prédation, qu'elle soit conjugale ou professionnelle, en vue d'une escroquerie", explique-t-elle.
Selon elle, la fable Le Corbeau et le Renard de Jean de La Fontaine illustre très bien cette technique de manipulation. Maître Corbeau tient dans son bec un fromage que Maître Renard cherche à récupérer, en le comblant de compliments. Maître Corbeau "finit par baisser sa garde et par laisser l'autre rentrer au plus près de son cœur", analyse-t-elle. La fable se termine par cette leçon du renard : "Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute."
Une méthode similaire aux gourous
Le terme de "love bombing" a été rendu populaire dans les années 1970 par la psychiatre américaine Margaret Singer. Cette spécialiste des sectes s'est intéressée à la façon dont les gourous attiraient de nouvelles recrues, en les comblant d'affection. Cet "effort coordonné" impliquait "de la flatterie, de la séduction verbale, des attouchements affectueux mais généralement non sexuels et beaucoup d'attention à chacune de leurs remarques", détaille-t-elle dans son livre Cults in our Midst. Cette démonstration d'affection laissait ensuite place à des sévices, comme la privation de sommeil ou l'isolement.
En plus de Jade, d'Eva et de Julia, deux autres femmes jointes par Mediapart décrivent ce comportement toxique de Stéphane Plaza : "Il fait de belles promesses, de beaux mensonges et on s'accroche", témoigne l'une d'elles. Le "love bomber" est sincère dans la plupart des cas, relève Anne-Clotilde Ziégler : "Une dimension inhérente aux personnalités narcissiques, c'est l'idéalisation de l'autre, qui est tout à fait irréaliste." Mais il y a bien dans le "love bombing" une part de manipulation. Certains auteurs font le parallèle avec un dealer d'héroïne : "Ils donnent la première dose, voire la deuxième, la troisième, jusqu'à ce que la personne soit accrochée, avant de la vendre fort cher par la suite", illustre la psychothérapeute.
Souffler le chaud et le froid
Existe-t-il un profil de victime, particulièrement sensible au "bombardement d'amour" ? "Ce sont les personnes carencées d'amour, c'est-à-dire nous toutes et tous. Plus on est carencé, mieux ça marche", affirme Anne-Clotilde Ziégler. Le prédateur va ensuite s'adapter à la manière dont sa proie veut recevoir de l'amour : elle choisira par exemple la sobriété ou l'exubérance dans ses compliments, afin de mieux l'assujettir.
Selon une étude de l'université de Pennsylvanie publiée en 2016, cette stratégie est utilisée inconsciemment la plupart du temps, par des personnes aux traits narcissiques et ayant une faible estime de soi. Ces prédateurs espèrent ainsi obtenir "l'affirmation qu'ils sont aimés, beaux et désirés" en retour, détaille l'étude.
"La personne qui utilise le 'love bombing' n'a pas accès à l'amour vrai. Elle cherche surtout l'autre pour avoir un miroir dans lequel se regarder et se faire valoir. Elle a envie de recevoir non pas de l'amour, mais de l'admiration et de l'adulation."
Anne-Clotilde Ziégler, psychothérapeuteà franceinfo
Fort de son emprise, le prédateur peut aussi souffler le chaud et le froid dans la relation amoureuse. "On est en permanence dans le doute, on souffre de son absence mais on a envie d'y croire. Et un jour on se réveille et on se rend compte qu'on est nombreuses dans le même cas" décrit l'une des victimes présumées de Stéphane Plaza dans Mediapart. Cette oscillation entre l'espoir et le doute est typique du "love bombing", souligne Anne-Clotilde Ziégler. "Quand la victime est sur le point de partir, hop, un petit coup de 'love bombing' jusqu'à ce qu'elle pose ses valises. Elle reprend ses habitudes et il peut commencer à la dézinguer. La proie se dit qu'à force de faire des efforts, il va se radoucir."
Une plainte déposée contre une accusatrice
Outre des violences mentales, Stéphane Plaza est accusé de violences physiques. Jade* soutient que l'animateur l'a blessée à la main le 25 avril 2022. Des documents médicaux font bien état d'une fracture de l'annulaire avec arrachement osseux et de deux luxations au niveau des articulations. Une agression reconnue par Stéphane Plaza : "Mince quelle force j'ai", a-t-il réagi dans un SMS authentifié par Mediapart. Eva* quant à elle raconte que l'animateur l'a menacée avec une fourchette lors d'un week-end à Vienne en septembre 2021, après qu'elle l'a confronté à son infidélité. L'ex-compagne évoque aussi deux morsures en 2022.
Dans Mediapart, Hélène Plumet, l'avocate de Stéphane Plaza, dénonce "des allégations totalement extrapolées, voire mensongères" et des "accusations fantaisistes". "La plupart de ces allégations ne sont pas étrangères à trois femmes qu'il a fréquentées et qui, finalement éconduites, se sont liguées contre lui pour lui porter préjudice par tous les moyens", affirme-t-elle. Son avocate a par ailleurs précisé qu'"une main courante a été déposée contre l'une d'entre elles en octobre 2021" et qu'"une plainte pénale pour harcèlement et cyberharcèlement" avait été déposée en juin.
Le groupe M6 a annoncé vendredi l'ouverture d'une enquête interne concernant l'animateur vedette de la chaîne. "Une enquête interne a été ouverte suite au papier de Mediapart afin de faire remonter certains points qui ne l'auraient pas été", a déclaré un responsable du groupe. "Il s'agit d'une procédure RH classique", a-t-il ajouté, sans autre commentaire.
* Les prénoms ont été modifiés par Mediapart à la demande des intéressées.
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