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Féminicide à Hayange : ce que l'on sait du drame et des possibles ratés judiciaires qu'il révèle

Après le meurtre d'une jeune femme de 22 ans en Moselle lundi, le procureur de Metz se défend de tout dysfonctionnement judiciaire. Pourtant, la victime avait déposé deux plaintes contre son compagnon. Aucune n'avait été transmise au parquet.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Des fleurs déposées près du portrait de Stéphanie Di Vincenzo, jeune femme de 22 ans tuée devant son domicile dans la nuit du 23 au 24 mai 2021. (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)

La mort de Stéphanie Di Vincenzo a suscité une vive émotion dans la commune d'Hayange (Moselle). La jeune femme de 22 ans a été tuée dans la nuit du dimanche 23 au lundi 24 mai à coups de couteau, en pleine rue. Son compagnon, un homme de 23 ans, est soupçonné du meurtre. Elle avait déposé deux plaintes contre lui en 2020. Toutefois, le suspect n’était pas identifié par la justice "comme un conjoint violent", a martelé le procureur de Metz, Christian Mercuri, lors d’une conférence de presse mardiLe suspect et la victime sont les parents d’une petite fille née en 2017. L’enfant a fait l’objet d’un placement, selon le parquet.

Franceinfo revient sur le drame et les éventuels dysfonctionnements judiciaires qu'il révèle.

Que s'est-il passé dans la nuit du 23 au 24 mai ?

A l'occasion d'une conférence de presse, Christian Mercuri a détaillé mardi les circonstances de ce féminicide"Les faits ont été commis vraisemblablement après minuit, dans la nuit de dimanche à lundi. Une partie des faits a été commise au domicile commun du couple pour se terminer au pied de l'immeuble dans la rue face au poste de police d'Hayange [qui ferme à 18 heures]", a décrit le magistrat, cité par LCI

France Bleu rapporte que des voisins ont été alertés par les cris de Stéphanie Di Vincenzo dans la rue. Alors qu'elle se trouvait à terre, son compagnon l'aurait frappée avant de lui porter des coups de couteau.

La dispute serait due à "un soupçon d’infidélité de la victime lorsque [son compagnon] était incarcéré" a affirmé le procureur. Si le suspect n’a pour l'heure rien dit sur les faits, il a reconnu qu'une dispute avait éclaté dans l’appartement, souligne Ouest-France. La victime et lui auraient bu "un certain nombre de verres d’alcool fort", selon Christian Mercuri, cité par le quotidien régional

Une main courante et une plainte déposées

Le comportement de l’homme suspecté d’avoir tué sa compagne avait déjà provoqué "plusieurs interventions de police-secours au domicile conjugal", a expliqué le procureur. La victime a également déposé une main courante le 14 janvier 2020, puis une plainte le 3 novembre 2020, à l’encontre de son conjoint.

Elle faisait alors état "de violences verbales, de harcèlement ou de menaces de mort", selon le procureur. Mais ces deux démarches n’ont pas été "portées à la connaissance de l’autorité judiciaire", a affirmé Christian Mercuri. Cependant, le procureur a fait valoir que la plainte n’était pas restée "lettre morte". "Conformément" aux directives adoptées lors du Grenelle des violences conjugales, elle a donné lieu "à la saisine de l’intervenant social du commissariat", qui était entré en contact avec la jeune femme, elle-même n’ayant" pas donné suite".

Le suspect bénéficiait d'un aménagement de peine

Le suspect avait été condamné à un an de prison pour des délits routiers. Incarcéré, il avait formulé une demande d’aménagement de peine, un dossier dans lequel figurait une attestation de sa compagne qui donnait son accord pour un retour au domicile, a précisé le parquet. Le magistrat a toutefois admis que cet accord avait été donné par écrit, "personne", au sein de l’institution judiciaire, n’ayant auditionné la jeune femme à cette occasion. 

D’abord refusé par le juge d’application des peines, l'aménagement avait été accordé en appel. Le suspect avait été placé à la mi-mai en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE).

Interrogé sur le bracelet électronique dont le suspect s’était débarrassé dans sa fuite et qui a été retrouvé à son domicile, le commissaire de police judiciaire Antoine Baudant a assuré que des "vérifications" étaient en cours. "A ce stade, on ne sait pas encore s’il s’agit d’un dysfonctionnement ou d’un acte délibéré de la part du suspect", a-t-il conclu.

Le conjoint n'était "pas identifié comme violent"

Aux yeux de la justice et malgré neuf mentions au casier judiciaire du suspect (deux pour des faits de violences remontant à 2015 et les autres pour des délits routiers), celui-ci n’était "pas identifié judiciairement parlant comme un conjoint violent", selon le procureur. "Il n’y avait aucun élément relatif à des violences conjugales qui avait été porté à la connaissance de l’autorité judiciaire."

S’il avait été "identifié comme [violent], le suspect n’aurait pas reçu un aménagement de peine au domicile conjugal", a encore soutenu Christian Mercuri.

Y a-t-il eu un dysfonctionnement judiciaire ?

Lors de sa conférence de presse, le procureur de la République de Metz a réfuté tout "dysfonctionnement des services judiciaires". Néanmoins, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé mercredi sur Twitter la mise en place d'une mission d'inspection de fonctionnement afin de faire "toute la lumière suite au terrible féminicide d'Hayange".

La ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, invitée mercredi matin sur franceinfo, s'est dite "interpellée (...) par le fait qu'il y [ait] eu une main courante". "Nous avons, avec le ministre de l'Intérieur, donné une instruction très ferme (...) concernant les violences conjugales : ça doit être des plaintes, et 100% des plaintes doivent être prises, qualifiées et transmises au parquet."

Lors de sa conférence de presse, Christian Mercuri a regretté un défaut de transmission d’informations. "Dans un monde idéal, les instructions ont été données depuis le Grenelle des violences faites aux femmes d’aviser le parquet de tout dépôt de plainte" en la matière, a souligné le procureur. "C’est la procédure idéale. En l’espèce, cela n’a pas été fait", a-t-il concédé.

De son côté, Elisabeth Moreno, ministre déléguée à l’Egalité entre les femmes et les hommes, avait affirmé mardi sur franceinfo qu'il fallait "faire en sorte qu'il y ait une meilleure coordination des différents services qui travaillent sur ces questions".


Les femmes victimes de violences peuvent contacter le 3919, un numéro de téléphone gratuit et anonyme. Cette plateforme d'écoute, d'information et d'orientation est accessible de 9 heures à 22 heures du lundi au vendredi, et de 9 heures à 18 heures le samedi, le dimanche et les jours fériés. A la fin du mois de juin, il sera accessible à toute heure du jour et de la nuit en semaine. Avant la fin août, les plages horaires seront également étendues le week-end 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, selon un communiqué du ministère chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes.

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