Récit "Une mort annoncée" : le 27 mai 2019, Nathalie Debaillie est retrouvée égorgée après des mois de menaces et une plainte contre son ex-compagnon

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
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Temps de lecture : 13min
Nathalie Debaillie, assassinée à 47 ans, le 27 mai 2019. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Cette mère de deux enfants a été assassinée le 27 mai 2019 après, selon l'enquête, des mois de menaces et de harcèlement. Son ancien compagnon, qui a reconnu l'avoir tuée, comparaît à partir de lundi devant les assises du Nord, aux côtés de trois hommes accusés de complicité.

"Tout était prévisible." C'est ce que veut faire entendre Nicolas, le frère de Nathalie Debaillie, égorgée le 27 mai 2019 près de Lille. Son ancien compagnon, Jérôme Tonneau, et trois autres accusés comparaîtront devant les assises du Nord, à Douai, du lundi 24 juin au vendredi 5 juillet. Tous encourent la réclusion criminelle à perpétuité. "Jérôme Tonneau a reconnu les faits et la préméditation", précise son avocat Stéphane Daquo à franceinfo. Cet assassinat est venu parachever "le cycle d'une mort annoncée", observe Nicolas Debaillie. Car Jérôme Tonneau n'a jamais caché ses intentions, assurant à qui voulait l'entendre qu'il voulait tuer son ex-compagne.

"Tout le monde aurait pu faire quelque chose, mais chacun a préféré garder le silence", regrette Isabelle Steyer, l'avocate qui représente la famille de Nathalie Debaillie. La quadragénaire, mère de deux enfants, s'était rendue à quatre reprises au commissariat de Lille durant les mois précédant sa mort, munie de multiples éléments pour démontrer le harcèlement et les menaces qu'elle subissait, déposant trois mains courantes et une plainte. Sans que son bourreau soit entendu une seule fois par les policiers, malgré son passé violent.

"Il prenait de plus en plus de place dans sa vie"

Nathalie Debaillie a 45 ans lorsqu'elle fait la connaissance de Jérôme Tonneau, 52 ans, sur un site de rencontres en octobre 2016. "C'était une femme resplendissante, qui créait facilement du lien avec les gens", glisse son frère, en montrant des photos de cette brune au large sourire. Elle est alors cadre supérieure dans une banque. Son nouveau compagnon, patron d'un pressing, la couvre de cadeaux et l'emmène à Marrakech tous frais payés.

Il devient vite envahissant et prend peu à peu ses libertés sur son intérieur. D'abord son lit, qu'il fait remplacer sans la prévenir pour un modèle plus haut de gamme. Puis, il change aussi ses cadres au mur, sa vaisselle… Sous prétexte toujours de vouloir le meilleur pour sa nouvelle compagne. "Elle me disait qu'elle n'en pouvait plus, qu'il prenait de plus en plus de place dans sa vie. Il voulait absolument s'installer chez elle, mais elle ne voulait pas", a expliqué la sœur de la victime aux enquêteurs. 

Il ira jusqu'à lui imposer, en avril 2018, de faire construire une extension à sa maison qu'il finance lui-même, en recrutant des ouvriers non déclarés. A cette même période, Nathalie Debaillie apprend que son compagnon a passé un an en prison pour escroquerie. "Il la baratine, lui dit que c'est du passé, qu'il gagne sa vie honnêtement désormais", se souvient Nicolas Debaillie. Mais, loin de mettre un terme à ses activités illicites, Jérôme Tonneau récidive. 

Le 2 février 2019, l'ultime rupture

En juillet 2018, la police débarque chez Nathalie Debaillie et perquisitionne son appartement : son petit ami est soupçonné d'avoir simulé le vol de son SUV pour toucher une indemnisation de son assurance (il sera condamné en 2020 pour ces faits). C'en est trop. Après une première rupture en janvier, elle décide de le quitter une deuxième fois. Pour s'aérer l'esprit, elle part chez son frère en Dordogne quelques semaines en août. Mais à son retour, c'est la douche froide : elle constate que Jérôme Tonneau s'est rendu à son domicile sans son accord, a rempli son frigo et fait imprimer un livret rempli de photos d'elle et de déclarations enflammées. "Suis pas au bout de mes peines…", écrit-elle à son frère.

Le livret rempli de photos offert par Jérôme Tonneau. (CAPTURE PORTABLE NATHALIE DEBAILLIE)

Un message envoyé par Nathalie Debaillie à son frère, en août 2018. (CAPTURE PORTABLE NATHALIE DEBAILLIE)

Face à l'insistance de son ex, Nathalie Debaillie craque et se remet avec lui. Mais cette fois, elle décide de se faire suivre par une psychologue et avance, pas à pas, pour tenter de retrouver sa liberté. Le 2 février 2019, elle le quitte pour de bon. Cette fois, elle le force à lui rendre ses clés, ce qu'elle n'avait jamais exigé auparavant. Jérôme Tonneau montre alors un visage bien plus sombre : "Je n’ai pas besoin de tes clés, je passerai par ton jardin pour te voir", lui annonce-t-il d'emblée, d'après le frère de la victime. 

"Il dit vouloir me buter"

Très vite, les menaces commencent. "Je vais lui mettre un coup de pression", "elle ne va pas s'en sortir", dit-il à qui veut l'entendre, selon les éléments recueillis par les enquêteurs, auxquels franceinfo a eu accès. "Il avait un sentiment de toute-puissance, de totale impunité", analyse Nicolas Debaillie. Les amis du couple la préviennent. "Fais attention, ferme ta porte à clé", lui conseillent-ils. Mais aucun ne va voir la police.

Le 11 février 2019, Nathalie Debaillie se rend une première fois au commissariat de Lille pour rendre compte des menaces. Les faits rapportés donnent lieu à une main courante. L'objet ? "Différend entre concubins". Depuis août 2021, la procédure a évolué : le ministère de l’Intérieur demande aux policiers et aux gendarmes de "définitivement proscrire" les mains courantes dans les affaires de violences conjugales au profit des plaintes, pour que le procureur en ait connaissance.

La quadragénaire revient le 5 mars, terrorisée. Jérôme Tonneau l'a suivie dans le parking souterrain de son lieu de travail. Elle a juste eu le temps de le repousser lorsque les portes de l'ascenseur se sont refermées. Il passe aussi parfois ses journées dans le bistrot situé au pied de son bureau, comme en attestent les multiples photos prises par Nathalie Debaillie. La police lui propose à nouveau une main courante. Objet : "Perturbateur indésirable".

Déterminée, elle revient quatre jours plus tard, le 9 mars, et dépose plainte pour menaces de mort réitérées. "Il dit vouloir me buter, se procurer une arme. Jérôme Tonneau me fait peur : tantôt gentil, tantôt énervé", est-il écrit dans cette plainte qui ne sera jamais transmise au parquet. Lui est censé venir récupérer des affaires chez elle trois jours plus tard, le 12 mars. Elle demande que la police patrouille dans son quartier à ce moment-là. Réponse du commissariat de Lille : "Aucune mesure de protection n’est à mettre en œuvre." Et, un peu plus loin : "Importance du préjudice subi par la victime : néant."

Nicolas Debaillie, le 23 mai 2024, face à la plainte déposée par sa soeur contre Jérôme Tonneau, en avril 2019. (JULIETTE CAMPION / FRANCEINFO)

Le profil de Jérôme Tonneau ne fait pas non plus réagir les policiers. Pourtant, relate le rapport d'enquête, trois de ses anciennes compagnes avaient déjà subi des faits de harcèlement et des violences. L'une d'elles a même porté plainte après qu'il eut tenté de l'étrangler. "Tous les voyants étaient au rouge", pointe Nicolas Debaillie.

Enlevée sur son lieu de travail

Mais le 22 mai, c'est elle qui doit rendre des comptes. Nathalie Debaillie est en effet convoquée dans le même commissariat pour un vol de portable, dont Jérôme Tonneau l'accuse. Elle se présente avec une note, dans laquelle il précise lui avoir fait cadeau du téléphone. Elle profite de cette convocation pour déposer une troisième main courante, dans laquelle elle affirme que l'un de ses pneus a été dégonflé, qu'elle reçoit des photos de pierres tombales, qu'un logiciel espion a été installé sur son téléphone et que quelqu'un tente régulièrement de pirater son compte Facebook. Elle assure également que Jérôme Tonneau continue de la suivre constamment. Son ancien compagnon ne sera jamais convoqué.

Cinq jours plus tard, le 27 mai, Nathalie Debaillie est enlevée à 8h50 dans le parking de son lieu de travail par celui qui lui fait vivre un enfer depuis des mois, aidé de trois jeunes hommes de 23 à 29 ans, qu'il a payés autour de 300 euros chacun, d'après le compte-rendu de leurs interrogatoires. Une "somme dérisoire", souligne Isabelle Steyer. "Ils ne l'ont pas fait pour de l'argent mais juste pour tuer une femme, parce qu'une femme ne vaut rien. C'est le vrai féminicide", estime l'avocate.

Egorgée dans la baignoire

Stéphane Daquo, l'un des avocats de Jérôme Tonneau, n'a pas la même lecture. "Si un féminicide, c'est tuer une femme, alors c'en est un. Mais pour moi, le féminicide, c'est un meurtre commis par un homme violent, qui violentait sa femme depuis longtemps, et qui finit par la tuer", avance-t-il. Ce qui ne correspond pas, selon lui, au profil de son client. "On est face à un homme qui était bourré d'antidépresseurs et de médicaments, au paroxysme du désespoir, qui pète un câble à un instant T et commet l'irréparable", soutient-il. 

La police est alertée par un témoin de la scène dans les dix minutes. La victime et le suspect sont identifiés très rapidement. Pour autant, les policiers mettent deux heures à se présenter au domicile de Jérôme Tonneau, en banlieue lilloise. Ils se contentent de frapper à la porte et rebroussent chemin, voyant qu'ils n'obtiennent pas de réponse. Ce n'est que quatre heures plus tard qu'un deuxième équipage forcera la porte, découvrant, dans la baignoire, le corps sans vie de Nathalie, égorgée au cutter. Sa dépouille est parsemée de multiples blessures. 

Selon TF1, une enquête administrative de l'IGPN, la police des polices, "a conclu que les policiers lillois avaient agi avec professionnalisme et rapidité", ajoutant tout de même "qu'un service plus aguerri aurait dû être saisi dès le début de l'enlèvement". Contactée, la direction de la communication de la police nationale n'a pas souhaité communiquer sur cette procédure. 

Les proches assignent l'Etat en justice 

La famille de Nathalie Debaillie a déposé plainte en avril 2021, pour manquement à la déontologie policière. "Il y a eu des sanctions. Des sanctions pour le policier qui a pris la plainte et pour la commandante de l'époque. Donc il y a eu des conséquences et en même temps une réorganisation totale de la brigade en ce qui concerne les violences familiales et conjugales à Lille", avait affirmé le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lors d'un déplacement en février 2022 dans le nord de la France. 

La Direction centrale de la sécurité publique (DDSP) du Nord a de son côté précisé à la famille avoir "opéré des mutations, et donné un avertissement et un blâme", reconnaissant "l’existence d’un manquement déontologique et professionnel". Une réponse "insuffisante" pour Nicolas Debaillie. Aux côtés du fils de la victime et de son ex-mari, ils ont décidé d'attaquer l'Etat pour avoir "permis la faisabilité du crime", ont-ils rapporté auprès du magazine Elle.

La plainte a été déposée en décembre par leur avocate, Isabelle Steyer, qui réclame 600 000 euros au titre du préjudice subi par les proches de la disparue. L'Etat n'a été condamné que deux fois pour "faute lourde" dans des dossiers de féminicides. Une première en 2020, après le meurtre d'Isabelle Thomas et de ses parents en 2014, à Grande-Synthe (Nord), le tribunal ayant estimé que les services de police avaient mis le tueur "en position de commettre les trois assassinats". Et une deuxième fois en 2022, après qu'une jeune femme a été aspergée d'acide à Marseille par son ancien compagnon en 2018, alors qu’elle avait déposé sept plaintes contre lui.


Les femmes victimes de violences peuvent contacter le 3919, un numéro de téléphone gratuit et anonyme. Cette plateforme d'écoute, d'information et d'orientation est accessible 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Ce numéro garantit l'anonymat des personnes, mais n'est pas un numéro d'urgence comme le 17 qui permet pour sa part, en cas de danger immédiat, de téléphoner à la police ou la gendarmerie.

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