Sondages de l'Elysée : "Ce système royaliste n'existe qu'en France"
A l'origine de la révélation du montant de 9,4 millions d'euros d'études commandés par la présidence Sarkozy, Raymond Avrillier revient sur ses découvertes et les zones d'ombre qui demeurent.
Raymond Avrillier est l'homme par lequel le scandale des sondages de l'Elysée est arrivé. Après trois années de persévérance, ce militant écologiste et maire-adjoint honoraire de Grenoble (Isère) a réussi à obtenir une partie des factures des 9,4 millions d'euros de sondages commandés par l'Elysée durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Pour FTVi, il revient sur ses découvertes et sur les zones d'ombre qu'il reste à éclaircir.
FTVi : Ces sondages commandés par l'Elysée ne relèvent-ils pas de la pratique normale du pouvoir ?
Raymond Avrillier : Pour une partie. Il est intéressant de sonder les Français, par exemple, sur la réforme des institutions, le service minimum, la laïcité ou les régimes spéciaux des retraites. C’est normal que le président demande ces éléments-là, qui relèvent d’une vigilance dans la conduite de l’Etat.
Par ailleurs, l'Elysée s'est lancé dans des sondages sur les déçus de Nicolas Sarkozy ou le palmarès de l’action gouvernementale et de l’opposition. Je pense que François Mitterrand et Jacques Chirac ont fait des sondages de ce type-là. Je reconnais qu'il y a un besoin de prestations de conseil et d'études quand on est président de la République.
A l’inverse, certaines commandes vous paraissent anormales...
Il y a trois niveaux choquants. D’abord, les sondages qui relèvent très directement de décisions de l’UMP, comme le choix de têtes de liste pour les élections européennes de 2009, pour les régionales en Ile-de-France. Comme par hasard, je n’ai pas reçu les contenus de ces sondages-là.
Ensuite, il y a tout ce qui concerne le suivi de l’opposition, et qui relève du parti politique. Par exemple, un sondage pour savoir qui est le meilleur candidat du Parti socialiste pour la présidentielle de 2012.
Enfin, il y a les rumeurs. Comme ce suivi hebdomadaire sur la manière dont l’opinion perçoit le comportement de Nicolas Sarkozy par rapport à sa vie privée, un sondage sur son mariage avec Carla Bruni ou sur la grossesse de Rachida Dati. Ce sont des affaires privées. On est là dans une confusion complète.
Aujourd’hui, outre le contenu des enquêtes réalisées en 2007, 2010, 2011 et 2012, que vous manque-t-il ?
Concernant les prestations de conseil de Patrick Buisson [spécialiste des études d'opinion et conseiller du président Sarkozy] et Pierre Giacometti [à la tête d'un cabinet de conseil en stratégies d'opinion], je n’ai aucune trace matérielle prouvant qu’il y a eu un travail effectué. Patrick Buisson a touché 3 300 242 euros sur tout le mandat, et là-dessus, je n’ai pas de trace écrite. Certes, lorsque qu’on explique comment parler de la viande halal ou du tchador, une partie se fait à l'oral, mais à l’Elysée, il y a plein de services pour prendre des notes...
Au sujet des sondages commandés à Patrick Buisson, il existe un autre problème. J’ai demandé les factures des instituts de sondage adressées à Publifact [le cabinet d’études de Patrick Buisson conventionné avec l’Elysée effectuait des commandes de sondage à des instituts, commandes qu'il facturait ensuite à l'Elysée]. La présidence de la République m’a répondu que les documents ne sont pas en sa possession. Cela veut dire que j’ai là la preuve que la présidence n’a pas le contenu du travail qu’elle a payé à Publifact, ni combien Publifact a payé les sondages aux instituts.
Est-ce que cette pratique des sondages est propre à Nicolas Sarkozy ?
J’ai eu des indications, via des personnes plutôt proches de Jacques Chirac et de François Mitterrand, mais je n’ai aucune assurance. En gros, on me parlait de quelques centaines de milliers de francs, là où Nicolas Sarkozy est à 1,9 million d’euros par an. Bien évidemment, il y a dû y avoir le même usage bizarroïde. Ce qui est impressionnant avec Nicolas Sarkozy, c’est qu’avec 9,4 millions d’euros sur un mandat, on sort du cadre normal.
Avez-vous des éléments de comparaison avec l’étranger ? Par exemple, aux Etats-Unis, les sondages de la Maison blanche sont financés par les partis politiques (lien en anglais).
La situation des autres présidents est bien différente : ce système royaliste n’existe qu’en France. Aux Etats-Unis, le Parlement contrôle ce que fait le président. En Allemagne ou en Italie [où le président n'a qu'un rôle honorifique], les chefs de gouvernement sont soumis au Parlement.
Vous expliquez que pour lancer une action en justice, vous êtes dépendant des procureurs, placés sous l'autorité du ministre de la Justice. L’alternance permettra-t-elle, selon vous, de débloquer la situation ?
J’ai trop vécu les marchandages "je te tiens, tu me tiens" pour me faire des illusions. Il risque d’y avoir un Yalta des affaires, avec celles des Bouches-du-Rhône et du Nord [fédérations dont des responsables du Parti socialiste sont mis en cause]. Mais j’ai quand même de l’espoir. La ministre de la Justice, Christiane Taubira, et François Hollande ont tout à fait la l'honnêteté nécessaire pour laisser les magistrats agir en toute indépendance.
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