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Vuelta 2023 : Sepp Kuss, le sacre surprise de l'équipier modèle

Alors qu'il devait épauler Primoz Roglic et Jonas Vingegaard, l'Américain est monté sur la plus haute marche du podium du Tour d'Espagne, dimanche, remportant son premier Grand Tour.
Article rédigé par Andréa La Perna, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Sepp Kuss (Jumbo-Visma) dans les bras de son coéquipier Attila Valter sur le Tour d'Espagne, le 16 septembre 2023. (OSCAR DEL POZO / AFP)

De sa prise de pouvoir à son couronnement. Ce léger sourire, bridé, un brin gêné, ne l'aura jamais quitté. Dans sa première interview après la fin de la Vuelta, Sepp Kuss avait encore "du mal à réaliser". L'Américain a remporté le Tour d'Espagne, dimanche 17 septembre, décrochant sa première victoire au classement général d'un Grand Tour, à 29 ans. Un succès net et sans bavure, que personne n'avait anticipé trois semaines plus tôt.

Tout simplement parce que Sepp Kuss n'était pas venu pour jouer les leaders. Lui, l'équipier modèle, habitué à jouer les rampes de lancement dans les dernières pentes des étapes de montagne, se satisfaisait très bien de ce rôle. "Je n'ai pas l'état d'esprit d'un candidat à la victoire sur un Grand Tour, assurait Kuss en 2020. J'ai la résilience, je travaille dur, mais il y a aussi tous ces petits sacrifices et le fait de devoir être concentré sur tous les détails, tous les jours. Ça pompe beaucoup d'énergie, que ce soit en course ou en dehors. Chez certains, ça vient naturellement. Mais pour moi, en tout cas pour l'instant, ça ne me paraît pas très appréciable."

Un alignement des planètes inattendu

Après avoir grandement œuvré pour le sacre de Primoz Roglic sur le Giro en mai dernier, puis à celui de Jonas Vingegaard sur le Tour de France, l'Américain s'apprêtait à garder la même casquette et surtout à survivre à son troisième Grand Tour de l'année. C'est avec les marques encore fraîches de sa lourde chute dans l'avant-dernière étape de la Grande Boucle qu'il s'est présenté sur ligne de départ.

A la faveur d'une échappée victorieuse sur la 6e étape, à Javalambre, ce dernier a marqué un grand coup d'entrée, en prenant plus de 3 minutes d'avance sur la majorité des favoris à la victoire finale. Il a récupéré le maillot rouge deux jours plus tard, terminant la 8e étape avec les meilleurs, profitant de la défaillance du Français Lenny Martinez. Il ne l'a plus jamais lâché ensuite. A la fin de la première semaine, il comptait alors plus de 2'30" d'avance sur Remco Evenepoel, Primoz Roglic et Jonas Vingegaard.

Lorsque le Belge a craqué en perdant plus de 27 minutes dans l'étape du Tourmalet (13e), Sepp Kuss a participé au triplé de la Jumbo-Visma et s'est retrouvé en position idéale. Ses seuls vrais concurrents étant ses coéquipiers, il n'a pas eu à se défendre ardemment, même si Vingegaard lui a repris 1'15" sur la 16e étape et a semblé un cran au-dessus de lui. Ses deux habituels leaders ont accepté d'échanger les rôles jusqu'au podium 100% jaune et noir à Madrid, parachevant une performance collective qui n'avait plus été réalisée en Grand Tour depuis la Vuelta 1966.

"Sepp Kuss a fait le Giro et le Tour sans pression, sauf celle de répondre présent physiquement et il n’a pas commencé la Vuelta avec l’usure mentale. Et c’est ça qui fait la différence pour pouvoir être performant sur les trois Grands Tours."

Thomas Voeckler

à franceinfo: sport

A titre personnel, alors qu'il n'avait jamais joué le classement général, Sepp Kuss est devenu le deuxième coureur de l'histoire à achever les trois Grands Tours la même année, tout en en remportant un, après l'Italien Gastone Nencini en 1957. A l'heure où la domination sans partage de son équipe fait froncer beaucoup de sourcils, Thomas Voeckler tient à rappeler le contexte particulier ayant permis à ce lieutenant de monter en grade : "Il ne faut pas oublier qu'il n'a fait aucun des Grands Tours dans la peau d'un leader et ça, ça fait une différence énorme. Quand on est le leader désigné, il y a une pression mentale incroyable dans la préparation et pendant la course. Là il a découvert la pression de garder le maillot rouge et encore, s’il le lâchait c’était pour un de ses collègues."

Parenthèse enchantée ou montée en grade ?

En vérité, le potentiel de l'Américain suscitait depuis longtemps la curiosité des observateurs. Et ses proches n'ont jamais douté de sa capacité à viser très haut. "Bien entouré, si on lui amène les choses de la bonne façon, notamment par rapport au contre-la-montre, il peut devenir un candidat au classement général, racontait il y a trois ans Chad Cheeney, l'un de ses premiers entraîneurs, sur le site d'Eurosport. Au fond de nous, on a tous envie d'être une rockstar. Sepp n'est pas différent."

Sepp Kuss fait le tempo pour son leader Primoz Roglic sur la 18e étape du Giro, le 25 mai 2023. (LUCA BETTINI / AFP)

Très récemment, deux jours avant le grand départ de la course, Primoz Roglic avait donné le nom de son coéquipier lorsqu'il lui a été demandé d'identifier les favoris de cette Vuelta. "Nous n'avons pas besoin d'attendre la semaine dernière. Et si tu regardes les stats, si tu veux gagner, tu dois emmener Sepp avec toi !", appuyait le Slovène, rappelant l'implication de Kuss dans chacun des six sacres de Jumbo-Visma en Grand Tour.

Il faut dire qu'en plus de ne jamais décevoir dans les grands rendez-vous en haute montagne, l'Américain était du genre à saisir les rares opportunités individuelles qu'on lui tendait. Comme un symbole, c'est justement sur le Tour d'Espagne qu'il avait levé les bras pour la première fois en Europe, en 2019. Celui qui vit en Andorre, comme beaucoup de ses pairs, (et où il a également remporté une étape du Tour de France 2021) s'est prouvé qu'il pouvait viser plus haut et qu'il n'était pas qu'un équipier et encore moins un simple porte-bonheur.

Reste à savoir s'il décide de laisser au placard son costume d'équipier et cette étiquette de cool guy pour s'affirmer comme un réel leader. La porte est ouverte, en tout cas, si l'on en croit son coéquipier Jonas Vingegaard, cité par Wielerflits : "S'il le souhaite, il aura encore plus d'opportunités en tant que leader à l'avenir. J'espère qu'il le voudra. Il est tellement bon qu'il doit avoir toutes ses chances. Je risque de perdre une très bonne aide en montagne, mais je le garderai avec moi. Être co-leaders sur le Tour ? Pourquoi pas !"

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