Cet article date de plus d'un an.

Football : pourquoi l'addiction aux paris sportifs touche autant les joueurs professionnels

En Italie, en Angleterre et même en France, de nombreux cas ont été révélés depuis le début d'année.
Article rédigé par Antonin Courchay, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5min
Les paris sportifs sont interdits pour les sportifs professionnels en France. (MAXPPP)

"Plus le temps passait, plus ma dette devenait une obsession". Nicolo Fagioli, milieu de terrain de la Juventus Turin, a été obligé de passer aux aveux au tribunal mi-octobre. Le joueur turinois est suspendu pendant sept mois par la Fédération italienne de football, en raison de paris sportifs illicites. Devenu addict, il ne misait plus que pour éponger ses dettes faramineuses. "J'ai pleuré quand j'ai vu mes dettes. En septembre 2022, elles étaient de 250 000 euros, puis elles ont atteint plus de 2,7 millions", a précisé Nicolo Fagioli, dont la vie a basculé à seulement 22 ans. C'est le cas de beaucoup de joueurs, notamment en France, victimes d'une addiction aux jeux d'argent nommée ludopathie.

L'attaquant de Brentford, Ivan Toney, est lui aussi devenu dépendant, au point de parier sur sa propre équipe. Lors d'un podcast diffusé sur la chaîne Youtube "The Diary of a CEO", l'Anglais a évoqué la gestion de l'argent lorsque l'on est jeune footballeur professionnel. "Avoir autant d'argent à notre âge, c'est un peu comme se dire 'Qu'est-ce que je fais avec tout ça ?' Je ne suis pas issu d'une famille avec beaucoup d'argent. C'est comme s'il fallait se gérer soi-même et présumer que faire des paris était une bonne chose". L'addictologue Marie Grall partage la même idée. "Ils ne se rendent pas forcément compte que les gens travaillent longtemps pour avoir une telle somme, cela dénature la valeur de l’argent", confie-t-elle à franceinfo: sport.

Un entourage influençable et une publicité omniprésente

D'autant que le football, sport le plus populaire en France, est celui qui concentre le plus de mises dans l'Hexagone. En France, 56% des paris sportifs ont été effectués sur du football en 2022, année de Coupe du monde, soit 4,6 milliards d'euros, informe l'Autorité nationale du jeu (ANJ). Un sujet maîtrisé par les joueurs professionnels, les incitant à parier. "Ils pensent avoir des connaissances sur le jeu qui vont les aider à mieux prédire", ajoute Marie Grall qui met également en avant l'influence de leur environnement, déterminante chez les plus jeunes.

L'Italien Nicolo Fagioli a notamment suivi son compatriote Sandro Tonali, lui aussi impliqué dans la même affaire, mais suspendu plus lourdement. "Il [Tonali] le faisait et m'a répondu que je pouvais moi aussi le faire, car les mouvements n'étaient pas traçables. À partir de ce moment-là, j'ai commencé à parier aussi parce que d'autres le faisaient", a-t-il confié. Un phénomène récurrent chez les jeunes selon l'addictologue. "Chez les jeunes adultes, il y a une forte influence des autres, et on peut avoir tendance à imiter leur comportement, car cela procure des émotions positives. L’influence est considérable à cette tranche d’âge", assure-t-elle. En plus de leur entourage, les footballeurs sont exposés aux affiches des paris sportifs, partout sur les réseaux sociaux et à la télévision, comme le grand public.

La publicité est omniprésente. C'est le fruit d'une augmentation des budgets marketing des opérateurs de jeux en ligne estimée à 7% en 2022, pour un total de 485 millions d'euros selon l'ANJ. Comme n'importe quel téléspectateur, les joueurs de football ont entendu passer ces fameux slogans à la télévision : "mettre la daronne à l'abri" ou "tout pour la daronne". Un message ciblé (et interdit) à destination des jeunes.

Il ne faut pas perdre de vue que le profil type du parieur, un homme (89% des cas) de moins de 35 ans (72% des cas), d'après l'ANJ, ressemble à celui de l'immense majorité des footballeurs professionnels. Certains d'entre eux portent parfois le nom d'une plateforme de paris en ligne sur leur propre maillot quand ils sont sur le terrain. En France, en Ligue 1, 13 des 18 équipes comptent au moins un opérateur de paris sportifs parmi leurs sponsors (8 d'entre elles ont le logo du site sur le maillot ou le short).

Il leur est aussi parfois demandé de faire la promotion des paris sportifs malgré l'interdiction de jouer, à l'image des joueurs du Paris Saint-Germain dans un spot pour Parions Sport. Un préjudice pour les jeunes footballeurs selon Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction. "Les publicités sont souvent portées par leurs collègues, des personnes auxquelles ils peuvent s'identifier", a-t-il déclaré. "Ils ont utilisé cette image pour attirer des jeunes vulnérables, avec une ambiance très urbaine, une identification avec des footballeurs professionnels célèbres qui viennent un peu des mêmes milieux", ajoute Jean-Michel Delile.

En France, lors de la saison 2021-2022, 81 joueurs et éducateurs professionnels ont été sanctionnés pour des paris illicites par la commission de discipline de la Ligue de football professionnelle (LFP), en coopération avec l'ANJ. Les sanctions vont d'un simple rappel à l'ordre, jusqu'à trois matchs de suspension ferme avec trois autres en sursis, plus une amende de 500 euros. L'ANJ a expliqué à franceinfo: sport "qu'il y a plus de 1 000 personnes [sportifs, arbitres, procureurs] sensibilisées par an en France" pour prévenir les footballeurs professionnels des risques. Le chiffre sera porté à 100 000 en vue des Jeux olympiques en 2024.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.