Super Bowl : pôle d'attraction pour un nouveau public, enjeu politique avant la présidentielle 2024… Comment Taylor Swift bouleverse la NFL
La star du Super Bowl, un des plus grands événements sportifs de la planète, ne se trouvera pas sur le terrain cette saison, ni même à l'affiche des festivités de la mi-temps. La vedette de la rencontre entre les Kansas City Chiefs et les San Francisco 49ers, dimanche 11 février, sera en tribunes et s’appelle Taylor Swift. Elue personnalité de l'année 2023 par Time Magazine, la star de la pop est devenue l'un des visages du sport roi aux Etats-Unis, de par son idylle avec Travis Kelce, joueur des Chiefs. Une relation qui dépasse de très loin le simple cadre des informations people, et qui a fait entrer la NFL dans une nouvelle ère.
Devenue spectatrice assidue des Kansas City Chiefs depuis l'officialisation de sa relation avec Travis Kelce, Taylor Swift s'est imposée comme l'attraction que les caméras et les fans doivent voir. "Il y a toujours eu des stars qui ont gravité autour de la NFL, explique Alain Mattei, rédacteur en chef du site spécialisé sur le football américain Touchdown Actu et commentateur pour W9. Là, c'est la plus grosse de toutes. Cela multiplie l'impact."
La NFL, version Taylor
A elle seule, Taylor Swift a permis une valorisation cumulée des Chiefs et de la NFL de plus de 330 millions de dollars en cinq mois, assure le média spécialisé Front Office Sports. Les ventes de maillot de son compagnon ont également décollé de 400% chez le revendeur Fanatics dans les 24 heures suivant la première apparition de la chanteuse dans les loges de l'Arrowhead Stadium de Kansas City, le 25 septembre dernier.
Au-delà des retombées économiques, voir Taylor Swift comme nouvelle "coqueluche" de la NFL est un bouleversement sociologique pour une ligue où règnent encore "un virilisme et même un machisme qu'on n'a pas ailleurs", décrypte Jean Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport et fin connaisseur de la ligue nord-américaine. "Ce ne sont que des hommes, partout. On est très loin des autres ligues comme le baseball, le basket, et même le football. C'est ça, aussi, l'ajout de Taylor Swift."
La chanteuse offre à la NFL un auditoire qu'elle n'avait jamais réussi à toucher dans sa longue histoire : le public féminin. Les audiences du football américain auprès des femmes atteignent des records.
"Taylor Swift sort la NFL de son champ habituel, de son ornière très 'Amérique traditionnelle'. Un tiers des Etats-Unis va regarder l'événement en direct, et toute une jeunesse va s'y retrouver parce que c'est Taylor Swift, et parce ce qu'elle a ramené avec elle des gens qui ne s'y seraient jamais intéressés."
Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sportà franceinfo: sport
Selon le magazine économique Forbes, le public de jeunes filles entre 12 et 17 ans spectateur de la NFL a explosé de +53% par rapport à la saison précédente, et de +24% chez les 18-24 ans. Les rencontres de phases finales des Chiefs font tomber tous les records d'audience. Fin janvier, la finale de conférence contre Baltimore a été suivie sur CBS par 55,5 millions de spectateurs (+17% par rapport à la saison précédente). Le diffuseur n'avait plus enregistré un tel audimat hors Super Bowl depuis 1994 et les JO d'hiver de Lillehammer. "Ça a mis en relation des fans de Taylor et des fans de NFL, d'une certaine façon, a reconnu avec gourmandise, fin novembre, le commissioner de la NFL, Roger Goodell. C'est formidable pour la Ligue de bénéficier de cette attention."
Le football américain, reflet troublé de "l'âme américaine"
Taylor Swift casse les codes par son aura, mais aussi par ce que représente son idylle avec Travis Kelce, star estimée de la NFL avant même qu'il ne devienne "le petit ami de Taylor Swift". "On n'a jamais eu une icône globale qui s'y soit autant intéressée, analyse Jean-Baptiste Guégan. Et Travis Kelce, lui, est un gagnant qui a une vraie personnalité. C'est la vision inversée du couple star avec la légende Tom Brady et la mannequin Gisèle Bündchen. Là, celle qui soutient n'est pas effacée, loin de là, et l'autre n'est pas l'Américain moyen, au contraire. C'est un progressiste dans une Amérique compliquée et divisée."
"La NFL, c'est l'âme américaine, poursuit-il. C'est LA ligue sportive majeure, qui renvoie à l'image conservatrice de l'Amérique. Il suffit de se rappeler de Colin Kaepernick (joueur critiqué par Donald Trump pour avoir posé le genou à terre durant l'hymne américain pour dénoncer le racisme et les violences policières contre la communauté afro-américaine), il n'y a pas de place pour Black Lives Matter ou les contestataires. C'est le sport le plus pratiqué, mais il l’est majoritairement dans l'Amérique du Midwest. On est peut-être à l'aube d'un repositionnement de la NFL, c'est presque une aubaine. Mais cela fait aussi grincer des dents."
L'une des clés de l'élection présidentielle ?
Le phénomène Swift - Kelce, c'est aussi l'immixtion de la politique dans l'une des passions les plus dévorantes aux Etats-Unis, en pleine année d'élection présidentielle. D'un côté, la plus grande star du moment, machine à cash et à influence. De l'autre, le symbole du divertissement numéro un outre-Atlantique, responsable de 94 des 100 plus grosses audiences TV aux Etats-Unis en 2023.
Le Super Bowl, avec ses 115,1 millions d'Américains téléspectateurs l'an passé, devient alors la plateforme idéale pour les Démocrates comme pour les Républicains. Taylor Swift est accusée ces dernières semaines par une partie de la droite américaine d'être un objet de propagande en faveur de l'administration Biden. Sa romance avec Travis Kelce serait un coup monté, et toute la saison de NFL un complot.
"Je me demande qui va gagner le Super Bowl le mois prochain", a fait semblant de s’interroger le républicain Vivek Ramaswamy, ex-candidat à la Maison Blanche avant de se rallier à Donald Trump, le 5 novembre dernier, alors que les Kansas City Chiefs ont atteint le Super Bowl pour la 4e fois en cinq ans. "Et je me demande si une annonce majeure de soutien à un candidat à la présidence, venant d’un couple créé artificiellement, ne se prépare pas pour cet automne."
Longtemps silencieuse sur les sujets politiques, Taylor Swift avait estimé le "regretter" en 2018, avant de critiquer ouvertement la gestion de la crise du Covid par Donald Trump en août 2020. Travis Kelce avait pour sa part participé à des publicités pour le laboratoire Pfizer, afin d'encourager la population à recevoir une deuxième dose de vaccin contre le Covid-19.
Dans le clan Biden, on espère désormais de moins en moins secrètement - comme le révélait le New York Times (article payant) - que Taylor Swift affichera publiquement son soutien au candidat sortant, comme en 2020. "Cela dit la force politique du football américain et du Super Bowl, résume Jean-Baptiste Guégan. Les indécis seront la clé de l'élection américaine : les jeunes, les minorités et les grands Etats, ceux où on retrouve la majorité des franchises NFL. Les deux camps vont se disputer Taylor Swift. Les uns pour la présenter comme la pire des choses et jouer sur le complotisme. Les autres pour la récupérer parce que cette élection est peut-être la plus incertaine et dangereuse pour les Etats-Unis depuis celle de George W. Bush."
En septembre 2023, la plateforme Vote.org a observé un bond de 1226% du trafic de son site dans l'heure suivant une publication de la star sur le réseau social Instagram, appelant à s'inscrire sur les listes électorales. Plus de 35 000 nouvelles inscriptions ont été recensées en 24 heures, dont une progression de 115% parmi les électeurs de 18 ans. Depuis la bataille entre Joe Biden et Donald Trump en 2020, huit millions de jeunes américains ont atteint l'âge de pouvoir se déplacer dans les urnes pour la première fois.
"Mais il n'est pas dit que Taylor Swift se prononce de manière radicale, poursuit Jean-Baptiste Guégan. Elle est ouverte, progressiste, mais elle vient aussi de cette Amérique plus traditionnelle. La politisation d'un événement comme le Super Bowl risquerait de se retourner contre elle et son compagnon. Le mélange sport et politique trop assumé et mis en avant est souvent contre-productif pour le business des sportifs."
L'effet Taylor Swift sur le football américain sera-t-il pérenne ? Il dépendra de la longévité de son couple avec Travis Kelce. Ou d’une possible retraite du joueur NFL, 34 ans. "Si la NFL veut en profiter, il faut qu'elle le fasse vite", assure Alain Mattei. Mais, cette année, avec Taylor Swift dans ses gradins, la NFL a déjà gagné.
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