: Infographies Les trois plaies du rugby français qui expliquent la déroute des Bleus
Plus que le jeu prôné par Philippe Saint-André, la mauvaise organisation du rugby de haut niveau en France a pénalisé les Tricolores durant la Coupe du monde. La preuve par trois.
Depuis que la Nouvelle-Zélande a infligé une monumentale fessée (62-13) au XV de France, samedi 17 octobre, en quart de finale de la Coupe du monde de rugby, un tombereau de reproches s'abat sur Philippe Saint-André, le sélectionneur des Bleus. Une nouvelle fois le manque de fond de jeu, la trop grande priorité donnée à la force physique et la faiblesse du niveau technique français sont pointés du doigt. Mais d'autres voix s'élèvent pour dénoncer des facteurs sur lesquels le sélectionneur du XV de France n'avait aucun pouvoir.
Francetv info se penche sur ces problèmes inhérents à l'organisation du rugby français.
Des cadences infernales
Quelques heures à peine après la déroute face aux Néo-Zélandais, de nombreux Tricolores tentaient de trouver des raisons à cette débâcle. Pour Pascal Papé, le problème des Bleus est "plus profond" que des questions techniques ou tactiques. "Cela fait un moment qu'on se bat, qu'on dit qu'on a beaucoup trop de matchs", souligne le vice-capitaine des Bleus dans L'Equipe.
Si l'on compare le nombre moyen de minutes jouées la saison passée, en club aussi bien qu'en équipe nationale, on constate effectivement des disparités évidentes entre les membres de l'équipe de France et des joueurs de sélections comme la Nouvelle-Zélande.
Un joueur du XV de France a disputé, l'an dernier en moyenne, plus de 6 matchs complets de plus qu'un All Black, soit presque l'équivalent d'une Coupe du monde complète. Au passage, on s'aperçoit également que les Anglais font "pire" que les Français et que ce trop-plein de minutes sur le terrain n'a réussi à aucune de ces deux sélections.
On remarque, enfin, que l'Irlande, double vainqueur en titre du Tournoi des six nations, et considérée comme proche du niveau des nations de l'hémisphère Sud, suit également le rythme que s'imposent les All Blacks, avec l'équivalent de moins de 16 matchs joués l'an passé.
A la fin 2013, la Ligne nationale de rugby (LNR) et la Fédération française de rugby (FFR) ont signé un accord prévoyant qu'un groupe de 30 joueurs considérés comme sélectionnables en équipe de France ne seraient pas autorisés à jouer plus de 30 matchs par an. Au final, peu de Tricolores se sont approchés de ce seuil limite, déjà jugé trop important par de nombreux spécialistes.
Face à cette différence de rythme, de nombreuses voix s'élèvent en France pour que le Top 14 se transforme en Top 12 ou en Top 10. De quoi supprimer entre quatre et huit journées de championnat, ce qui offrirait des plages de travail salutaires aux Bleus. Mais cette décision n'appartient pas à la FFR, qui chapeaute l'équipe de France, mais à l'organisateur du Top 14, la LNR, dirigée par les clubs. Or, les finances de ces derniers dépendent des diffuseurs télé, qui pourraient trouver le produit Top 12 ou Top 10 moins alléchant.
Des joueurs moins habitués à jouer ensemble
Samedi soir, le monde du rugby s'est émerveillé devant la fluidité du jeu des All Blacks, comme si les joueurs se connaissaient par cœur. C'est exactement le cas puisque, par exemple, les ailiers et les centres titulaires lors de ce quart de finale jouent tous pour les Hurricanes de Wellington, une des cinq franchises néo-zélandaises. Tous les All Blacks sont répartis dans ces cinq équipes, mais la plupart font partie des Hurricanes et des Crusaders.
A contrario, les Français, eux, ont disputé le Top 14 dans 10 clubs différents la saison dernière, et mis à part la charnière titulaire en début de tournoi, presqu'aucun automatisme de club n'existe dans la plupart des lignes françaises. Même chose chez les Anglais où huit équipes sont représentées.
Encore une fois, les Irlandais s'appuient sur un modèle proche de celui des nations du Sud, avec des joueurs répartis entre seulement quatre provinces. De quoi offrir des plages d'entraînements communs énormes à des joueurs qui peuvent développer leurs automatismes. Avec 18 joueurs sur 31, le Leinster, club champion d'Europe en titre, compose une très large partie du XV du Trèfle. Joe Schmidt, l'actuel sélectionneur des Verts, en est d'ailleurs l'ex-entraîneur. De quoi partir au combat avec certaines certitudes sur le jeu, ce dont aurait aimé bénéficier Philippe Saint-André.
L'idée de réduire le nombre d'équipes du Top 14 à 12 ou 10 formations augmenterait mécaniquement cette bénéfique concentration de joueurs français dans les mêmes clubs. A condition, bien sûr, qu'ils y jouent. Car pour l'heure, l'afflux de joueurs étrangers dans le championnat de France relègue parfois des Tricolores sur le banc. La déroute des Bleus en Angleterre pousse aujourd'hui certains observateurs à demander une limitation du nombre de joueurs non-français dans les effectifs du Top 14. "Il faut plus de Français sur le terrain", plaide ainsi Jean-Baptiste Elissalde sur Sport365.
Les joueurs français sont payés par les clubs
On comprend, à travers les deux précédents exemples, que les provinces irlandaises ou les franchises néo-zélandaises ont pour objectif de servir de réservoir à leur sélection nationale. Alors qu'en France, la réussite des Bleus n'est pas la priorité des clubs. Le constat est encore plus criant quand on se penche sur la rémunération des joueurs.
Dans de nombreux pays comme la Nouvelle-Zélande, l'Irlande ou l'Australie, la quasi-totalité des rugbymen professionnels de haut niveau sont sous contrat avec leur fédération, et non avec leur franchise ou leur province. Le pays de Galles et l'Afrique du Sud ont, à leur tour, contractualisé de plus en plus de joueurs ces dernières années.
En Nouvelle-Zélande, tous les joueurs professionnels du Super 15 sont sous contrat avec la fédération. Ils sont simplement prêtés aux franchises pendant six mois pour disputer ce super championnat de l'hémisphère Sud. Du coup, lorsqu'il faut regrouper les All Blacks pour un stage préparatoire précédent le Four Nations (compétitions entre la Nouvelle-Zélande, l'Australie, l'Afrique du Sud et l'Argentine), ou des matchs amicaux face à des équipes européennes, la fédération n'a pas à demander l'aval des clubs. Par contrat, les joueurs sont All Blacks avant tout et sont à disposition du sélectionneur. En Irlande, un système équivalent permet aux joueurs d'être mis à la disposition du XV du Trèfle plusieurs semaines avant le Tournoi des six nations.
En France, en revanche, on a du mal à demander aux joueurs de multiplier les stages préparatoires, car ils sont payés par les clubs. Ces derniers ont évidemment l'obligation de libérer leurs meilleurs éléments, mais la fédération doit verser une contrepartie à la Ligue qui la reverse ensuite aux clubs concernés.
Cette question a déjà créé de nombreux remous, les clubs estimant être trop peu payés par la fédération : environ 500 euros par jour par joueur. A l'image du président du RC Toulon, Mourad Boudjellal, dans Le Monde, ils réclament depuis longtemps un alignement sur la pratique anglaise, qui prévoit un dédommagement de 200 000 euros par joueur par an. Une logique difficile à envisager pour une FFR aux ressources limitées par le fait qu'elle n'est pas l'organisatrice du Top 14. Philippe Saint-André avait réussi à obtenir quelques concessions, mais les clubs rechignent toujours à voir leurs joueurs s'absenter pendant de longues semaines.
Face au tremblement de terre provoqué par la défaite face aux All Blacks, Pierre Camou, le président de la FFR, a indiqué, lundi, qu'il envisageait un changement de stratégie en contractualisant des joueurs. Le hic : de nombreux rugbymen français touchent dans leur club des salaires mirobolants, bien supérieurs aux montants prévus par les contrats des fédérations étrangères. Le président français n'a d'ailleurs rien dit sur le financement de ces futurs contrats fédéraux.
Ces contrats ne changeraient pas pour autant les Bleus en or. L'Australie a récemment assoupli son système lié à ses contrats. Les Wallabies ne sont plus obligatoirement composés de joueurs contractualisés, l'objectif étant de ne pas se priver de grands joueurs partis signer de gros contrats à l'étranger, comme les Toulonnais Matt Giteau et Drew Mitchell. Formation, championnat, moyens financiers, structures, seuls des changements en profondeur à tous les étages du rugby français lui permettront de retrouver les sommets.
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