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ENTRETIEN. Top 14 : "Ce n'est pas étonnant qu'on soit là" : les dirigeants Vincent Merling et Pierre Venayre expliquent les succès du Stade rochelais

Derrière la réussite du Stade rochelais, double champion d'Europe en titre qui dispute sa demi-finale de Top 14 samedi, se cache le duo Vincent Merling-Pierre Venayre. Ils nous ont raconté la progression du club.
Article rédigé par Elio Bono, franceinfo: sport - A Saint-Sébastien (Espagne)
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
Pierre Venayre (à gauche), directeur général du Stade rochelais, et Vincent Merling (à droite), président du club, le 9 juin 2023 à Saint-Sébastien (Espagne). (Elio Bono)

Ils sont les deux têtes pensantes du Stade rochelais. Tous deux anciens joueurs à des périodes diverses, Vincent Merling (73 ans), président depuis 1991, et Pierre Venayre (44 ans), directeur général depuis 2008, constituent désormais le couple de l'exécutif du club à qui tout réussit. "C'est un binôme essentiel", en sourit le premier. Le tandem a fait de La Rochelle, monté pour la dernière fois en 2014, une écurie majeure du rugby européen, jusqu'à remporter deux Champions Cup consécutives, dont la dernière le 20 mai dernier face au Leinster.

À la veille de leur demi-finale de Top 14 contre Bordeaux-Bègles – la troisième de rang – à Saint-Sébastien (Espagne), samedi 10 juin, le duo, plutôt discret, nous a reçus pendant 45 minutes à son hôtel pour retracer la progression du club à la caravelle.

Franceinfo: sport : Le Stade rochelais n'avait jamais disputé de demi-finale avant 2017. Depuis cette date, il s'apprête à disputer sa quatrième demie de Top 14 et a joué les trois dernières finales de Champions Cup. Finissez-vous par vous y habituer ?

Pierre Venayre : (sourire) On commence à le normaliser, mais pas à s'y habituer. Pour nous, il y avait quelque chose d'anormal au départ à ce que le club qu'on a patiemment développé en Pro D2 joue enfin les premiers rôles. C'est d'ailleurs grâce à des apports extérieurs au club comme Patrice Collazo [manager de 2011 à 2018] ou Ronan O'Gara [manager depuis 2019]. Par leur soif de gagner, ils ont changé notre vision des choses. Mais on veille à ne pas s'y habituer. Demandez à des clubs qui ont vécu des titres puis des périodes de disette... Il faut profiter.

Vincent Merling : À titre personnel, je n'y pensais même pas ! L'expression de ne pas oublier d'où l'on vient est très importante. On vit quelque chose de spécial. Ce que je vous dis, je suis sûr que n'importe quel supporter rochelais le pense aussi. Autrefois, il était courant de dire qu'il valait mieux être un grand club de Pro D2 qu'un petit club de Top 14. Si on avait suivi ce raisonnement, on serait peut-être encore en Pro D2.

PV : En 2008, on a fait un sondage auprès de nos abonnés, leur demandant s'ils voulaient que le club monte. 75% d'entre eux préféraient rester en Pro D2 !

Mesurez-vous le chemin parcouru depuis ?

VM : On en est fiers, car on entend de toute part que notre club est un exemple de montée en puissance sportive et économique. Quelque part, on vient d'où sont d'autres clubs aujourd'hui et on leur ouvre la porte. En regardant dans le rétroviseur, on se dit que c'est pas étonnant qu'on en soit là, mais ça ne servirait à rien d'être dans l'éphémère.

"Pérenniser le Stade rochelais comme grand club, c'est une ambition nouvelle mais réelle. Les titres sont la conséquence de ce qu'on a fait préalablement"

Vincent Merling, président du Stade rochelais

à franceinfo: sport

PV : On surgit réellement dans l'univers médiatique, mais il faut savoir que ça ne s'est pas fait du jour au lendemain. C'est une montée en puissance progressive. En 2011, on a créé un "projet 2015" pour arriver dans le top 10 du rugby français, puis un autre en 2015, pour jouer les premiers rôles. Aujourd'hui, les bases sont solides, mais on n'est pas sur un état d'euphorie.

À quand remonte le "déclic", qui vous a fait prendre conscience qu'il y avait le potentiel de faire de La Rochelle un grand d'Europe ?

PV : Le moment charnière, c'est quand on est montés en 2010. On est directement redescendus, et on a alors pris conscience de nos limites au niveau du budget, des infrastructures, du staff… Cela a été très brutal. Mais en même temps, on a perçu un engouement exceptionnel du fait d'être en Top 14. On raisonnait encore à l'échelle de la ville, alors que notre communauté allait beaucoup plus loin que La Rochelle.

On a compris qu'en étant un club "de territoire", on pouvait lutter contre les agglomérations comme Toulouse. C'est là qu'on a écrit notre premier projet de développement. On est redescendus, mais on a travaillé pour revenir cinq ans plus tard, cette fois armés pour rester en Top 14.

La joie de Levani Botia (à gauche) et Sireli Bobo lors de la dernière montée de La Rochelle, le 25 mai 2014 contre Agen. Neuf ans plus tard, Botia est toujours un cadre du club. (NICOLAS TUCAT / AFP)

L'aire urbaine de La Rochelle compte environ 200 000 habitants. Comment êtes-vous parvenus à jouer les premiers rôles dans un Top 14 devenu l'apanage des grandes métropoles ?

VM : Il faut savoir que La Rochelle a longtemps été éloignée du rugby. Si ça a été un inconvénient autrefois, c'est aujourd'hui une force. Le Stade rochelais est devenu une marque, et aujourd'hui, on rayonne sur une grande région, du nord de Bordeaux au sud de Nantes. Dans cette région, il n'y a pas d'abondance de sport de haut niveau.

PV : Cette zone de chalandise, c'est 1h30 autour du stade, plus de deux millions d'habitants et près de 3 000 entreprises de plus de 50 salariés. Et ce sont des territoires dynamiques : l'agglomération rochelaise, la Vendée, le pays choletais...

Par quels procédés êtes-vous parvenus à fédérer tout ce territoire derrière le club ?

PV : Le club a toujours fait le choix de ne pas dépenser toutes ses ressources dans le sportif, mais aussi d'investir dans les infrastructures, pour que l'expérience soit attractive. C'est un point clé dans la recherche des partenaires. La plupart d'entre eux viennent voir un spectacle sportif et vivre une expérience, en invitant des clients par exemple. Ensuite, on a été très sérieux dans la manière de travailler la marque pour qu'elle ait un ancrage territorial. Ça, plus les résultats sportifs, fait qu'on a 800 entreprises partenaires, 10 000 abonnés et une longue liste d'attente.

VM : On défend une certaine idée du rugby. Le premier plan stratégique dont parlait Pierre, en 2011, on l'a appelé "Grandir ensemble". On a construit ce club avec des valeurs de partage, dans lesquelles beaucoup d'entreprises se reconnaissent.

PV : C'est là que Vincent a été visionnaire. Il a soutenu le club dans les moments difficiles et aurait pu en devenir propriétaire avec un euro symbolique, mais il a toujours préféré que cela reste un projet collectif. Aujourd'hui, son entreprise est actionnaire parmi d'autres. Ce n'est pas le projet d'une entreprise ou d'un homme. Cela permet une adhésion forte, et chacun y contribue en achetant sa place ou en donnant de son temps.

Votre stade Marcel-Deflandre (16 000 places) a été à guichets fermés lors du dernier match de la saison régulière pour la 80e fois d'affilée. N'y a-t-il pas le potentiel pour en agrandir significativement la capacité ?

PV : (d'un ton ferme) Non. Il faut savoir que l'affluence moyenne de Top 14 est autour de 15 000 spectateurs, cela reste limité. Peut-être qu'un jour on sera à 20 000, mais c'est hyper important pour nous d'avoir un stade toujours plein. C'est ce qui crée cette sensation de ferveur. On entend d'ailleurs que des gens veulent venir de toute la France vivre un match, car c'est quelque chose de particulier.

C'est sûr qu'on pourrait attirer 40 000 personnes contre Toulouse, mais on sait qu'actuellement, sur certaines affiches, on fait tout juste le plein. Un stade de 25 000 places serait plein trois fois dans la saison. 

Le public du Stade rochelais lors du dernier match à domicile contre le Stade Français, le 28 mai 2023. (XAVIER LEOTY / AFP)

Les recettes de billetterie et d'hospitalité représentent près de 70% de votre budget. Avez-vous eu peur que le club disparaisse lorsque les matchs se disputaient à huis-clos à cause du Covid-19 ?

VM : Oui, mais ça a été la même problématique pour de nombreux clubs et entreprises. Le soutien de l'Etat vis-à-vis des clubs sportifs a fait du bien. On voit qu'en Angleterre, où le quoi qu'il en coûte n'a pas existé, de nombreux clubs sont endettés. Et si on en est là, c'est aussi par le soutien très fort de nos partenaires et de nos abonnés. Ensemble, on s'en est sortis et on a résisté à cette période difficile. Nous sommes tous récompensés, et c'est pour ça qu'on aime dire que chaque membre du Stade rochelais a gagné les deux Coupes d'Europe.

PV : Pour dimensionner, les dons des abonnés et partenaires ainsi que l'effort des joueurs, qui ont baissé leurs salaires de 20%, nous ont permis de sauver 10 millions d'euros [soit un tiers du budget actuel].

Le rugby attire la lumière, mais on a également vu le Stade rochelais prendre part au Tour de France femmes, l'été dernier. Dans un modèle multisports peu répandu en France, le club de basket s'est aussi facilement maintenu en Pro B. Faut-il s'attendre à voir d'autres "sections" du Stade rochelais ?

PV : Il n'y aura pas d'autres sports, car notre idée de base est que cette diversification n'apporte pas de concurrence ou de coûts financiers au rugby. C'est avant tout un projet de marque. Le club de basket était en train de mourir, parce que dans l'ombre du rugby qui attirait les partenaires. Il y a eu un appel à l'aide [en 2017]. Et pour le vélo, c'est également un partenariat de marque, on n'y a pas d'engagement financier. Mais ça a été une fierté de les voir sur le Tour de France !

VM : À La Rochelle, le basket est le deuxième sport le plus pratiqué. Gamin, j'allais les voir jouer. Le Stade rochelais avait le devoir de venir en aide à ce sport qui fédère beaucoup de passion chez les supporters. C'est une belle réussite, car le basket ne grandit plus dans l'ombre du rugby.

Vincent Merling, vous avez récemment fêté vos 73 ans, dont 56 au club, comme joueur, dirigeant puis président. Vous détenez d'ailleurs le record de longévité parmi les présidents actuels du Top 14. Vous arrive-t-il de penser à l'après et à votre succession ?

VM : Il est primordial que l'institution soit pérenne. Les hommes passent, les joueurs passent, mais l'institution doit rester. On a une organisation qui fait que les gens ne sont pas irremplaçables. Quand il n'y avait pas Pierre, je sentais la fragilité de l'institution. Aujourd'hui, je n'ai pas cette sensation. Mais il n'y a pas d'échéance, je n'ai aucunement envie de ne pas continuer à vivre ma passion. Et c'est parce qu'il y a ce couple Pierre Venayre-Vincent Merling qu'on est sereins et qu'on avance !

PV : Vincent a la forme, et dans nos têtes, on est encore là pour au moins 10 ans ! 

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