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Roland-Garros est-il le plus horrible des tournois de tennis ?

Quand les matchs ne sont pas interrompus par la pluie, ils le sont par la nuit. Et lorsque les joueurs peuvent enfin s'affronter, ils doivent en plus faire face à un public versatile.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le Serbe Novak Djokovic s'amuse de la pluie qui tombe sur Roland-Garros le 31 mai 2016 à Paris. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Novak Djokovic entre sur le court, emprunte un parapluie dans le public et fait un tour sur la terre battue, mimant un échauffement sous la bruine. Le numéro un mondial, fidèle à sa réputation, s'amuse de la pluie et offre au public l'une des pitreries dont il a le secret. Mardi 31 mai, les matchs n'ont pu reprendre que brièvement, un peu plus de deux heures entre les averses, après une journée d'interruption à cause du déluge. Et il n'y a pas que les intempéries qui font "la magie" de Roland-Garros.

Un tournoi pas adapté à sa météo changeante

S'il fait toujours une chaleur caniculaire lors de l'Open d'Australie, à Roland-Garros, il pleut tout le temps. Lors des six dernières éditions du tournoi parisien, il a plu près d'un jour sur trois, selon les calculs du Monde. En 2012, la pluie s'est même abattue pendant huit journées sur la porte d'Auteuil pendant la quinzaine. Les organisateurs des Internationaux de France ont dû repousser la finale du dimanche au lundi : une première depuis 1973.

Roland-Garros n'est toutefois pas le seul tournoi à être perturbé par le mauvais temps. A l'US Open, les finales ont été reportées au lundi quatre années de suite, entre 2008 et 2012, puis à nouveau en 2015. Mais à Flushing Meadows, dans la banlieue de New York, l'édition 2016 bénéficiera d'un court central équipé d'un toit en cas de déluge. Au-dessus du gazon anglais de Wimbledon, un toit a aussi été posé sur le central dès 2009. Et à Melbourne, l'Open d'Australie en possède trois.

 Tomas Berdych sert alors que des nuages de pluie approchent de Roland-Garros le 30 mai 2010 à Paris. (BORIS HORVAT / AFP)

Roland-Garros est le dernier des tournois du Grand Chelem à ne pas bénéficier d'une telle installation. Le toit ne fera son apparition qu'en 2020, au plus tôt. Les travaux de construction sont bloqués par un recours des riverains et des défenseurs du patrimoine. En attendant, il faut mettre les bouchées doubles, lorsque le beau temps revient, pour rattraper le temps perdu. En 2000, cinq terrains habituellement réservés aux entraînements avaient été utilisés en plus des seize courts dédiés à la compétition, au lendemain d'une journée de compétition annulée.

"Quand il pleut, on est au bord de l'explosion dans tous les secteurs", a reconnu le directeur du tournoi, Guy Forget, en conférence de presse, lundi. Et le patron de Roland-Garros d'insister : "Aujourd'hui, la nécessité, c'est d'avoir un toit." L'ancien champion français a d'ailleurs répondu aux moqueries de la légende américaine John McEnroe par sketchs interposés.

Les puristes arguent que les conditions changeantes font le sel des tournois en plein air et, qu'à l'inverse, les toits aseptisent le jeu, comme l'affirme Slate.

Pour autant, jouer sous la pluie est une gageure, souligne le blog du Monde dédié au tournoi parisien. La terre battue devient lourde et collante, la balle se gorge d'eau et de boue, les lignes blanches du court glissent dangereusement... Et attendre une éclaircie pour enfin commencer ou finir son match est tout aussi éprouvant, expliquait dans L'Express, Patrice Dominguez. "Ce qui est compliqué, c'est l'attente", exposait l'ancien joueur, ancien entraîneur et ex-directeur technique national. 

L'Espagnol Rafael Nadal sous la pluie à Roland-Garros le 11 juin 2012 à Paris. (GONZALO FUENTES / REUTERS)

La pluie bouscule les échauffements et les rituels des joueurs avant les matchs (déjeuner, entraînement, repos...) "Partout, ça crée un embouteillage : pour les repas, les soins, les transports... Dans tout, ajoute Patrice Dominguez. Il peut y avoir une montée de stress liée à tous ces petits changements. Il n'y a plus d'alternance, il va falloir jouer deux jours de suite. Et ça, c'est extrêmement préjudiciable pour un joueur. La pluie crée un déséquilibre des chances."

Andre Agassi a disputé deux finales interrompues par la pluie à Roland-Garros. La première, en 1991. Il mène face à une autre légende américaine, Jim Courier. Mais la pluie s'invite et les joueurs rentrent au vestiaire. Andre Agassi ne parvient pas à gérer cette interruption. "Je faisais les cent pas, comme un lion en cage", se souvient-il dans sa biographie, Open. Le match reprend. Son adversaire renverse la partie et gagne, malgré la pluie et le vent. En 1999, "le Kid de Las Vegas" est cette fois en train de sombrer face à Andreï Medvedev. Mais le match est mis entre parenthèses à cause de la pluie. Au retour des vestiaires, Andre Agassi retrouve son tennis et triomphe.

A Roland-Garros, on ne joue pas de nuit

Samedi 28 mai, Novak Djokovic s'est dépêché de plier son match pour se qualifier pour les huitièmes de finale, juste avant la tombée de la nuit. Les conditions de jeu étaient pourtant loin d'être idéales. "Nous avons joué aussi longtemps que nous le pouvions. A la fin, ça devenait vraiment sombre", raconte-t-il sur TennisTemple

Le Serbe en a profité pour réclamer qu'on éclaire enfin les courts de Roland-Garros, comme c'est le cas à l'Open d'Australie ou à l'US Open, où existent des sessions de nuit qui permettent aux joueurs de finir leurs matchs, aux spectateurs de venir après le travail et aux organisateurs de vendre plus de billets.

Déjà en 2012, les joueurs se plaignaient du retard pris par Roland-Garros en la matière. "Il va falloir faire quelque chose (...) qu’on puisse au moins terminer un match en cours", s’agaçait Tomas Berdych sur Sport 24"Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas d'éclairage ici", pestait sur Eurosport Stanislas Wawrinka, battu en deux jours par Jo-Wilfried Tsonga.

Un court de Roland-Garros bâché pour la nuit et sous la pluie le 27 mai 2010 à Paris. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Car lorsqu'un match est interrompu, il faut surmonter un obstacle psychologique. "Quand il y a une interruption, on s'aperçoit que c'est comme s'il y avait une deuxième chance pour celui qui est mené. Celui qui mène, lui, doit se poser tellement la question de ce qu'il ou elle a fait pour être devant et ce qu'il faut qu'il ou elle continue à faire que souvent, il ou elle joue un petit peu moins bien", analysait Patrice Dominguez dans L'Express.

Goran Ivanisevic en est convaincu : il doit à son mental solide sa victoire à Wimbledon en 2001. En demi-finale, le Croate est en difficulté face au Britannique Tim Henman, qui joue à domicile. La pluie vient le sauver. Le match s'éternise sur trois jours. Tim Henman ne supporte pas ces interruptions. Goran Ivanisevic tient bon, grâce à sa petite routine quotidienne. Il gagne son match-marathon avant de remporter le tournoi. 

Un public capricieux

A Roland-Garros, il n'y a pas que les éléments qui sont contre les joueurs. Le public parisien n'a pas bonne réputation. "Il n’y a qu’une catégorie de supporters pires que les Français, ce sont les Parisiens." Ce jugement sans appel a été rendu par Toni Nadal, l'oncle et coach de Rafael, en 2009, après la première défaite de l'ex-numéro un mondial sur la terre battue parisienne, pourtant enfant chéri du tournoi qui l'a remporté neuf fois. "Le public français est le plus dur", avait déjà jugé Martina Hingis, qui se souvient d'avoir été sifflée lors de sa défaite contre Steffi Graf en raison de ses supposées manières hautaines. Même condamnation de la part de Mary Pierce : "Quand je gagne, je suis française, quand je perds, je suis américaine."

Les spectateurs de la porte d'Auteuil sont tour à tour amorphes et indisciplinés, enthousiastes et hostiles, respectueux et potaches. Et ce sans chauvinisme aucun. En 2015, l'attitude du public durant la demi-finale entre Jo-Wilfried Tsonga et le Suisse Stanislas Wawrinka a suscité un tollé. Plutôt que de soutenir leur champion dès son entrée sur le court, les spectateurs n'ont manifesté leur soutien au Français qu'à la toute fin du match, alors que le Suisse était sur le point de l'éliminer. Et lorsque Stanislas Wawrinka a remporté la partie, il a essuyé les sifflets du public. "J'ai honte, c'est honteux, s'emportait le dernier finaliste français du tournoi, Henri Leconte, dans Le Parisien. Mais on est où sans déc... ? Les gens le sifflent alors qu'il est en finale de Roland ! Peut-être qu'ils espéraient que Stan allait donner le match ?"  "Je suis désolé, mais le public du court Philippe-Chatrier est incapable de reconnaître la force d'un champion, le mental d'un champion. Avec le match qu'il a fait, c'est un scandale !", abondait, choqué et déçu, Julien Benneteau sur RMC Sport.

C'est sans doute en partie dû à la sociologie de Roland-Garros. Dans les sages boxes fleuris de géraniums au plus près des joueurs, les VIP en panama et lunettes de soleil regardent poliment passer les balles, quand ils ne sont pas tout simplement absents à l'heure d'un déjeuner prolongé. A l'inverse, tout en haut des gradins, une foule composée souvent de jeunes, parfois licenciés de clubs de tennis, se charge de l'animation, entonnant les "polopopopolo", plaisantant à haute voix et passant outre les injonctions au silence de l'arbitre. En débutant l'édition 2016, Jo-Wilfried Tsonga s'en est plaint : il aimerait bien que cessent pendant ses matchs les blagues sur les Kinder Bueno dont il fait la publicité, raconte 20 Minutes

L'éternel trublion John McEnroe trouve, lui, le public de Roland-Garros "un peu trop silencieux". Au micro de RMC Sport, il a plaidé sa cause : "Les joueurs auraient besoin de plus d'énergieles fans devraient se manifester davantage". L'Américain tente de mettre un peu plus d'ambiance avec les membres de sa We are Tennis Fan Academy. Il entraîne donc ces amateurs - connaisseurs et donc respectueux de l'étiquette - à encourager les joueurs, saluer les beaux points, d'où qu'ils viennent, tout en moquant gentiment l'uniforme chic des spectateurs dans leur tenue et leurs chorégraphies bien répétées.

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