Travailleurs détachés : de l'agroalimentaire au BTP, cinq exemples d'abus
La directive européenne de 1996 était au cœur des discussions entre ministres du Travail des 28, lundi à Bruxelles. Elle est trop souvent contournée, comme dans les abattoirs Gad, chez un sous-traitant d'Eiffage ou encore le numéro 1 du transport routier dans l'Hexagone.
Ils étaient officiellement 144 441 en 2011 mais plus réalistement près de 350 000 en 2013, selon le ministre du Travail Michel Sapin. Le nombre de travailleurs détachés, qui ne travaillent pas sur leur sol, est en constante augmentation. Et les contrôles de leurs conditions de travail ne sont pas assez nombreux pour éviter les fraudes.
Car s'ils viennent de pays extérieurs, ces travailleurs détachés sont soumis à la législation du pays où ils effectuent leur mission d'une durée limitée. Et le non-respect du code du travail local par les employeurs d'aboutir à un dumping social. Francetvinfo revient sur cinq exemples d'abus récents.
Les Roumains payés 600 euros chez Gad
Leur situation a été révélée par Le Parisien (article payant), après la grève de leurs collègues des abattoirs Gad de Lampaul-Guimiliau (Finistère). Fin septembre, plus de cent intérimaires roumains sont venus pallier le surcroît d'activité lié au transfert de production du site de Lampaul, fermé, vers celui de Josselin (Morbihan). Ils dorment au camping ou à huit ou dix dans une maison et leur transfert entre la Roumanie et la Bretagne est pris en charge par la société d'intérim basée à Bucarest qui les a embauchés.
Celle-ci facture à Gad 1 425 € bruts pour 151,67 heures travaillées. Mais les principaux intéressés ne touchent que 557,82 € nets mensuels, selon la fiche de paie consultée par le quotidien. Et même quand ils sont payés au Smic, "il y a de nombreuses zones d’ombre sur leur système de Sécurité sociale", explique l'Inspection du travail départementale au Parisien.
"L'esclavage moderne" de l'EPR Flamanville
C'est un grand chantier européen, confié à Bouygues Travaux Publics, pour lequel plus de 3 000 personnes ont été embauchées, dont un millier d'intérimaires. Selon Enerzine, qui cite la délégation française socialiste au Parlement européen, plus de la moitié des travailleurs employés à la création du réacteur nucléaire nouvelle génération de Flamanville (Manche) seraient "d'origines polonaises, portugaises, roumaines ou encore hongroises".
Après la plainte déposée par 61 ex-salariés polonais, le procureur de la République de Cherbourg Eric Bouillard a estimé que "les charges étaient sérieuses". Deux sous-traitants de Bouygues sont accusés de ne pas avoir payé leurs cotisations sociales, de prêt illicite de main d'œuvre et de marchandage. Il s'agit de l'entreprise roumaine Elco et de l'agence d'intérim chypriote Atlanco, dont le siège social est basé en Irlande. Environ 700 salariés, essentiellement Roumains et Polonais, ayant travaillé sur l'EPR entre 2008 et 2012, sont concernés, selon le parquet.
Les élus PS dénoncent "un exemple d'esclavage moderne". "Ces ouvriers ont travaillé sur le chantier sans aucune couverture sociale alors que des cotisations ont été prélevées tous les mois par l'agence Atlanco. De même, ils ont payé des impôts en France. L'agence n'aurait jamais indiqué ce qu'elle avait fait de cet argent", précisent-ils.
2,86 euros de l'heure pour des intérimaires payés par des sous-traitants d'Eiffage
Pour les travaux du centre commercial Grand Carré de Jaude à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Eiffage "a acheté les services d’une entreprise portugaise, ASTP, qui a elle-même recouru à une agence de travail temporaire lusitanienne", note un rapport du Sénat (PDF) sur le travail détaché. Au bout de la chaîne de sous-traitance, certains ouvriers du chantier ont été rémunérés 2,86 euros de l’heure. Guinéens, polonais et portugais, "ils étaient logés dans des bungalows pour 80 euros, travaillaient jusqu'à 55 heures par semaine et la convention collective n'était pas respectée, notamment sur les primes de précarité et d'intempérie", selon le délégué CGT en Auvergne Laurent Dias, cité par Le Figaro.
Une autre chaîne de sous-traitance d'Eiffage est elle aussi accusée d'abus. Le groupe français pilote le chantier de la Ligne à Grande Vitesse Rennes-Le Mans, mais sous-traite à l'entreprise Matière, qui délègue à une société allemande et une firme lorraine, qui font appel à des entreprises de travail temporaire portugaises. "Lesquelles envoient des travailleurs vivant au Portugal mais originaires des pays de l'Est", rapporte Le Parisien magazine (article payant), qui les a rencontrés. Certains, d'origine ukrainienne mais venus du Portugal, sont payés 585 euros pour 40 heures hebdomadaires, précisent Les Echos.
Des Latino-Américains embauchés en Espagne et envoyés dans le sud de la France
"Dès 2009, dans les Bouches-du-Rhône, un millier d’Equatoriens remplacent près d’un tiers des anciens contrats OMI (Office des migrations internationales)" , raconte Le Monde diplomatique. Colombiens, Péruviens, Equatoriens ou encore Boliviens, ces travailleurs saisonniers sont embauchés en Espagne par des sociétés de travail temporaire comme AgroEmpleo, Agroprogres, Emagri, et surtout Terra Fecundis, comme le dénonce le député PS Gilles Savary, cité par Euractiv, lors d'un débat à l'Assemblée nationale. "Assignés à résidence sur l’exploitation, ne parlant pas français, ne sachant même pas où ils se trouvent, ils peuvent être mis à la porte du jour au lendemain", pointe le mensuel.
Dans le département voisin, le Var, d'autres travailleurs latino-américains sont convoyés en bus depuis l'Espagne et sont logés dans des baraquements sur place, selon ce reportage du collectif de journalistes "Chez Albert". Eux, par contre, rechignent à parler précisément de leur salaire.
Les Polonais du transporteur Norbert Dentressangle
Pointée par la Commission européenne en 2012, selon Le Figaro, la firme de transport routier Norbert Dentressangle est accusée d'avoir recrutée des centaines de chauffeurs à bas prix par le biais d'une filiale "boîte aux lettres" installée en Pologne.
Selon Jean-Michel Delory, délégué CFDT et secrétaire du comité du leader des transports de marchandises, interviewé par France Inter, ils sont payés trois fois moins qu'un salarié français et la société économise sur leurs cotisations sociales. "Chaque semaine, il y a des roulements de car qui se font" détaille-t-il, pour acheminer Polonais et Roumains dont les contrats de travail répondent aux normes de leurs pays d'origine.
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