Union européenne : pourquoi la Grèce et l’Allemagne sont à couteaux tirés
Le gouvernement d'Alexis Tsipras continue de négocier avec l'Allemagne pour appliquer la majeure partie du programme pour lequel il a été élu. Un numéro d'équilibriste.
Elu en janvier 2015, le Premier ministre Alexis Tsipras, issu du parti de gauche radicale Syriza, continue de se battre pour infléchir la politique d’austérité impulsée par la troïka (Commission européenne, BCE, FMI). Il a rencontré, dans la nuit du jeudi 19 au vendredi 20 mars, François Hollande, Angela Merkel et les représentants des institutions européennes. Son espoir : obtenir un soutien financier immédiat. Mais il s’est heurté au refus de ses partenaires qui réclament, rapidement, la mise en place des réformes promises fin février.
Tsipras a déclaré, dans la foulée : "Il est clair que la Grèce n’est pas contrainte d’appliquer les mesures d’austérité acceptées par le précédent gouvernement. (...) La Grèce va soumettre ses propres réformes structurelles à ses partenaires européens." Par partenaires européens, il faut comprendre, notamment, l’Allemagne, qui défend depuis le début de la crise de la dette publique en 2010 une stricte politique d’austérité européenne.
Un antagonisme fondamental avec la nouvelle équipe gouvernementale grecque, qui compte bien mettre fin à la rigueur, sans toutefois se brouiller avec l’Europe. Cet exercice d’équilibriste est compliqué par l’animosité qui règne entre Athènes et Berlin. Voici les principales raisons de cette discorde.
Ils sont en désaccord sur l'austérité
Leader économique de l'Europe, l'Allemagne défend la rigueur économique qui caractérise sa politique depuis les réformes de l'ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, au début des années 2000. Déficit contrôlé, marché du travail plus flexible... Difficile à accepter pour Tsipras et ses ministres, élus sur un programme qui rompait avec l’austérité en vigueur.
Tsipras a déjà dû accepter de revoir ses ambitions à la baisse. Lui qui promettait une hausse du salaire minimum, la gratuité des soins pour les chômeurs et de nombreuses aides pour les Grecs les plus pauvres a dû reléguer les mesures sociales d’urgence à la fin de sa liste de réformes.
Pour convaincre l’Allemagne, il s’apprête à moderniser son administration en réduisant le nombre de ministères et les frais accordés aux partis politiques et aux parlementaires. Il va aussi augmenter les taxes sur le tabac, remodeler l'assiette de l'impôt pour la rendre plus juste et intensifier la lutte contre la fraude fiscale. Seule petite satisfaction : les mesures anti-corruption, bien accueillies par l’Allemagne, étaient déjà présentes dans son programme.
Les deux ministres des Finances n'ont rien en commun
Yanis Varoufakis et Wolfgang Schäuble, ministres des Finances respectifs de la Grèce et de l’Allemagne, sont aux antipodes l'un de l'autre. Le premier est irrévérencieux et nonchalant. Le second ne quitte jamais son costume, son sérieux ou le cap strict du sérieux budgétaire allemand. "Varoufakis et Schäuble, c'est un choc culturel, un combat viril", raconte un observateur cité par L’Expansion.
Tout avait pourtant bien commencé. Dans un entretien à l’hebdomadaire allemand Stern, Varoufakis qualifie son homologue de "seul politique européen avec de la consistance intellectuelle". Mais Tsipras refuse le premier accord négocié par son ministre. Lors de l’Eurogroupe suivant, les ministres européens, échaudés, campent sur des positions plus dures et Varoufakis refuse des exigences autres que celles qu’il avait acceptées sept jours plus tôt. La rupture semble alors consommée. "Je ne vois rien qui nous facilite la vie dans tout ce que Varoufakis entreprend", regrette, fin février, le ministre allemand, qualifiant son homologue de "naïf".
Depuis, les tensions ont eu le temps de retomber. Mais une vidéo a brièvement remis de l’huile sur le feu. Exhumées par la chaîne allemande ARD, les images montrent Varoufakis faisant un doigt d’honneur à l'évocation des conditions allemandes. Depuis, le présentateur d'une émission satirique sur une autre chaîne allemande a avoué avoir truqué la vidéo.
Il existe un fort contentieux depuis la seconde guerre mondiale
C’est le dossier le plus complexe qui oppose les deux Etats membres. Celui des dettes que Berlin n'a jamais payées à Athènes après la seconde guerre mondiale. Mais que Berlin estime "juridiquement réglées".
En 1945, particulièrement touchée par les combats (l'Allemagne a envahi le pays de 1941 à 1944), la Grèce peut prétendre à d’importantes réparations. Les Alliés chiffrent le préjudice subi par Athènes à 7 milliards de dollars de l’époque, soit 108 milliards d'euros en valeur actualisée de l'inflation, selon un calcul de Syriza en 2012. Sans compter les intérêts.
Mais en 1953, l’accord de Londres, par lequel la République fédérale d’Allemagne (RFA) reconnaît une partie de ses dettes passées, repousse le paiement des réparations à un traité de paix postérieur. Le traité de réunification de 1990 remplit ce rôle. Quid des réparations ? Il n’en fait pas mention. Pour Berlin, fin de l’affaire. Sauf que la Grèce n’a pas participé aux négociations du traité de 1990.
S’ajoute à cela un prêt forcé de la Banque de Grèce à l'Allemagne, en mars 1942. La Grèce occupée avait alors prêté 476 millions de reichsmark (52 milliards d’euros de 2012) à taux zéro. Ce prêt n'a jamais été remboursé et le traité de Londres n’en fait pas mention. Au total, certains avocats évaluent l’ensemble de la dette à 600 milliards. Le parti Syriza, quand il était encore dans l’opposition en 2012, la chiffrait à 1 000 milliards.
Les estimations de la dette restante varient, mais représentent toutes une portion non négligeable des 315 milliards d’euros de dette publique de la Grèce d’aujourd’hui. Sauf que Berlin refuse de rouvrir ce débat. "L’Allemagne a parfaitement conscience de sa responsabilité historique, mais cela ne change rien à notre position et à notre ferme conviction que la question des réparations et des dédommagements à la Grèce a été réglée", a déclaré le porte-parole de la chancelière allemande.
Le gouvernement grec ne semble pas se faire d’illusions. Mais comme l’a montré l’hommage rendu par Alexis Tsipras aux victimes d’un massacre nazi, il compte bien le faire peser dans la balance des négociations.
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