Accord sur la réforme du marché du travail : va-t-on vers une flexisécurité à la française ?
L'Allemagne ou les pays scandinaves sont souvent pris en exemple, mais la France est encore loin de ces modèles qui allient flexibilité pour l'employeur et sécurité pour le salarié.
Conjurer la peur du licenciement pour les salariés et celle de l'embauche pour les entreprises, c'est l'objectif que s'était fixé François Hollande lors de ses vœux. Le président de la République, pour inverser la courbe du chômage, en hausse depuis dix-neuf mois, veut faire évoluer le marché du travail en donnant davantage de souplesse aux entreprises et plus de sécurité aux salariés.
C'est le principe avancé par les défenseurs de la "flexisécurité". Un système adopté par les pays scandinaves et qui fait fantasmer la classe politique française. L'accord trouvé vendredi 11 janvier entre les partenaires sociaux sur la réforme du marché du travail correspond-il à une flexisécurité à la française ? Les mesures imaginées sont-elles suffisantes pour permettre d'inverser la courbe du chômage ?
On se souvient qu'en 2007, Nicolas Sarkozy avait lui-même été très offensif sur le sujet, en promettant l'abandon des 35 heures ou l'instauration d'un contrat de travail unique. Aujourd'hui, les grandes organisations internationales vont dans le même sens et incitent surtout à davantage de flexibilité. Ainsi, tout en saluant la mise en place du crédit d'impôt compétitivité, le FMI a souligné que "la clé de l'amélioration des résultats en termes de croissance et d'emploi réside dans la réforme du marché du travail".
Qu'est-ce que la France y gagne ?
François Hollande espérait un accord donnant-donnant, pour arriver à du gagnant-gagnant. Voici donc ce qu'ont obtenu salariés et patrons.
En flexibilité. Sans toucher aux effectifs, les employeurs peuvent désormais baisser les rémunérations ou augmenter le temps de travail ainsi que les rémunérations "en cas de graves difficultés conjoncturelles". Ce type de mesures seront prises dans le cadre d'un accord avec les syndicats portant sur une durée maximale de deux ans. Les entreprises vont ainsi gagner en réactivité.
La procédure encadrant les licenciements économiques est également assouplie, et le patronat a obtenu de raccourcir le délai dans lequel un salarié peut saisir les prud'hommes pour contester son licenciement, ramené de cinq à deux ans. Enfin, les entreprises peuvent procéder à des réorganisations avec mobilité interne contrainte sans avoir à déclencher un plan de sauvegarde de l'emploi.
En sécurité. L'accord prévoit une taxation plus lourde des CDD courts, les rendant moins attractifs pour les employeurs. Les cotisations employeurs à l'assurance chômage seront portées de 4 à 7% pour les contrats d'une durée inférieure à un mois, à 5,5% pour ceux d'une durée comprise entre un et trois mois et à 4,5% pour les CDD dits d'usage. Ne sont pas concernés "les CDD de remplacement" et les contrats saisonniers.
Côté incitatif, l'accord prévoit l'exonération de cotisations d'assurance chômage pendant trois mois (quatre mois pour une entreprise de moins de 50 salariés) pour l'embauche en CDI d'un jeune de moins de 26 ans.
Des négociations de branche vont également s'ouvrir afin de généraliser les contrats collectifs de complémentaire santé pour les salariés, avec une entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier. Enfin, en cas de reprise d'un emploi après une période de chômage, les salariés conserveront le reliquat de tout ou partie de leurs droits aux allocations non utilisées, qu'ils pourront percevoir en cas de nouvelle perte d'emploi.
Une réforme moins radicale que chez nos voisins
Les mesures imaginées sont certes un pas de plus dans le sens de la flexisécurité, mais un tour d'horizon montre que la France n'est pas allée aussi loin que ses voisins.
Danemark. C'est le pays le plus souvent pris pour exemple. Là-bas, un employeur peut se séparer de son salarié en quelques jours seulement pour motif économique. En échange, ce dernier bénéficie d'une indemnisation à hauteur de 90% de son dernier salaire et cela sans dégressivité pendant deux ans.
Allemagne. Depuis les réformes lancées par Gerhard Schröder, les employeurs peuvent baisser temporairement le temps de travail et les salaires pour éviter les licenciements. Durant cette période, ils s'engagent à ne pas supprimer d'emplois. A noter que les négociations entre employeurs et salariés sont facilitées par le bon climat social dans le pays.
Autriche. C'est sans doute le cas le plus extrême puisque 50% des Autrichiens changent d'emploi tous les ans. Les mesures sont radicales : pas besoin de justification pour licencier un salarié, l'employeur doit juste respecter un préavis proportionnel à l'ancienneté dans l'entreprise. En contrepartie, l'entreprise verse 1,5% de la masse salariale sur des comptes d’épargne individuels destinés à chaque salarié et gérés par des fonds privés.
Un véritable effet sur le marché de l'emploi ?
Moins de chômage dans les pays qui l'appliquent… Pour le gouvernement, cette réforme doit permettre d'inverser la courbe du chômage. L'étude menée par le cabinet Roland Berger et relayée par L'Usine nouvelle va dans ce sens, et met en évidence une forte corrélation entre le niveau de flexisécurité et le taux de chômage. Plus le premier est élevé, plus le second diminue. Les chiffres du chômage dans les pays suivant ce modèle vont dans ce sens : 7,9% au Danemark, 5,4% en Allemagne, ou encore 4,5% en Autriche.
Pour Andrea Bassanini, économiste à l’OCDE interrogé par La Croix, il faudra un an pour constater les premier effets de ces mesures. "Ce type de réforme a un effet très clair sur la productivité et sur la croissance", donc potentiellement sur la création d’emplois à long terme. Au moment de la reprise de l'activité, les entreprises pourront plus rapidement rebondir grâce à cette flexibilité et pourront mieux en profiter.
… mais un effet limité sans croissance. Toutefois, l'impact de ce modèle semble limité et dépend surtout du contexte économique. "Avec la flexisécurité, on est dans l’idéologie, expliquait à La Croix Bernard Gomel, chercheur au Centre d’études de l’emploi. "Si on regarde les mesures de ce type qui ont déjà été prises, on voit bien que ça n’a eu aucun effet sur l’emploi." Un constat qui semble être confirmé par le cas danois. Frappé comme le reste de l'Europe par la crise, le pays voit son taux de chômage grimper depuis 2008, obligeant en 2010 le gouvernement à réduire la voilure en ramenant de quatre à deux ans la durée des allocations chômage.
"Le véritable obstacle, c'est la croissance", estime Gérard Cornilleau, de l'OFCE, contacté par francetv info. "Avec cette réforme, on agit sur le qualitatif, et non sur le quantitatif." C'est la reprise de l'activité, via une politique de relance de l'Etat, qui fera baisser le chômage, et "tant que l'on ne changera pas les orientations macro-économiques, qui privilégient actuellement la baisse des déficits, ça ne changera rien".
Un autre levier n'a pas été évoqué lors de ces négociations : le niveau du salaire minimum (smic). "C'est le moyen le plus radical pour réduire le chômage", poursuit Gérard Cornilleau, "mais avec les conséquences que cela entraîne…" Car le revers de la médaille, c'est la paupérisation de la population, comme le vit actuellement l'Allemagne. Le pays n'a pas de salaire minimum et la proportion de travailleurs pauvres est passée de 18,7% à 20,6% dans les entreprises de plus de dix salariés, rapportent ainsi Les Echos. Un problème qui pousse désormais Angela Merkel à réfléchir à l'instauration d'un smic à l'allemande.
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