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Vrai ou faux Covid-19 : la fermeture des écoles va-t-elle permettre de freiner l'épidémie ?

L'efficacité de cette mesure mise en place depuis mardi est difficile à évaluer. Les experts sont de plus en plus divisés sur l'importance de la transmission du virus dans les établissements scolaires.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une salle de classe vide à Paris, en août 2020. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)

Les salles de classe de métropole vont rester vides pendant trois semaines. Les crèches, écoles, collèges et lycées sont fermés depuis le mardi 6 avril. Cette mesure radicale répond à un objectif : ralentir l'épidémie de Covid-19"C'est la solution la plus adaptée pour freiner le virus", a plaidé Emmanuel Macron lors de son allocution, le 31 mars. "Fermer les écoles, c'est la solution de raison", a renchéri le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, le lendemain. Mais cette "solution" va-t-elle vraiment permettre de casser la dynamique épidémique ? Franceinfo décortique les éventuels effets, directs et indirects.

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Un lieu de contamination qui fait débat

La première difficulté pour juger de l'efficacité de cette mesure réside dans le fait que les spécialistes ne sont pas tous d'accord sur l'importance du rôle joué par les établissements scolaires dans la circulation du Sars-CoV-2. "Les écoles jouent un rôle dans la dynamique de l'épidémie", affirme dans The Conversation Dominique Costagliola, épidémiologiste et biostatisticienne. Pour appuyer son propos, la directrice adjointe de l'Institut Pierre-Louis d'épidémiologie et de santé publique cite deux études, l'une publiée dans Science (en anglais), l'autre dans le European Journal of Clinical Investigation (en anglais).

"Les enfants sont un point d'entrée du virus dans les familles ; les données en ce sens sont désormais nombreuses", ont également écrit l'ex-directeur de Santé publique France, François Bourdillon, et la docteure en science politique Mélanie Heard, dans une tribune publiée par Le Monde (article abonnés) le 24 février. L'épidémiologiste Antoine Flahault partage ces analyses dans un entretien au Figaro.

Si l'école joue un rôle dans la propagation de l'épidémie, celui-ci est mineur, d'après l'étude pédiatrique Vigil. Le cercle familial reste le principal lieu de transmission pour les plus jeunes, selon le pédiatre Robert Cohen, principal auteur de cette étude qui porte sur 300 enfants testés positifs, principalement âgés de 0 à 10 ans. Pour environ 200 d'entre eux, l'origine de la contamination a pu être établie. Et "dans 70 à 80% des cas, la transmission aux enfants s'est faite au sein du domicile". Ces constats sont corroborés par l'étude ComCor (PDF), travail au long cours mené par l'Institut Pasteur, portant sur 77 208 personnes "avec infection aiguë par le Sars-CoV-2".

"Avoir un enfant scolarisé en primaire n'a pas été jusqu'à maintenant associé à un surrisque d'infection pour les adultes vivant dans le même foyer."

Les auteurs de l'étude ComCor

dans leur rapport de recherche

Des différences apparaissent toutefois selon les âges des enfants. Les campagnes de dépistage ont montré que le taux de positivité des tests était un peu plus élevé en passant de la maternelle au primaire, du primaire au collège et du collège au lycée. En clair, plus les enfants sont âgés, plus ils sont de potentiels vecteurs du virus.

Un effet direct sur les chaînes de transmission

Même si les établissements scolaires sont des lieux de contagion dont l'importance fait débat, leur fermeture a un effet direct : l'arrêt des contaminations, quelle que soit leur ampleur, fait valoir Pascal Crépey, épidémiologiste à l'Ecole des hautes études en santé publique.

"Malgré les avis divergents des spécialistes, nous nous entendons tous sur le fait qu'il y a très certainement des contaminations dans les écoles et que les fermer, cela permet d'éviter ces contaminations."

Pascal Crépey, épidémiologiste

à franceinfo

"Si les écoles sont fermées, elles ne sont plus des endroits où les chaînes de transmission peuvent se créer, il y aura donc moins de transmissions intra-foyer", abonde auprès de franceinfo Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses à l'université de Montpellier. L'universitaire fait remarquer que les contaminations provoquées par les enfants ne se limitent pas seulement aux membres de leur foyer, mais concernent également leurs grands-parents ou encore les autres membres de leur entourage familial ou amical qu'ils auraient pu côtoyer.

Un effet indirect sur les interactions des parents

La fermeture des établissements scolaires a également des répercussions en dehors des écoles, et qui ne concernent pas que les enfants. "Elle va aussi forcer certains parents à rester à la maison pour garder les enfants", souligne Pascal Crépey. Il s'agit, selon lui, de l'effet "un peu indirect que l'on cherchait à obtenir avec l'incitation au télétravail, qui est de réduire les moments d'exposition sur les lieux de travail", identifiés comme des lieux de contamination. 

En effet, selon l'étude ComCor, parmi les 45% de personnes interrogées qui pensaient savoir où elles avaient attrapé le virus, 15% ont cité le milieu professionnel. Mais les contaminations étaient 30% moins nombreuses chez les personnes en télétravail cinq jours sur cinq, contre 24% pour celles qui alternaient entre présentiel et distanciel.

"Le recours au télétravail a été insuffisant et donc je comprends que l'on passe par des mesures plus fortes, plus indirectement contraignantes, pour garder les gens chez eux."

Pascal Crépey, épidémiologiste

à franceinfo

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La fermeture des écoles et l'incitation au télétravail visent un même et unique but : diminuer les interactions au sein de la population. "La mesure la plus efficace, d'un point de vue théorique, serait d'imposer aux gens de réduire de 50% à 60% les contacts qu'ils ont avec leurs semblables. Cela permettrait de casser la dynamique épidémique très rapidement et très efficacement. Mais c'est impossible à contrôler, à estimer", explique Pascal Crépey. Pour lui, "toutes les mesures prises par l'exécutif sont des mesures 'détournées' pour atteindre cet objectif de réduction des contacts. C'est justement le rôle du politique de traduire cet objectif en mesures réalistes et applicables pour que la société continue de fonctionner"

La fermeture des écoles peut également avoir un "impact de perception" auprès de la population, avance auprès de franceinfo Laura Temime, professeure d'épidémiologie et de modélisation des risques sanitaires au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Cela peut amener les Français à se dire qu'il se passe "quelque chose de grave, que c'est sérieux", poursuit l'enseignante-chercheuse. Ce sentiment pourrait inciter les Français à prendre davantage de précautions. 

Emmanuel Rusch, président de la Société française de santé publique, envisage lui aussi que la fermeture des écoles et l'éventuel changement d'appréciation du danger qu'elle entraîne aient des "conséquences en cascade" conduisant au final à une "forme de confinement familial".

Une efficacité impossible à évaluer ?

Mais, entre ces effets directs et indirects, est-il possible de mesurer précisément l'impact de la fermeture des écoles sur le ralentissement de l'épidémie ? Elle est "considérée comme une mesure efficace pour limiter la circulation du virus en communauté", écrit le Conseil scientifique dans son avis du 11 mars (PDF), se référant à deux études, l'une européenne publiée en novembre 2020 dans la revue Nature Human Behaviour (en anglais), l'autre française parue en février dans la revue Nature communications (en anglais).

Il s'agit même de l'une des mesures les plus fortes pour limiter la transmission du Sars-CoV-2, montre également une étude écossaise publiée dans la revue The Lancet (en anglais), en octobre 2020. C'est ce qui ressort d'une vaste comparaison des "interventions non pharmaceutiques" prises dans 131 pays pour faire face à la pandémie de Covid-19.

Toutefois, certains experts demeurent sceptiques. "Je ne pense pas que la fermeture des écoles aura un impact très important sur l'épidémie (...) C'est la moins bonne des solutions", juge l'épidémiologiste Martin Blachier sur CNews"La fermeture des écoles ne sert pas à grand-chose et pourrait même aggraver la situation", renchérit l'épidémiologiste Catherine Hill auprès de l'AFP. 

"Même lorsque cette période sera passée, il sera difficile de savoir si ces mesures ont eu un effet ou non, puisqu'il y a plein d'autres variables, telles que le climat."

Emmanuel Rusch, président de la Société française de santé publique

à franceinfo

Isoler l'effet de la seule fermeture des écoles s'avère particulièrement difficile. D'abord, parce que d'autres mesures de freinage de l'épidémie s'appliquent en parallèle : le port du masque, le confinement, le couvre-feu et le télétravail notamment. Ensuite, parce que d'autres éléments peuvent influer : la diffusion du variant identifié en Grande-Bretagne, plus contagieux, ou à l'inverse l'accélération de la campagne de vaccination. 

"Il y a toujours énormément de choses qui jouent en même temps", résume Laura Temime, rappelant que l'éventuel effet bénefique du couvre-feu avait également fait débat. "Bien présomptueux celui qui saura dire si c'est efficace ou non", conclut Emmanuel Rusch.

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