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: Vrai ou faux Ocytocine : les femmes qui multiplient les partenaires sont-elles "moins aptes à s'attacher durablement à un homme", comme l'affirme Thaïs d'Escufon sur TikTok ?

Selon l'influenceuse d'extrême droite, "plus une femme a multiplié les expériences, moins elle produit d'ocytocine", hormone qui renforce l'empathie dans un couple. En réalité, il n'y a aucun lien avéré, répondent les scientifiques interrogés.
Article rédigé par Pauline Lecouvé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Sur TikTok, Thaïs d'Escufon alimente le discours misogyne d'une sexualité hors mariage systématiquement dégradante pour les femmes. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"C'est quoi ton 'bodycount' ?" Sur TikTok, des vidéos dans lesquelles des jeunes femmes sont interrogées sur leur "bodycount", c'est-à-dire leur nombre de partenaires sexuels, ont été visionnées plusieurs millions de fois. Elles suscitent de nombreuses interrogations et réactions : quel est le nombre idéal ? Faut-il demander celui de son partenaire ? Doit-on mentir sur son "bodycount" ? Une brèche dans laquelle les théories réactionnaires, comme l'a montré France Inter fin mai, n'ont pas manqué de s'engouffrer, et ce, alors que TikTok échoue à protéger ses jeunes utilisateurs de la désinformation.

Dans une vidéo publiée le 12 mai, l'ancienne porte-parole de Génération identitaire Thaïs d'Escufon s'est emparée de la question en argumentant que les femmes ne devraient pas multiplier les relations. "Plus une femme a multiplié les expériences, moins elle produit d'ocytocine, et moins elle est apte à s'attacher durablement à un homme", avance la jeune femme de 23 ans.

L'influenceuse d'extrême droite conclut sa vidéo avec un conseil à celles qui la regardent : "Ecoutez vos besoins biologiques (...) ayez conscience de votre valeur, et ne vous dépréciez pas." De quoi alimenter le discours misogyne d'une sexualité hors mariage systématiquement dégradante pour les femmes. Thaïs d'Escufon a en revanche un seul conseil pour les hommes : "Lorsque vous rencontrez une fille qui vous intéresse, renseignez-vous sur son passé et prêtez attention à son bodycount."

Selon l'influenceuse, ce double standard n'est pas le fruit d'une culture sexiste, mais plutôt la conséquence d'une différence biologique. "Lorsqu'une femme a un rapport intime avec un homme, elle libère une grande quantité d'ocytocine (...), mais ce n'est pas le cas chez les hommes", explique-t-elle, en s'appuyant sur un schéma dont la source n'est pas mentionnée.

"Les hommes libèrent aussi de l'ocytocine"

L'ensemble de son argumentaire est faux, répondent les scientifiques interrogés. D'une part, "la production d'ocytocine n'est pas réservée aux femmes", rectifie Marcel Hibert, professeur émérite de chimie organique à la faculté de pharmacie de l'Université de Strasbourg. Le schéma sur lequel s'appuie l'influenceuse est "complètement fantaisiste et ne repose sur aucune donnée scientifique", estime-t-il. "Les hommes libèrent aussi de l'ocytocine, même s'il y a plus de récepteurs chez les femmes", abonde Bernard Sablonnière, biochimiste en biologie moléculaire au CHU de Lille.

Dans un couple, lors de la passion des premiers mois, c'est la dopamine qui domine, explique en outre le scientifique, auteur de La Chimie des sentiments. L'ocytocine vient ensuite prendre le relais et installe une relation d'attachement plus durable, qui s'entretient en partageant des moments de tendresse. Par exemple, lors d'un rapport sexuel épanouissant, "l'ocytocine va monter dans les cerveaux des deux partenaires et va renforcer l'empathie de l'un pour l'autre", explique Marcel Hibert, auteur du livre Ocytocine mon amour. "C'est également le cas lors de contacts corporels", ajoute Bernard Sablonnière.

La sécrétion d'ocytocine n'est d'ailleurs pas limitée aux rapports sexuels. Le phénomène est observé "même dans les relations entre collègues, dès lors qu'on s'attache à quelqu'un", souligne Bernard Sablonnière. L'hormone "joue un rôle important dans la conduite empathique, la confiance en l'autre, la réduction de l'agressivité, ainsi que la tendresse et l'attachement". Encore plus étonnant, cette hormone est présente dans l'urine des chiens et de leurs maîtres lorsque ceux-ci interagissent. "On va s'attendrir pour les enfants, et même les petits des autres espèces", explique Marcel Hibert.

Si la molécule joue un rôle primordial lors de l'accouchement pour déclencher les contractions, elle n'est pas sécrétée que par les mères. Les pères qui participent aux soins de l'enfant ou qui sont présents lors de l'accouchement en libèrent aussi. "L'ocytocine va participer à la création du lien entre parent et enfant, c'est une hormone clé dans le développement des liens maternel et paternel", détaille Marcel Hibert. Cette relation de tendresse est d'ailleurs indispensable pour que le cerveau du nouveau-né se développe normalement pendant les trois premières années, précise-t-il.

"Amalgames" et "idée préconçue"

Pour autant, faut-il attendre le prince charmant pour ne pas se retrouver à court d'ocytocine, comme le préconise Thaïs d'Escufon ? "C'est absolument aberrant. Il n'y a pas de stock épuisable d'ocytocine. Ça n'a strictement aucun sens", affirme Marcel Hibert. Pour le chimiste, Thaïs d'Escufon n'a pas une approche scientifique du sujet. "Elle a picoré çà et là des résultats et les a amalgamés pour soutenir une idée préconçue", dénonce-t-il.

"On a bien une ou deux publications qui portent sur une prédisposition génétique à la sécrétion d'ocytocine et qui explorent les hypothèses d'un lien avec la stabilité et la satisfaction en couple, mais la science ne va pas plus loin", expose Marcel Hibert. Ces deux études, l'une de chercheurs de Yale, l'autre suédoise, suggèrent un lien entre certaines variantes du gène du récepteur de l'ocytocine et les comportements sociaux associés à la formation de couple. L'une des deux études rapporte également une plus grande satisfaction conjugale parmi les sujets porteurs de ces gènes. Néanmoins, "il ne faut pas en conclure que les gènes contrôlent tout", rappelle Bernard Sablonnière.

Une corrélation "pas du tout étonnante"

Pour soutenir son propos, Thaïs d'Escufon a également recours à des graphiques dont, là encore, elle ne mentionne pas la source. Contactée par franceinfo, l'influenceuse n'a pas donné suite. Une recherche d'image inversée pour l'un des graphiques permet toutefois de constater qu'il provient d'une note de blog publiée sur le site de l'Institute for Family Studies (IFS), think tank conservateur américain qui se donne pour mission de "renforcer le mariage et la vie de famille".

Dans la note de blog de l'IFS, les auteurs établissent une corrélation statistique entre le nombre de partenaires et la probabilité de divorce lors du premier mariage. Leurs graphiques se basent sur des données qu'ils attribuent au "National Survey of Family Growth", un sondage conduit par l'agence statistique du département de la Santé et des Services Sociaux des Etats-Unis.

Corrélation ne veut cependant pas dire causalité. "Il y a des personnes qui aiment la stabilité et d'autres qui préfèrent avoir de multiples relations", résume Marcel Hibert pour qui ces résultats ne sont "pas du tout étonnants". "Si on a une aversion au risque, on va avoir plus envie de rester en couple, on va moins multiplier les expériences et aura également une propension moindre à divorcer", explique-t-il. De plus, "une vie réussie ne passe pas nécessairement par un mariage stable", rappelle l'expert. 

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