: Vrai ou faux Ces cartes montrant la réduction progressive du territoire de la Palestine sont-elles trompeuses ?
Un Etat de Palestine grignoté continuellement par l'Etat d'Israël, entre 1946 et 2016 ? C'est l'évolution que semble démontrer une série de quatre cartes très partagée sur les réseaux sociaux depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas. "Aujourd'hui, il ne reste que des miettes de territoires", s'indigne, dans un message sur X (ex-Twitter), Rima Hassan, fondatrice de l'Observatoire des camps de réfugiés et du collectif Action Palestine France, qui a publié ce montage le 24 octobre. Pour la juriste franco-palestinienne, ce visuel illustre un "nettoyage ethnique" de la population palestinienne.
"Cette carte est fausse", "propagande mensongère", lui répondent plusieurs utilisateurs, parfois très virulents. Cette publication est-elle trompeuse ? Franceinfo a contacté des experts et consulté d'autres cartes de ces territoires pour comprendre le litige. Malgré des informations manquantes, ces visualisations reflètent une tendance bien réelle du recul des territoires sous autorité palestinienne.
L'origine de ces cartes n'est ni précisée dans le message de Rima Hassan, ni clairement établie. Toutefois, un contributeur de la bibliothèque numérique de l'Université de Cornell (Etats-Unis) mentionne une première apparition en 2003 dans le journal de voyage d'un révérend britannique, Thomas Biles, ayant sillonné la région pendant près de vingt ans. Le révérend attribue cet ensemble de cartes, baptisé "Palestinian loss of land, 1946-1999" ("Perte de terres par les Palestiniens") à l'ONG britannique Palestine Solidarity Campaign. Franceinfo a retrouvé d'autres déclinaisons de ce visuel, avec des légendes et des dates différentes, sur des plateformes de défense des Palestiniens, comme l'association France Palestine Solidarité (lien vers un fichier pdf).
La chaîne américaine d'information américaine MSNBC avait diffusé ces cartes à l'antenne en octobre 2015, puis présenté des excuses, quelques jours plus tard. "Nous nous sommes rendu compte que les cartes n'étaient pas factuellement exactes et nous regrettons les avoir utilisées", expliquait alors la présentatrice Kate Snow.
Des frontières réelles, mais une Palestine qui n'était pas indépendante
La totalité des experts interrogés par franceinfo s'accordent sur un point : cette série de cartes présente une tendance bien réelle. Il s'agit "d'une représentation, plus simple certes, de la réalité de la colonisation galopante du territoire palestinien", résume Sandrine Mansour, chercheuse au Centre de recherches en histoire internationale et atlantique de l'Université de Nantes. "C'est juste pour ce qui est de la tendance : l'augmentation du territoire contrôlé par Israël, et la diminution du territoire plus ou moins contrôlé par les Palestiniens", confirme Dominique Vidal, journaliste spécialiste de l'histoire du conflit israélo-palestinien.
Alors, pourquoi ce visuel est-il attaqué ? En l'absence de légende, la première carte laisse entendre qu'il existait un Etat palestinien souverain en 1946. En 1948, l'Etat d'Israël n'est pas créé sur "les terres d'une Palestine indépendante, mais celles de la Palestine sous mandat britannique", rectifie Michael Mehrdad Izady, essayiste spécialiste du Moyen-Orient. En ce sens, la première carte du visuel est trompeuse.
"Il n'y a jamais eu de Palestine indépendante. Il existait cependant un territoire de Palestine faisant partie de l'Empire romain. Après la Première guerre mondiale, la Jordanie a été créée à partir de la moitié orientale de cette Palestine historique, tandis que la moitié occidentale a été reprise par la Société des Nations (ancêtre de l'ONU)", explique le professeur au New York Institute of Technology. Celle-ci a réutilisé l'appellation romaine de "Palestine" lorsqu'elle a confié le mandat de cette "moitié occidentale" au Royaume-Uni en 1922, dans le cadre du démantèlement de l'Empire ottoman par les puissances occidentales. En 1946, comme l'indique cette carte établie par l'ONU, les Arabes et les Juifs cohabitaient sur un même territoire appelé Palestine, les Arabes représentant près des deux tiers de la population.
Une répartition recomposée par la guerre
Le sous-titre de la deuxième carte du quadriptyque indique "UN Plan. 1947". On peut supposer qu'elle représente la répartition des territoires imaginée dans le cadre du plan de partage proposé par l'ONU, et voté le 29 novembre 1947. A cette époque, l'Etat d'Israël n'existe pas encore, puisque sa proclamation n'intervient que l'année suivante. Ce plan de partage, dont les frontières sont présentées par une carte de l'ONU, prévoit un Etat juif et un Etat arabe indépendants, tandis que Jérusalem et les lieux saints sont placés sous régime international. "L'Etat juif a vu le jour, pas l'Etat arabe", pointe Dominique Vidal.
Le 14 mai 1948, l'indépendance de l'Etat d'Israël est proclamée. La première guerre israélo-arabe éclate le lendemain. Ce sont les frontières à l'issue de ce conflit, remporté par Israël, que l'on voit sur la troisième carte du visuel publié par Rima Hassan, qui montre la région entre 1949 et 1967. Le visuel omet de mentionner que la Cisjordanie et Jérusalem-Est sont alors annexés par la Jordanie, et la bande de Gaza occupée par l'Egypte, résultat d'accords de cessez-le-feu et d'armistices négociés tout au long de l'année 1949.
C'est lors de ce premier conflit israélo-arabe que se produit l'exode forcé de la population arabe palestinienne : environ 750 000 Palestiniens quittent leur foyer, un épisode qu'ils appellent la "Nakba", "catastrophe" en arabe. Le conflit aboutit à la création d'une ligne de démarcation entre Israël et la Palestine, en vigueur jusqu'en 1967, année de la guerre des Six-Jours. C'est aussi le début de la colonisation israélienne, qui s'accélère en 1977 quand le Likoud, parti de droite israélien, arrive au pouvoir.
L'illustration de la colonisation de la Cisjordanie
La dernière carte du visuel de Rima Hassan est probablement destinée à montrer, en vert, les territoires plus ou moins sous contrôle palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, dont l'armée israélienne s'est retirée en 2005. Il s'agit du résultat des accords d'Oslo de 1993, qui ont mené à la reconnaissance mutuelle entre Israël et l'Organisation de libération de la Palestine.
Comme le montre une carte du Monde diplomatique, les accords d'Oslo ont conduit à la division de la Cisjordanie en trois catégories de territoires : A (sous contrôle palestinien), B (sous contrôle mixte) et C (sous contrôle israélien). Un statut transitoire instauré pour cinq ans, à la suite duquel les zones C devaient passer sous le statut A ou B, dans l'objectif d'aboutir à la création d'un Etat palestinien souverain. "Cette étape n'a toujours pas été accomplie à ce jour", souligne l'ONG Amnesty International.
Le cartographe et géographe Philippe Rekacewicz a réalisé une série de quatre cartes similaires à celles partagées par Rima Hassan, qu'il a transmises à franceinfo. Plus détaillées, elles permettent de comprendre la composition géographique de la Palestine sous mandat britannique (1922-1948) et les frontières administratives des territoires israéliens et palestiniens entre 1948 et 2012. Elles reflètent, comme la série partagée sur les réseaux sociaux, la réduction progressive du territoire sous autorité palestinienne, en particulier après la guerre de 1948-1949.
Pour l'historienne Sandrine Mansour, le document partagé par l'activiste Rima Hassan "résume la politique israélienne et la poursuite de son projet : le maximum de terres avec le minimum de population palestinienne". Après son tweet très critiqué, Rima Hassan a publié sur X une série de cartes du Monde diplomatique, plus étayées que celles qu'elle avait initialement partagées.
Afin de mesurer le morcellement du territoire contrôlé par les Palestiniens, la chercheuse franco-palestinienne Sandrine Mansour invite aussi à consulter le projet de cartographie Conquer and Divide de B'Tselem, une ONG israélienne de défense des droits humains dans les territoires occupés, ainsi que les cartes des restrictions d'accès en Cisjordanie du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA). Elles illustrent les conséquences de la colonisation sur le territoire de la Cisjordanie. En 2022, 5,5 millions de Palestiniens vivaient en territoire occupé, tandis que 700 000 colons israéliens habitaient dans 250 colonies, en violation du droit international.
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