: Vrai ou faux Les petits effectifs en classe ont-ils un effet négatif pour les élèves, comme l'a affirmé Amélie Oudéa-Castera ?
C'était la dernière d'une longue série de polémiques touchant Amélie Oudéa-Castera. "Les écoles peuvent être performantes, mais si le nombre d'enfants est trop réduit pour une classe donnée, c'est toute l'émulation qui est remise en cause", avait plaidé l'ancienne ministre de l'Education nationale, mardi 6 février, lors de la séance de questions au gouvernement, après avoir évoqué l'obligation pour l'exécutif de fermer des classes. "Ça m'a fait bondir", réagit Guislaine David, porte-parole du syndicat SNUipp-FSU, un syndicat du premier degré. "Il faudrait plutôt profiter de la baisse démographique pour réduire le nombre d'élèves partout."
Amélie Oudéa-Castera répondait au député indépendant Guy Bricout, élu de la 18e circonscription du Nord, qui protestait contre des fermetures de classes "drastiques" en 2022 et invitait l'exécutif à "diminuer le nombre d'élèves par classe". Alors, quel est l'impact de la taille des classes sur la scolarité des élèves ? Un effectif réduit est-il vraiment un problème pour "l'émulation", à savoir un sentiment poussant à égaler voire à surpasser l'autre, comme l'affirme Amélie Oudéa-Castera ? Franceinfo s'est penché sur la question.
En réalité, la littérature scientifique internationale, plutôt abondante sur ce sujet, tend à démontrer le contraire. "On a quand même un corpus scientifique assez probant sur les effets de la réduction de la taille des classes", tranche Julien Grenet, coauteur d'une note de l'Institut des politiques publiques de 2017 sur l'effet des tailles des classes sur les performances scolaires. "Dans beaucoup de pays, que ce soient aux Etats-Unis, en Suède, en Norvège et même en France, on a pu mesurer des effets positifs du dédoublement [action de diviser par deux] des tailles de classe, avec des effets relativement convergents", explique le directeur de recherche au CNRS.
Une mesure efficace "à tous les coups"
L'Institut de politiques publiques a passé en revue neuf études jugées fiables sur le plan méthodologique. "Sur les neuf études recensées, sept trouvent des effets statistiquement significatifs" lorsque la taille de la classe passe de 24 à 12 élèves, relève la note de l'IPP. Parmi ces études, la plus célèbre est l'expérience dite "STAR" (Student-Teacher Achievement Ratio), menée sur 11 500 élèves américains de la maternelle au CE2, dans l'Etat du Tennessee, de 1985 à 1989. Ceux-ci étaient répartis en trois groupes : petites classes (13 à 17 élèves), classes normales (22 à 25 élèves) et classes normales assistées d'un aide enseignant.
Résultat : au bout d'un an, les petites classes affichaient de bien meilleurs résultats en lecture et en mathématiques que leurs camarades des classes normales. Sur le long terme, les élèves issus de petites classes avaient aussi plus de chances de passer un examen d'entrée à l'université et d'obtenir des notes plus élevées aux tests que leurs autres camarades, selon une étude de 2001 réalisée dans la continuité du projet STAR.
"L'argument de l'ex-ministre de l'Education était un peu à rebours du consensus scientifique sur ces questions."
Julien Grenet, directeur de recherche au CNRSà franceinfo
Toujours selon l'Institut de politiques publiques, la réduction de la taille des classes semble efficace, même si les enseignants ne sont pas spécifiquement accompagnés sur le plan pédagogique. Autrement dit s'ils ne changent rien à leur manière d'enseigner. "C'est un dispositif qui marche de manière automatique. Si demain vous décidez de réduire la taille des classes, vous obtiendrez cet effet. C'est un peu la seule mesure éducative qui fonctionne à tous les coups", observe Laurent Lima, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'université Grenoble-Alpes.
"C'est comme faire gagner 2 à 3 rangs sur 24 à un élève à peu près dans la moyenne."
Julien Grenet, directeur de recherche au CNRSà franceinfo
En France, les données "confirment à peu près ce qu'on a dans les données internationales", observe Laurent Lima. Une étude de 2006 montre que des réductions d'effectifs ont des effets bénéfiques très forts en début de l'école élémentaire, surtout pour les élèves issus de milieux défavorisés (enfants d'ouvriers ou de personnes sans activité professionnelle). Toutefois, selon celle-ci, les réductions des effectifs au collège et au lycée semblent avoir moins d'effets.
"Les interventions précoces sont plus efficaces que les interventions tardives, avec des effets sur le long terme plus importants", analyse Julien Grenet. "La maternelle et la primaire, c'est un moment où se construisent les savoirs fondamentaux. Si on ne les a pas acquis, effectivement, c'est plus difficile après de rattraper les choses", estime l'économiste. Pour les élèves de milieux défavorisés, ce dispositif "permet d'obtenir par l'école des compensations dont ils ne bénéficient pas grâce à leur milieu familial, comme c'est souvent le cas dans les milieux favorisés", poursuit l'économiste.
Les classes particulièrement chargées en France
Pour son premier quinquennat, Emmanuel Macron avait promis de limiter à une douzaine d'élèves les classes de CP et de CE1 en Réseau d'éducation prioritaire renforcés (REP+), une promesse tenue en 2017. Dans un contexte où l'Education nationale peine à recruter, les classes françaises figurent parmi les plus chargées d'Europe : selon l'Insee, elles comptaient en moyenne 18,3 élèves pour un enseignant en primaire en 2021, contre 13,4 pour la moyenne européenne. Ainsi la France affiche le deuxième plus gros ratio élève/enseignant de l'UE, derrière la Roumanie (18,7).
Deux ans après la mise en place de la réforme, un premier bilan "positif" a été présenté par le gouvernement. Selon ce rapport, 24 000 élèves scolarisés en CP en réseau d'éducation prioritaire renforcé étaient en très grande difficulté en français et en mathématiques. Entre 2017 et 2018, le dispositif avait permis à 2 000 élèves de combler leur retard en français et à 3 000 d'entre eux en maths.
Un rapport de février 2022 du Sénat estime toutefois que le dispositif n'a pas permis une inversion franche des difficultés scolaires rencontrées par ces élèves, pointant "des résultats mitigés au regard des importants moyens consacrés".
Des élèves davantage sollicités
La réforme a pourtant eu des effets sur l'ambiance de classe, selon le bilan de l'exécutif. Interrogés, 96,5% des professeurs concernés rapportent "une meilleure compréhension des modes de raisonnement des élèves", 98,5% une "meilleure identification des besoins des élèves" et 82% une "meilleure dynamique de la classe". Outre cette dynamique, c'est la fréquence des interactions qui s'améliore, constate Laurent Lima. Le chercheur a mesuré le niveau d'engagement des élèves, dans le cadre de l'évaluation de la réforme.
"Les élèves des classes réduites sont plus engagés dans les tâches scolaires que dans les autres classes, parce qu'ils veulent réussir, répondre aux attentes de l'enseignant."
Laurent Lima, maître de conférences à l'université Grenoble-Alpesà franceinfo
En cause, une visibilité améliorée : "Moins on est nombreux dans une classe, plus l'enseignant risque de nous solliciter à tout moment", explique Laurent Lima, qui observe une quantité d'interactions individuelles avec l'enseignant en hausse, au fur et à mesure que l'effectif des élèves se réduit.
"Personne ne s'est plaint d'un manque de dynamique dans les classes."
Laurent Lima, maître de conférences à l'université Grenoble-Alpesà franceinfo
En plus d'être scientifiquement infondée, la déclaration d'Amélie Oudéa-Castera paraît incohérente, au regard de la politique éducative menée par la majorité. Sollicité par franceinfo, le ministère de l'Education n'a pas répondu. Pour l'heure, la réforme de 2017 n'est pas remise en question : Gabriel Attal, alors ministre de l'Education, avait confirmé en août 2023 la poursuite de sa mise en application, avec le dédoublement des classes en grande section de maternelle pour la rentrée 2024-2025.
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