: Infographies Rentrée scolaire : dans quelles disciplines et académies manque-t-il le plus d'enseignants ?
L'Education nationale a bien un nouveau ministre, Gabriel Attal, mais y aura-t-il un professeur devant chaque classe à la rentrée ? Emmanuel Macron en a fait la promesse lors d'une interview accordée à TF1 et France 2, le 24 juillet. Mais depuis que les résultats des concours de recrutement ont été publiés en juin, l'inquiétude règne chez les enseignants et les syndicats, qui gardent en mémoire une rentrée 2022 particulièrement difficile. Pour l'année scolaire à venir, 18,8% des places ouvertes à la session 2023 des concours de professeur des écoles n'ont pas été pourvues. La situation est la même pour 16,6% des postes dans le second degré, selon les calculs de franceinfo.
Revalorisation salariale des enseignants, allongement des délais d'inscription aux concours... Les mesures promises en 2022 par l'ancien ministre, Pap Ndiaye, ont réduit le déficit, selon le ministère. "L'analyse est assez évidente : ces mesures ont été insuffisantes. Il y a les raisons salariales et les conditions de travail qui démotivent les candidats. [Emmanuel] Macron avait promis un choc d'attractivité pour le métier, mais nous sommes loin du compte", répond Sophie Venetitay, secrétaire générale du Snes-FSU.
Certaines disciplines et une poignée d'académies suscitent plus d'inquiétudes que d'autres. Franceinfo récapitule.
Dans le primaire, quatre académies manquent de professeurs
Pour enseigner en maternelle ou en élémentaire, les aspirants doivent passer le concours de recrutement de professeurs des écoles. Organisé dans chaque académie, ce concours est ouvert aux étudiants en deuxième année de master et aux vacataires qui justifient d'une expérience professionnelle de cinq ans et souhaitent être titularisés. Des concours internes à l'Education nationale et à la fonction publique existent aussi, mais ils n'apparaissent pas dans les calculs de franceinfo, car ils ne participent pas à la création de nouveaux postes.
À la session 2023, quelques académies ont été excédentaires, c'est-à-dire qu'elles ont admis plus de candidats qu'il n'y avait de places offertes. C'est le cas du rectorat de Rennes, de Strasbourg, de Bordeaux ou encore de Nice. À l'inverse, quatre n'ont pas réussi à pourvoir la totalité de leurs postes : Créteil, Versailles, la Guyane et Mayotte. À Créteil, ce déficit concerne 975 postes. A Versailles, 620 enseignants manquent avant la rentrée 2023, malgré des sessions supplémentaires. Du côté de Mayotte, 34 postes n'ont pas été pourvus. Ce chiffre monte à 124 pour la Guyane.
"On sait déjà qu'il y aura des problèmes à la rentrée", avait prévenu mi-mai Guislaine David, cosecrétaire générale du SNUipp-FSU, interrogée par l'AFP. "Tout a été mis en œuvre pour que la rentrée se déroule le mieux possible", répond le ministère de l'Education, selon qui "des autorisations ont été données aux académies les plus en besoin pour piocher dans les listes complémentaires."
L'académie de Créteil, habituée aux pénuries de professeurs, explique avoir instauré "un suivi très précis des arrivées et des départs des enseignants afin d'anticiper les éventuels manques". Jusqu'à la dernière minute, le rectorat devra procéder à des ajustements : "A la fin de l'été, certains professeurs titulaires nous annoncent qu'ils changent d'académie, d'autres, qui ont eu l'agrégation interne, quittent le premier degré pour aller enseigner au lycée ou en classe préparatoire", se justifie l'académie.
La voie professionnelle moins attractive
Dans le secondaire, les concours se déroulent à l'échelle nationale, et non académique. Il est par conséquent difficile d'obtenir le détail des postes non pourvus, académie par académie, mais uniquement par filières et par concours. "Les dynamiques sont les mêmes que dans le primaire : les académies les plus touchées par des pénuries sont aussi celles de Versailles, de Créteil, de la Guyane et de Mayotte", explique cependant le ministère de l'Education à franceinfo.
Pour l'agrégation externe, le taux de postes non pourvus s'élève ainsi à seulement 5,16%, alors qu'il grimpe à 28,22% pour le CAPLP, qui permet d'enseigner en lycée professionnel. "Le concours de l'agrégation reste associé pour les futurs professeurs à de meilleures conditions de travail et à une valorisation sociale plus forte", résume la sociologue Géraldine Farges. Parmi les avantages des postes d'agrégés : moins d'heures de cours, un salaire plus élevé et des heures supplémentaires mieux rémunérées.
Dans les voies professionnelles, le recrutement est plus complexe, car les disciplines sont "extrêmement spécialisées" et le nombre d'élèves "très corrélé à la situation sur le marché du travail", commente l'académie de Créteil. Selon les années, "les élèves peuvent être plus ou moins nombreux dans certaines disciplines et il faut donc trouver des professeurs rapidement", ajoute cette source. Cette année, dans ce rectorat, la situation est par exemple particulièrement tendue pour les sciences et techniques médico-sociales ainsi que pour l'économie-gestion.
Des disciplines délaissées
Les disparités se font également sentir entre les concours des différentes disciplines. Dans l'enseignement secondaire général, les matières les plus en souffrance sont les lettres classiques, l'allemand, l'éducation musicale, les mathématiques et la physique-chimie. "C'est assez rare, mais on observe cette année de nouvelles difficultés en espagnol", explique Sophie Venetitay. Pour cette matière, 268 candidats ont été admis au Capes pour 348 postes ouverts, soit 22,9% de postes non pourvus.
Comment expliquer ces différences ? Selon Géraldine Farges, "la concurrence exercée par certains métiers du secteur privé, perçus comme plus attirants et mieux payés par les étudiants, joue un rôle important." Au concours du Capet par exemple, qui concerne l'enseignement en voie technologique, les "sciences industrielles de l'ingénieur – option ingénierie informatique" comptent 50% de postes vacants. Enfin, pour le CAPLP, les mathématiques-physique-chimie affichent le taux de postes vacants le plus élevé, avec 61,79%. Juste derrière, on retrouve la discipline "génie mécanique – option construction" (60%) et "génie civil – option construction et réalisation des ouvrages" avec 52,17%. "Les filières comme l'informatique ou l'ingénierie connaissent actuellement une forte demande dans le privé. Certains étudiants préfèrent devenir cadres dans ces secteurs plutôt que profs en lycée professionnel, une situation jugée moins valorisante", détaille la sociologue Géraldine Farges.
Des stratégies pour combler le manque
Pour pallier le manque, certaines académies font appel aux candidats arrivés sur liste complémentaire pour remplacer des candidats inscrits sur la liste principale qui ne peuvent pas être nommés. D'autres, comme celle de Versailles, organisent des sessions de job dating pour recruter des contractuels. Une méthode critiquée par la majorité des syndicats et des enseignants, qui voient ce recours massif à la contractualisation comme un "pansement" face à une crise profonde des vocations. D'autant plus que, selon Sophie Venetitay, "le nombre de contractuels embauchés ne suffit pas pour remplacer les congés imprévisibles comme prévisibles au cours de l'année. Beaucoup de congés parentaux ne sont pas remplacés".
L'académie de Créteil a choisi une autre voie. "On entretient un lien étroit avec Pôle emploi pour qu'il propose les annonces d'emplois les plus adaptées et ciblées", explique l'académie. "Pour les jeunes qui souhaitent s'essayer aux métiers de l'enseignement, on propose un dispositif spécial qui leur permet de continuer les études et de leur offrir une position d'observateur dans les classes, tout en étant payé", illustre-t-on. Une bonne manière de créer des vocations, selon Géraldine Farges, qui loue l'intérêt financier du mécanisme pour les futures recrues : " il faut que l'enseignement donne de bonnes raisons de s'orienter vers lui".
La proportion d'étudiants qui souhaitent devenir professeurs est d'ailleurs élevée dans les classes les moins aisées, y compris dans l'académie de Créteil. "C'est à l'école que ces étudiants doivent leur propre ascension sociale. Ils ont donc la volonté de redonner à l'institution scolaire ce qu'elle leur a apporté", observe la sociologue.
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