Vrai ou faux Mettre en pause le plan Ecophyto, comme l'a annoncé le gouvernement, est-il illégal ?

La suspension annoncée par Gabriel Attal pour répondre à la colère des agriculteurs apparaît en contradiction avec la réglementation européenne et une décision du tribunal administratif de Paris.
Article rédigé par Léa Deseille
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Une machine pulvérise des pesticides dans un vignoble en France. (GETTY IMAGES)

Le 1er février 2024, en pleine colère des agriculteurs, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé la mise en pause du plan Ecophyto. Une décision qui a fait bondir associations, politiques et scientifiques. Le 7 février, ces derniers ont souligné, dans une tribune publiée dans Le Monde, combien cette mesure "contredit l'objectif de réduction de l'usage de pesticides". Le plan ambitionne en effet de réduire de 50% l'utilisation des pesticides d'ici 2030 par rapport à la période 2015-2017. Quelques jours plus tard, le 4 février, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a précisé l'annonce et expliqué que cette "pause" n'allait durer que "quelques semaines". Mais cette suspension est-elle légale ?

Le plan Ecophyto résulte de la directive européenne 2009/128/CE qui impose aux Etats membres de créer les conditions pour "parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable". Une première version est dévoilée en 2009. "Suite à des échecs, [le texte] a beaucoup évolué", précise Louise Tschanz, avocate spécialiste en droit de l'environnement. Suivent ainsi, en 2015 et 2018, les plans Ecophyto II et Ecophyto II+. Ils intègrent chacun de nouveaux objectifs d'indépendance vis-à-vis des pesticides. "Ils n'ont eu aucun effet", affirme Louise Tschanz. Une étude du ministère de l'Agriculture confirme une hausse de la vente et de l'utilisation des pesticides de 2009 à 2018.

Des objectifs non tenus ?

La France a donc été rappelée à l'ordre. Le 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a reconnu "l'existence d'un préjudice écologique résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse" et enjoint le gouvernement à "mettre un terme à l'ensemble des manquements à ses obligations" et à "prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique" dans un délai d'un an. Concrètement, le gouvernement français a jusqu'au 30 juin 2024 pour appliquer la décision de justice.

"Il faut non seulement que l'Etat applique des mesures mais aussi qu'elles aient des résultats."

Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit environnemental

à franceinfo

La mise en pause du plan apparaît donc contradictoire avec la décision du tribunal administratif. "Pour autant, on ne peut affirmer qu'elle est illégale avant que le juge administratif se prononce le 30 juin 2024", poursuit Arnaud Gossement. Le gouvernement a jusqu'à cette date pour présenter un nouveau plan avec des mesures effectives. "Vraisemblablement, le gouvernement a pour but d'appliquer la décision du tribunal", remarque Arnaud Gossement. Interrogé par franceinfo, l'entourage du Premier ministre estime que cette "mise à l'arrêt" est justifiée par "un besoin de dialogue" sur "certains points précis".

Vers de nouveaux recours

Certains agriculteurs critiquent par exemple l'indicateur Nodu (ou nombre doses d'unité). Ce dernier sert à mesurer les quantités épandues de produits sur les surfaces traitées. En clair : plus un produit est utilisé, moins il obtient une bonne note. Ses détracteurs font valoir que certaines substances nécessitent plusieurs passages et que le Nodu ne prend pas en compte la dangerosité des produits. Face à ces critiques, Gabriel Attal a annoncé la mise en place d'un nouveau dispositif : le HRI-1, l'indicateur de risque harmonisé, qui est déjà utilisé dans plusieurs pays européens. Celui-ci est censé prendre en compte les quantités et la toxicité des pesticides.

Sur le papier, il s'agit de l'indicateur parfait. Cependant, selon un rapport de l'organisation environnementale Global 2000 Autriche, la réalité est tout autre. Il prendrait bien en compte les quantités respectives de substances actives des pesticides mises sur le marché, mais concernant la toxicité, tout se complique. Pour cette variable, plusieurs catégories sont créées : les substances à faible risque, les candidats à la substitution, les substances actives non approuvées et les substances actives approuvées, mais qui n'appartiennent à aucun groupe. Seulement, selon le rapport, 80% des substances approuvées se trouvent dans ce dernier groupe.

Ici, sont mélangées des substances biologiques telles que le sable quartzeux, mais aussi des substances chimiques synthétiques comme agent neurotoxique. Mais faisant partie du même groupe, tous obtiennent la même note concernant la dangerosité du produit : 8. Les produits biologiques et les pesticides chimiques synthétiques sont donc évalués au même niveau. Par ailleurs, les produits biologiques nécessitent plus de passages dans les champs que les produits synthétiques. On retrouve ainsi le même biais que pour l'indicateur Nodu.

Concrètement, avec les deux facteurs qui composent l'indicateur HRI-1, les produits biologiques sont ciblés et pénalisés selon le rapport. Les produits chimiques sont donc favorisés. "En changeant d'indicateur, le gouvernement peut présenter un plan qui montre que l'utilisation a diminué alors que l'indicateur actuel montre l'inverse", affirme Dorian Guinard, professeur en droit public et membre de justice pour les vivants. C'est pourquoi,  selon lui, l'association Justice pour les vivants a déjà prévu de saisir le tribunal à ce propos dès le 1er juillet 2024.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.