Arrestation de Paul Watson : pourquoi le Japon veut-il la peau du "pirate" de Sea Shepherd ?
Il faisait l'objet d'une "notice rouge" émise par Interpol à la demande de Tokyo depuis 2012. Le fondateur de l'ONG Sea Shepherd, Paul Watson, a été arrêté dimanche 21 juillet au Groenland, où son bateau, le John-Paul-DeJoria, faisait escale. Le "pirate" canadien de 73 ans a été placé en détention jusqu'au 15 août sur ce vaste territoire autonome danois.
Le Japon l'accuse de "conspiration d'abordage" et reproche aux militants de la protection de l'environnement qui l'accompagnent d'empêcher l'activité de ses baleiniers dans les eaux glaciales de l'Antarctique. En dépit de cette notice, Paul Watson avait pu voyager librement dans plusieurs pays, comme en France, en Suisse, aux Pays-Bas ou en Irlande, a rappelé Sea Shepherd France dimanche sur X. L'ONG craint désormais que le Danemark n'extrade vers le Japon le militant à la barbe blanche et ne "se range du côté des nations voyous qui violent les lois et traités de protection des mammifères marins" en joignant "le camp des baleiniers japonais."
Cette arrestation constitue le dernier épisode en date d'un long conflit entre les autorités japonaises et la figure de proue de l'émission "Whale Wars" (connue en France sous le nom de "Justiciers des mers"), diffusée de 2008 à 2015 sur la chaîne Animal Planet. Depuis la fin des années 1970, Paul Watson et son ONG cherchent à empêcher la chasse à la baleine. La technique utilisée se veut pacifiste, mais non sans risque : s'interposer entre les cétacés et les imposants navires qui les chassent.
Ces militants dénoncent une activité illégale et s'appuient, entre autres, sur l'organe international qui encadre la chasse à la baleine depuis 1946 et rejoint par près de 90 pays : la Convention baleinière internationale (CBI). En 1986, cette dernière a interdit la chasse commerciale à la baleine, actant dans la foulée la création de deux sanctuaires (l'un dans l'océan Indien, l'autre dans l'océan Austral).
Or, la Norvège, l'Islande et le Japon, bien que membres de la convention, ont continué cette activité. L'archipel nippon (qui a quitté la CBI en 2019) l'a même longtemps pratiquée dans les eaux sanctuarisées de l'Antarctique, sous couvert de missions scientifiques. Au cours d'une de ces missions, en janvier 2010, un baleinier japonais, le Shonan Maru No. 2, est entré en collision avec un trimaran de Sea Shepherd, l'Ady Gil, qui a fini au fond de l'océan.
"Ils [Les Japonais] se trompent s'ils se figurent que nos deux navires restants vont battre en retraite du sanctuaire baleinier dans l'océan Austral", réagissait alors Paul Watson, qui se trouvait à bord d'un autre bateau. Un mois plus tard, le capitaine de l'Ady Gil, le militant néozélandais Pete Bethune, a réussi à monter à bord du navire japonais, avec l'intention de procéder à l'"arrestation citoyenne" de son capitaine. Pour ces faits, Pete Bethune a passé plus de cinq mois en prison au Japon, avant d'être condamné par un tribunal local à deux ans de prison avec sursis. Les deux incidents, survenus dans l'océan Antarctique au début de l'année 2010, ont marqué le début d'une nouvelle phase du conflit entre Tokyo et l'ONG. C'est alors que le Japon s'est tourné vers Interpol pour combattre Paul Watson.
Une bataille juridique
Sea Shepherd et les autorités japonaises se sont mutuellement accusées d'être à l'origine du choc et de la perte de l'Ady Gil. L'autorité de sécurité marine australienne, chargée d'enquêter sur la collision, n'est pas parvenue à déterminer si des règles de navigation ont été bafouées d'un côté ou de l'autre. Et ce "en partie parce que le Japon n'a pas coopéré à l'enquête", écrivent les chercheurs Alan D. Hemmings, Donald Rothwell et Karen N. Scott, dans un ouvrage consacré aux questions de sécurité dans l'Antarctique. L'équipage nippon n'a pas non plus participé à une autre enquête, menée par la Nouvelle-Zélande. Celle-ci a conclu que le comportement des deux navires avait contribué à la collision, soulignent les trois auteurs du livre.
"Nous faisons simplement obstacle aux pratiques illégales", martelait Paul Watson, cité en 2013 par franceinfo. "Les Japonais s'attaquent aux cétacés en voie de disparition dans l'enceinte même d'un sanctuaire reconnu par le monde entier, en violation de la loi gérant la pêche à la baleine. Ce n'est pas moi le criminel."
Des enjeux économiques pour le Japon
En quittant la CBI en 2019, le Japon assurait qu'il se limiterait à ses eaux territoriales pour chasser la baleine. Mais la Fondation du capitaine Paul Watson (CPWF) pense que le pays entend reprendre la chasse en haute mer dans l'océan Austral et le Pacifique Nord d'ici 2025, malgré les démentis de la compagnie baleinière Kyodo Senpaku. En mai 2024, le Japon a mis à flot un nouveau navire de 113 mètres de long et 21 mètres de large, le Kangei Maru, alimentant ainsi ces soupçons.
C'est justement en voulant rejoindre le navire via le passage du Nord-Ouest, que Paul Watson a été arrêté au Groenland. "On dit depuis longtemps que les accusations du Japon sont avant tout politiques, et non basées sur de quelconques crimes", a déclaré au Monde Locky MacLean, le capitaine du navire John-Paul-DeJoria, présent lors de l'arrestation de son collègue. Le motif de l'arrestation de Paul Watson ne fait aucun doute pour ses soutiens. La CPWF y voit une action "politiquement motivée, coïncidant avec le lancement du nouveau navire-usine", rapporte l'AFP.
Les charges retenues par la justice japonaise contre l'activiste n'ont pas été dévoilées. "Il risque sa vie. S'il va au Japon, on sait qu'on ne le reverra pas car le Japon est dans une logique de vengeance", a alerté la présidente de Sea Sheperd France, Lamya Essemlali sur franceinfo. Selon elle, cette arrestation est aussi liée au fait que l'ONG a "un historique" avec le Danemark "sur la question des massacres de dauphins aux îles Féroé". L'Elysée a assuré mardi qu'Emmanuel Macron suivait "la situation de près" et que la France intervenait auprès des autorités danoises "afin que Paul Watson ne soit pas extradé vers le Japon".
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