Au Québec, le printemps érable tourne à l'orage
Le mouvement de protestation prend une tournure plus violente et plus politique depuis le vote, vendredi par le gouvernement, d'une "loi spéciale". Retour sur le conflit étudiant le plus long de l'histoire du Canada.
La contestation étudiante ne faiblit pas au Québec, bien au contraire. Alors que plus de trois cents personnes ont été arrêtées dans la nuit de dimanche à lundi à Montréal (Canada), le mouvement prend une tournure plus violente et plus politique depuis le vote, vendredi, d'une "loi spéciale". Le gouvernement tente d'étouffer le mouvement, qui célèbre ses 100 jours avec une énième manifestation mardi 22 mai. FTVi revient sur le conflit étudiant le plus long de l'histoire du pays.
• 2011, la sève monte
En mars 2011, le Premier ministre libéral du Québec, Jean Charest, prévoit d'augmenter de 75% les droits de scolarité (gelés depuis les années 1990) d'ici à 2017, pour les porter de 2 168 à 3 793 dollars canadiens (de 1 663 à 2 910 euros) par an. En contrepartie, les prêts et bourses augmenteraient et les frais annexes imposés aux étudiants par les universités pourraient être réduits. L'opération doit permettre le financement des universités en améliorant la qualité de l'enseignement.
Le Québec a beau bénéficier des frais de scolarité les moins élevés au niveau national, les étudiants s'opposent à cette hausse et veulent "prendre exemple sur les pays scandinaves, sur la France et l'Allemagne, qui ont des frais de scolarité très bas", rapporte Rue89. Des pétitions et des manifestations fleurissent à la rentrée, mais le mouvement naît vraiment l'année suivante.
• 2012, le printemps érable prend racine
A partir de la mi-février, le Québec vit au rythme des plus grosses manifs étudiantes de son histoire. Le 22 mars, ils sont près de 250 000 à marcher dans les rues de Montréal. Un petit carré de feutrine rouge épinglé sur la veste, les étudiants marchent contre l'endettement qui les guette, et contre le modèle américain.
Le 27 avril, Jean Charest propose une bonification des bourses étudiantes et un étalement de la hausse des frais de scolarité sur sept ans (contre cinq initialement), comme le rapporte le quotidien québécois Le Devoir. Une offre jugée "insultante" et rejetée à l'unanimité par la Coalition large de l'association pour une solidarité syndicale étudiante (Classe), la plus importante organisation étudiante, et la plus radicale.
• Les étudiants font tomber leurs vêtements... et la ministre
Torses dénudés, jambes à l'air, un ruban rouge collé à même la peau ou sur la bretelle d'un soutien-gorge : des milliers d'étudiants québécois défilent (presque) nus le 3 mai dans les rues de Montréal. Sous le regard amusé des policiers, ils exigent plus de "transparence" de la part du gouvernement de la province et marquent les esprits, après douze semaines d'une grève ponctuée par des centaines de marches et des heurts avec les policiers.
La ministre québécoise de l'Education, Line Beauchamp, démissionne le 14 mai dans l'espoir de provoquer un "électrochoc". Elle affirme avoir perdu confiance dans la volonté des dirigeants étudiants de trouver une solution. "Ce n'est pas en changeant de ministre qu'on va régler la crise actuelle", rétorque Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la Classe.
• Une "loi-matraque" pour mettre fin au mouvement
Pour juguler le conflit, le Parlement adopte le 18 mai une "loi spéciale" présentée par le gouvernement de Jean Charest. En plus de suspendre les cours jusqu'à la mi-août dans les universités et collèges universitaires en grève, le texte restreint le droit de manifester et impose de lourdes amendes pour les contrevenants. La chef de l'opposition, Pauline Marois, qui dirige le Parti québécois, parle "d'un des jours les plus sombres pour la démocratie québécoise" et dénonce une "loi-matraque pour faire taire les Québécois".
Plusieurs milliers de personnes manifestent dans la foulée à Montréal contre la nouvelle loi. Une marche émaillée de quelques incidents, avec des cocktails Molotov lancés dans le centre-ville.
• Les arrestations se multiplient
Plus de trois cents personnes ont été interpellées lors d'une manifestation dimanche 20 mai au soir. Les violences ont fait dix blessés, dont un grave, selon les autorités. La manifestation a été déclarée "illégale" par les forces de l'ordre dix minutes après le départ. Le mouvement prend ainsi une tournure plus violente et plus politique, la Classe annonçant son refus de se soumettre à la loi spéciale.
Plus tôt dans la journée, la branche québécoise du collectif de pirates informatiques Anonymous avait revendiqué le blocage de plusieurs sites gouvernementaux, dans le cadre d'une opération destinée à soutenir le mouvement étudiant. Le groupe de pirates a annoncé cette action, baptisée "Opération Québec", via un message vidéo mettant en scène un homme masqué avec une voix numérique qui met en garde le gouvernement québécois.
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