Bac 2022 : la correction des copies numérisées, mention bien ou mention passable ?
Pour la première fois, les professeurs chargés de corriger les épreuves des élèves de terminale ont utilisé le logiciel de correction Santorin. Non sans quelques difficultés.
Bien qu'elle corrige les épreuves du bac depuis dix-sept ans, Anne va se frotter à une nouveauté cette année. Cette professeur d'anglais d'un lycée niçois va découvrir, comme 45 000 collègues, la correction dématérialisée. "D'habitude, j'aime bien manipuler les copies, faire des allers-retours dans le paquet et les classer, confie-t-elle. Mais là, c'est plus compliqué, voire impossible, et c'est fatigant visuellement, car cela demande beaucoup de concentration."
En 2022, fini la pile de copies papier posée sur le bureau, place à la dématérialisation et à l'outil d'aide à la correction Santorin pour les professeurs chargées de noter les épreuves écrites des enseignements de spécialité (EDS) que les 523 199 candidats au bac ont passées. Comme tous les autres correcteurs, Anne a jusqu'au 3 juin pour tout corriger dans Santorin, qui a essuyé quelques problèmes au début de la numérisation de presque un million de feuillets.
Des lacunes techniques à combler
Dans toutes les académies, les scanners équipés du logiciel étaient prêts à l'emploi au lendemain des premières épreuves du bac, le 12 mai. Cet outil, utilisé à moindre échelle en 2020 et en 2021, rend anonymes les copies, les brasse puis les envoie aux correcteurs. Il permet aussi la notation et l'archivage des copies et évite les pertes des enveloppes.
Lors de la numérisation des premiers feuillets, le système Santorin a planté, quelques heures, à la suite d'une erreur humaine, d'après le ministère de l'Education nationale. "Cette interruption est arrivée au pire moment, on ne savait pas combien de temps elle allait durer", se remémore Bruno Bobkiewicz, proviseur à Vincennes (Val-de-Marne) et secrétaire général du Snpden-Unsa, le syndicat des personnels de direction de l'Education nationale.
Mais le proviseur, qui a connu les premières heures de Santorin, salue depuis la stabilité de l'outil.
"La dématérialisation s'est beaucoup améliorée par rapport à l'année dernière qui était catastrophique."
Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du Sndpen-Unsaà franceinfo
Il y a eu aussi des problèmes dans la mise en ligne des copies. "Notamment en Ile-de-France", souligne Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, le principal syndicat du secondaire. "Je me suis retrouvée lundi [16 mai] sans savoir quel jour d'examen je corrigeais et donc sans savoir à quelle réunion des correcteurs je devais participer, d'autres ont reçu leur paquet après la réunion", raconte cette professeure de sciences économiques et sociales à Versailles (Yvelines).
Un travail insuffisant de formation
Depuis, la correction dématérialisée semble avoir trouvé sa vitesse de croisière et, au 25 mai, le ministère de l'Education nationale assure "que tout fonctionne normalement". Pourtant, des correcteurs ont découvert que l'anonymat de certaines copies avait sauté et que d'autres étaient mal scannées. "Sur 400 élèves, j'ai reçu une dizaine de sollicitations qui nécessitaient une intervention", note le proviseur Bruno Bobkiewicz. "Mais ces remontées ne sont pas à généraliser", assure le syndicaliste.
Un autre souci, d'une plus grande ampleur selon le Snes-FSU, est venu ternir le tableau. De nombreux correcteurs ont découvert des feuillets numérisés dans le désordre, compliquant leur lecture. "Il y a une manipulation à faire dans l'outil pour changer l'ordre des feuilles mais je ne l'ai pas encore trouvée", avoue Sophie Vénétitay.
Car la formation au logiciel a été "succincte", lors de la première réunion, d'1h30, entre les professeurs de même spécialité, le 16 mai.
"La fracture numérique est aussi présente chez nous et certains collègues, plus âgés, éprouvent plus de difficulté à appréhender ce nouvel outil."
Anne, correctrice du baccalauréatà franceinfo
"Même si le logiciel Santorin est relativement intuitif, on doit se débrouiller tout seul", confesse Anne, qui assure s'en sortir pas trop mal avec ce nouvel outil.
Des résultats encourageants en terme de vitesse
C'est sur un unique écran que la professeure d'anglais déroule, feuillet après feuillet, les copies à corriger, sans pouvoir ni les comparer ni les classer. "Et je le fais sur mon propre ordinateur, acheté à mes frais, déplore Anne. Nous n'avons aucune aide financière ou matérielle pour cela."
Contrairement à certains de ses collègues qui ont imprimé la totalité des copies à corriger, ce qu'elle trouve "contre-productif", elle a seulement sorti en format papier le sujet et le barème de notation afin de l'avoir sous les yeux chaque fois qu'elle annote ou souligne la copie affichée à l'écran "comme une copie papier".
Quant à Marie-Camille, professeur de physique-chimie à Paris, c'est installée devant trois écrans, dont un en affichage vertical qui lui permet de voir le feuillet en entier, qu'elle corrige ses copies. "Résultat : en quatre heures, j'ai pu corriger le premier exercice de mes 34 copies," explique-t-elle. Alors même si "tout n'est pas parfait", concède cette professeure, qui a une quinzaine d'années de corrections du bac à son actif, elle trouve l'exercice plus rapide qu'en format papier.
Des interrogations sur la sécurité
Sur l'écran, pour chaque copie, est affiché "un point vert, orange ou rouge, indiquant l'état d'avancement dans la correction", détaille Anne.
"Je ne sais pas ce qui est fait ensuite de ces données et si le temps que l'on passe sur chaque copie et à quel moment on le passe sont scrutés."
Anne, correctrice du bacfranceinfo
Un dispositif en revanche apprécié du côté des chefs d'établissement. Car il est désormais possible de "superviser l'état des corrections en temps réel et d'agir si besoin", souligne Bruno Bobkiewicz.
Reste la question de la sécurité des données. "Quand tout est informatisé, il est possible que la note soit modifiée de façon malveillante, suppose Anne. Sur le papier, je sais que c'est moi qui ai annoté, mais là, c'est impossible à vérifier." Or, "la question de la sécurité des données dans les serveurs n'a pas été abordée en amont avec les syndicats", s'alarme le Snes-FSU. Une inquiétude que balaie le ministère de l'Education nationale, assurant que le système est sécurisé.
Un agenda à revoir ?
Depuis le début de la réforme du baccalauréat, initiée en 2019, aucune session ne s'est déroulée dans les conditions initialement prévues. Cette année, la correction du bac tombe en même temps que les derniers contrôles continus des terminales, que les conseils de classe et que les réunions avec les parents d'élèves de seconde qui doivent choisir leurs spécialités pour l'année prochaine. "C'est le très gros point noir de cette année", atteste Anne.
"J'ai l'impression de zapper sans cesse entre les copies du bac, les cours et les réunions... C'est fatigant mentalement."
Anne, professeure d'anglaisà franceinfo
Les syndicats ont pu négocier quatre demi-journées de décharge pour les correcteurs, à poser en accord avec leur chef d'établissement. Mais il y a eu quelques débordements, dans les académies de Normandie et d'Aix-Marseille par exemple, "où des chefs d'établissement ont voulu proratiser le temps d'absence au nombre de copies à corriger", souligne la secrétaire générale du Snes-FSU.
Comme chaque année, "un bilan du bac sera fait", assure le ministère de l'Education nationale. Il est attendu par les syndicats qui souhaitent comparer les deux méthodes de correction, papier et numérique. En attendant, Anne viendra avec son ordinateur sous le bras, à défaut de son paquet de copies, lors du jury d'harmonisation des notes du bac dont les résultats seront publiés le 5 juillet.
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