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Centrafrique. "Les rebelles doivent traduire politiquement leur victoire"

Roland Marchal, chercheur spécialiste de la Centrafrique, analyse la défaite du président François Bozizé.

Article rédigé par Gaël Cogné - Recueilli par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des rebelles de la Séléka, le 10 janvier 2013, en Centrafrique. (SIA KAMBOU / AFP)

Le 15 mars 2003, le président François Bozizé prenait le pouvoir par la force en Centrafrique. Dix ans plus tard, il a du franchir en catimini la rivière Oubangui qui borde la capitale pour se réfugier en République démocratique du Congo.

Les rebelles de la Séléka ont délogé le locataire du palais présidentiel après quelques heures de combat dans la capitale, Bangui. Roland Marchal, spécialiste de la République centrafricaine au Ceri-Sciences Po, analyse cette défaite.

Francetv info : Les rebelles viennent de prendre Bangui, n'y a-t-il pas des risques d'exactions ?

Roland Marchal : Les porte-parole disent que non. Mais, en 2003, quand François Bozizé a pris le pouvoir il y avait aussi des déclarations dans ce sens et on avait assisté au pillage de la ville. En tout cas, les rebelles de la Séléka reçoivent des messages très fort de l'étranger. Ils ont maintenant des responsabilités, ils sont comptables de la situation.

Outre le comportement des combattants de la Séléka, il faut aussi considérer le risque de règlements de comptes au sein de la population et, bien sûr, la délinquance urbaine : beaucoup de gens peuvent vouloir profiter de la situation et la Séléka doit empêcher cela, au risque de ternir durablement son image.

Quelques heures pour prendre la capitale, c'est très rapide, non ?

Oui, cela a été rapide, même si ce qui s'est passé est une répétition de décembre. Les rebelles s'étaient alors arrêtés aux portes de la capitale sans véritablement rencontrer de résistance. Les Forces armées centrafricaines (Faca) sont faibles et peu motivées. Par exemple, la résidence du Premier ministre était gardée par la Micopax (Mission pour la consolidation de la paix en Centrafrique, une force multinationale) ce matin car les Faca ont enlevé leurs uniformes pour aller se fondre dans la population quand les premiers coups de feu ont retenti.

Ce ne sont donc pas les Faca qui allaient tenir la ville. Restait la garde présidentielle et des troupes sud-africaines, environ 200 hommes. Mais ces dernières ont, semble-t-il, arrêté de se battre au milieu de la matinée faute de perspective et aussi faute de mandat international. Si les Sud-Africains avaient voulu combattre jusqu'au bout, cela aurait duré beaucoup plus longtemps.

C'est donc moins la force de la Séléka que la faiblesse du régime qui explique cette chute rapide. La Centrafrique est un pays vide, plus grand que la France, et qui compte à peine plus de 4 millions d'habitants. François Bozizé n'a jamais voulu renforcer les Faca de peur qu'elles ne le renversent. Face à cela, les rebelles de la Séléka ont pu se promener et prendre la capitale puisque les appuis traditionnels (France et Tchad) se sont estompés.

Pourquoi l'Afrique du Sud n'a-t-elle pas défendu François Bozizé ?

Après les accrochages très violents à hauteur de Damara vendredi soir, les Sud-Africains et la Séléka auraient tenté une première négociation, je ne sais pas si c'est vrai mais elle n'a pas été concluante.

Plus certainement, les Sud-Africains étaient isolés dans Bangui et internationalement. Vendredi, quand les rebelles sont arrivés à la ville de Damara où ils s'étaient arrêtés la fois précédente sous la pression internationale, la Micopax les a laissé passer. Damara n'était plus un verrou avant la capitale, comme on l'a beaucoup dit. Ce comportement de la Micopax était un signal politique. Une fois qu'on les a laissé passer, c'était terminé. Le roi était nu et il n'y avait plus que les Sud-Africains pour faire un peu de zèle. Cela n'a pas duré.

En décembre, il y avait eu une certaine pression internationale pour amener les rebelles à négocier, mais cette fois, la communauté internationale ne s'est-elle pas faite plus discrète ?

Les chefs d'Etat de la région ont laissé une dernière chance à François Bozizé au mois de janvier quand ont eu lieu les négociations de paix à Libreville, au Gabon. Soit il faisait le bon élève, en respectant l'esprit et la lettre des accords signés à Libreville, soit il essayait de réaffirmer son autorité et la crise se poursuivait.

François Bozizé n'a pas compris. Il n'a pas respecté les accords. Dans Bangui, il y avait des barrages, on arrêtait des gens arbitrairement. Bozizé a aussi refusé de libérer les prisonniers politiques comme l'exigeait l'accord. S'il avait respecté ces engagements, fait preuve de bonne volonté avec le Premier ministre, la présence sud-africaine n'aurait pas provoqué une telle irritation de la Séléka et des chefs d'état de la région.

La France est restée bien discrète...

La France est intervenue souvent dans ce pays, trop souvent. Cette fois-ci Paris voulait faire passer le message que que c'était aux Etats de la région de régler le problème. Du coup, elle ne voulait défendre que la population française et européenne.

Toutefois, c'est une politique qui manque de souffle. Ce sont les civils qui vont payer le prix fort dans cette crise, à Bangui et ailleurs. La France a des responsabilités, pas parce que c'est l'ancien colonisateur, mais parce qu'il y a des troupes françaises sur place et que la France a signé des engagements forts à New York sur la responsabilité de protéger.

La France est elle indifférente ? Si on compare avec l'attitude française lors de la crise de décembre, on constate qu'il n'y a pas eu cette fois ci de consolidation du dispositif militaire français. Cela signifie sans doute que Paris a reçu des assurances crédibles de la Séléka et du Tchad car il y a certainement eu une coordination avec les Tchadiens. La Séléka via le Tchad a reçu des messages clairs : il ne faut pas toucher les objectifs civils et la présence internationale.

Quelle va maintenant être la suite ?

Il faut traduire politiquement cette victoire militaire. Il y a plusieurs scénarios. On peut avoir un régime constitué uniquement de membres de la Séléka, ce qui serait une folie. On peut aussi voir un partage du pouvoir avec les amis (partis politiques proches), voire avec l'opposition démocratique ou même un gouvernement plus national incluant également des gens de la mouvance présidentielle mais sans lien réel avec le président Bozizé.

Si la Séléka est intelligente, elle essayera de constituer une telle coalition, incluant donc toutes les grandes sensibilités politiques: ce qu'elle perdra en pouvoir immédiat, elle le gagnera en reconnaissance internationale, ce qui est un élément essentiel de sa survie.

Dans une semaine, il faut payer les salaires, gage de la survie d'un large pan de l'économie centrafricaine. Et s'ils ne le font pas, cela sera terrible pour la population de Bangui et au-delà pour la population dans les centres urbains. Or, c'est la communauté internationale qui devra mettre l'argent sur la table, mais elle ne le fera pas dans n'importe quelle condition.

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