"Droit à l'enfant", disparition du père, bébés "OGM"... Les arguments des anti-PMA "pour toutes" passés au crible
La procréation médicalement assistée doit être ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules pour "pallier une souffrance" qui "doit être prise en compte", estime le Comité d'éthique dans un avis publié mardi.
L'impossibilité d'avoir un enfant est "une souffrance" qui "doit être prise en compte", même si les raisons ne sont pas biologiques, a réaffirmé mardi 25 septembre 2018 le comité d'éthique dans un avis très attendu, qui ouvre la porte à l'extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'était déjà prononcé en 2017 pour l'extension de la procréation médicalement assistée (PMA), à laquelle est favorable le président Macron.
En première ligne pour contester ce projet, La Manif pour tous, mouvement né en opposition au mariage pour tous en 2012. Dénonciation d'un "droit à l'enfant", refus d'une médecine qui s'adapterait à des "demandes sociétales" et non plus pathologiques, défense du cadre familial hétérosexuel... Franceinfo a passé aux cribles cinq arguments des opposants à l'ouverture de la PMA.
Cela va instaurer un "droit à l'enfant"
Dans une tribune publiée par Le Monde, la députée Les Républicains Valérie Boyer appelle à lutter contre l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, en écrivant : "Ne cédons pas face à ceux qui s’arrogent un droit à l’enfant." Ce "droit à l'enfant", également dénoncé par La Manif pour tous, sous-entend que la loi céderait à une volonté égoïste d'avoir un bébé "au mépris du droit des enfants". Pour Dominique Mehl, sociologue et directrice de recherche au CNRS, une telle expression "est inexacte".
Si ce droit existait, pour une adoption ou dans un centre de PMA, vous iriez devant les tribunaux en cas de refus. Ce n'est pas le cas, ce n'est donc pas un droit, mais une liberté de procréer.
Dominique Mehl, sociologue et directrice de recherche au CNRSà franceinfo
De fait, actuellement, les médecins des Cecos (Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains) peuvent refuser à un couple hétérosexuel l'accès à la PMA après examen de leur dossier. Et parfois, l'infertilité du couple ne suffit pas. Les motivations du couple, sa situation financière ou l'âge du père peuvent entraîner un refus, expliquait Libération en 2007 : "Pour autoriser ou non une assistance médicale, les médecins s'en remettent à eux-mêmes." Dans ce cas, un couple n'a pas de possibilité de recours.
De même, "la loi française a autorisé les personnes seules à adopter des enfants en 1966", souligne cette spécialiste de la bioéthique et de la parentalité. "Qui, à l'époque, a dit que ces personnes avaient droit à un enfant ? Personne." Aujourd'hui, certains militants proches de La Manif pour tous réclament la suppression du droit à l'adoption pour les célibataires. Mais à l'époque, la réforme de l'adoption a été adoptée dans le consensus.
Pour la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, derrière le "droit à l'enfant" se cache "en fait le refus de l'homoparentalité". La sociologue Dominique Mehl, également auteure de l'ouvrage Les Lois de l'enfantement, procréation et politique en France 1982-2011 (Ed. Presses de Sciences Po, 2011), ajoute que "dans l'histoire du droit de la famille, le droit s'adapte aux évolutions de la société et des mœurs (le divorce, l'égal exercice de l'autorité parentale, le mariage pour tous...) déjà installées."
La médecine n'a pas à répondre à des "demandes sociétales"
Si la PMA est aujourd'hui autorisée pour les couples infertiles ou pour éviter la transmission d'une maladie grave, son extension aux couples de femmes et aux femmes seules serait une évolution vers les "demandes sociétales" et non plus une réponse à une pathologie. "Une réflexion fondamentale sur la médecine (et son budget) mériterait d’être engagée avant que celle-ci soit insidieusement portée à s’exercer vers des demandes exponentielles de la société, sans qu’aucun critère soit élaboré pour discerner son juste exercice, autre que celui de la discrimination", écrit Pierre d’Ornellas, archevêque catholique de Rennes, dans une tribune au Monde.
Il n'y a pourtant là rien de nouveau. "La médecine est aussi un instrument qui crée du lien social et qui répond à des demandes de société", note la sociologue Dominique Mehl. Elle cite "la chirurgie esthétique parfois remboursée par la Sécurité sociale" ou encore "la fécondation in vitro qui n'a pas été inventée pour manipuler des gamètes, mais pour répondre à des couples qui n'arrivaient pas à avoir d'enfants." On pourrait également citer l'IVG (interruption volontaire de grossesse) qui, lorsqu'elle n'est pas thérapeutique, est bien un usage de la médecine en réponse à une demande sociétale.
"La médecine s’est (...) toujours inscrite dans une forme de transgression", abonde Jacques Gonzalès, médecin, historien de la médecine, interrogé par Pèlerin magazine. Auteur de Histoire de la procréation humaine, croyances et savoirs dans le monde occidental (Ed. Albin Michel, 2012), il rappelle qu'à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, des "fécondations artificielles" ont eu lieu "en cachette".
A l’époque, le principe d’une insémination chez l’humain, c’est-à-dire de faire procréer sans sexualité, était perçu comme une pratique choquante car réservée aux animaux.
Jacques Gonzalès, médecin, historien de la médecineau "Pèlerin magazine"
Le fait "que le recours à la PMA soit étendu aux femmes célibataires ou aux couples d’homosexuelles (...) semble donc une évolution 'logique', la science bousculant toujours les acquis", estime Jacques Gonzalès. Mais le médecin se montre tout de même sceptique sur la mise en œuvre de cette PMA étendue.
Cela entraîne la "fin du père"
C'est l'un des arguments clés de La Manif pour tous, qui en a fait un mot-dièse sur Twitter (#PMAsansPère) : "Etre privé de son père, c’est-à-dire être orphelin de père, est une souffrance immense. Il est donc inacceptable de provoquer volontairement cette souffrance, source d’injustice intolérable pour les enfants", écrit le mouvement dans un communiqué.
"La famille traditionnelle (un père, une mère et leurs enfants biologiques, vivant en paix dans le même foyer), ça ne représente pas du tout la totalité des scénarios familiaux", nuance la sociologue Dominique Mehl. Selon une étude de l'Insee, un quart des enfants français vivent avec un seul parent. Avec l'ouverture de la PMA aux femmes seules, la monoparentalité ne serait plus liée à des séparations et des divorces, mais "volontaire et choisie", souligne Dominique Mehl.
La monoparentalité change donc de nature et c'est l'émergence d'une nouvelle forme de familles, cela ne signifie pas que c'est anodin pour autant.
Dominique Mehl, sociologue et directrice de recherche au CNRS
L'absence d'un père biologique est-elle préjudiciable pour un enfant ? Il n'y a pas de consensus scientifique sur cette question. "Il n’existe pas, pour la psychanalyse, de définition du 'bon parent', écrit Geneviève Delaisi de Parseval dans Libération. Pour la psychanalyse, l’essentiel est que puisse fonctionner le complexe d’Œdipe, c’est-à-dire la triangulation de la fonction paternelle au terme d’une dynamique structurante marquée par un déplacement des investissements affectifs sur un autre personnage que la mère. Mais rien ne dit que cette fonction doive nécessairement être assumée par un homme."
"Toutes les familles sont un peu à risque", estime également Dominique Mehl. A l'inverse, le psychanalyste Jean-Pierre Winter est favorable au mariage entre couples homosexuels mais opposé à l'homoparentalité. Il affirme auprès d'Atlantico : "L'effacement d'une personne qui a contribué à la conception aura des conséquences sur le psychique de l'enfant. En l’occurrence, je ne connais pas de cas dans lesquels il n'y a pas de conséquences."
Une étude menée en 2012 auprès de familles homoparentales et parue dans la revue de l'Association française de sociologie a cependant conclu : "Ces familles, quelle que soit la manière dont elles ont été fondées, sont inscrites dans des réseaux de parenté et des entourages plus larges [que le cadre de l'homoparentalité] et ne viennent pas bouleverser les grands principes inhérents aux représentations occidentales de la parenté."
Cela va créer des "enfants OGM"
L'affiche issue de la campagne de La Manif pour tous voulait marquer les esprits. On peut y voir un bébé dessiné au milieu d'une rangée de légumes. La légende : "Après les légumes OGM, les enfants à un seul parent ?" Devant l'indignation suscitée par cette affiche qui amalgame organisme génétiquement modifié et PMA, la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes a réclamé son retrait.
"Comparer les bébés nés après FIV [fécondation in vitro] ou insémination à des légumes OGM est profondément offensant pour les enfants et leurs familles", a tweeté Marlène Schiappa. La Manif pour tous a dénoncé un "faux procès" : "Jamais un enfant n'a été comparé à un légume OGM. Jamais l'opposition à la PMA sans père n'a stigmatisé les familles monoparentales."
"D'un point de vue scientifique, cette affiche est complètement fausse, la PMA n'a rien à voir avec un OGM, un organisme génétiquement modifié, explique Marina Carrère d'Encausse, médecin échographiste et présentatrice de l'émission "Allô docteurs" sur France 5. [Un OGM], c'est un être vivant dont le génome a été génétiquement modifié par la main humaine. Par exemple, un légume que l'on rend résistant à une maladie. Contrairement aux OGM, on ne modifie pas la nature avec la PMA, on va simplement l'aider plus ou moins."
Michel Cymes, médecin et chirurgien et coprésentateur "d'Allô docteurs", précise : "La PMA regroupe plusieurs techniques qui mettent en relation un ovule et un spermatozoïde pour optimiser les chances de procréation." Insémination artificielle, fécondation in vitro, stimulation ovarienne... Ces différentes techniques pour réaliser une PMA ne sont donc pas des manipulations génétiques. La sociologue Dominique Mehl dénonce une "comparaison injurieuse pour les enfants".
Les enfants des couples de femmes qui naissent grâce à une aide à l'étranger et peut-être bientôt en France seront des enfants comme les autres. Ils auront les gènes du donneur et les gènes de la mère. Il n'y a pas de manipulation génétique.
Dominique Mehl, sociologueà franceinfo
C'est la première étape vers la GPA
L'argument, utilisé par La Manif pour tous, est repris par Laurent Wauquiez, candidat à la présidence des Républicains. Pour lui, élargir l'accès à la PMA à toutes les femmes, c'est ouvrir la porte à la gestation pour autrui (GPA) pour les couples d'hommes, au nom du principe d'égalité. Pour Laurent Wauquiez, la PMA n'est qu'une "étape" avant la GPA "et donc la marchandisation du corps de la femme".
Souvent associée dans les débats à la PMA, la GPA est pourtant une pratique très différente : elle consiste à avoir recours à une mère porteuse qui mettra au monde un bébé pour un couple tiers, hétérosexuel ou homosexuel. "Quand Laurent Wauquiez fait semblant de ne pas comprendre qu'on parle de la PMA et pas de la GPA et qu'il mélange à dessein pour faire peur et instrumentaliser un certain nombre de débats, je trouve que c'est assez cynique", a dénoncé Marlène Schiappa.
De fait, la GPA n'est absolument pas à l'ordre du jour de l'agenda politique : rares sont les personnalités favorables à sa légalisation. A gauche, on peut citer la sénatrice EELV Esther Benbassa. Manuel Valls, qui s'y est montré favorable en 2011, dénonce désormais "une pratique intolérable de commercialisation des êtres humains et de marchandisation du corps des femmes". Najat Vallaud-Belkacem, François Rebsamen, Jean-Marie Le Guen et Aurélie Filippetti, qui avaient signé une tribune au Monde en faveur de l'encadrement de la GPA en 2010, se gardent bien de s'exprimer aujourd'hui sur le sujet. A droite, Nadine Morano s'y était déclarée favorable en 2008 "dès lors que la femme a un vrai problème de stérilité, dès lors aussi qu'il n'y a pas de marchandage du corps".
Dans son rapport rendu le 27 juin, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), favorable à la PMA, a lui aussi exclu le recours à la GPA. Le CCNE évoque ainsi les "violences juridiques, économiques, sanitaires et psychiques" qui s'exercent sur les mères porteuses et sur les enfants nés par GPA. La sociologue Dominique Mehl regrette que le CCNE n'ait pas évoqué les pratiques de GPA altruiste, c'est-à-dire encadrées par la loi et sans contrepartie financière pour la mère porteuse, qui ne bénéficie que d'un remboursement de ses frais.
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