Slogans racistes, médias mis au pas, semonces de l'UE... Pourquoi vous devriez vous intéresser à ce qui se passe en Pologne
Mercredi 15 novembre, le Parlement européen a lancé le processus pouvant mener l'Union européenne à des sanctions contre la Pologne, pour "violation grave" des valeurs fondamentales de l'Union et de l'Etat de droit.
Le ton monte entre Varsovie et Bruxelles. Depuis des mois, la Commission européenne dénonce en vain des atteintes à l'Etat de droit en Pologne, et notamment la mise au pas de la justice et des médias. Dernier coup d'éclat en date, mercredi 15 novembre, le Parlement européen a voté un appel à déclencher la procédure menant à des sanctions prises par l'Union européenne contre l'Etat polonais. Mais que reproche-t-on à ce pays, dirigé depuis deux ans par le très conservateur parti Droit et Justice de Jaroslaw Kaczynski ?
Parce que l'extrême droite s'y renforce
Si Varsovie semble loin vu de Paris, les médias français se sont toutefois émus, samedi 11 novembre, de la présence en force de militants d'extrême droite lors du cortège pour la Fête de l'indépendance. Le site Brut en a même fait une vidéo choc.
Slogans racistes, symboles fascistes… c'était ce week-end dans l'un des plus grands rassemblements nationalistes d'Europe, en Pologne. pic.twitter.com/MuGvV4DDGM
— Brut FR (@brutofficiel) 13 novembre 2017
"Ce type de manifestations a eu lieu dans plusieurs pays d’Europe, mais aucune n’avait, à ce jour, réuni autant de monde", assène dans Le Monde Anaïs Voy-Gillis, membre de l’Observatoire européen des extrêmes. Cette chercheuse précise à franceinfo que "depuis 2009, des groupes d’extrême droite, ouvertement nationalistes, xénophobes et antisémites, essaient de se réapproprier la fête de l'Indépendance" [qui célèbre, le 11 novembre, l'indépendance du pays en 1918].
"Ce sont eux qui ont organisé cette manifestation où l'on a scandé des slogans comme 'La Pologne pure, la Pologne blanche', 'Du sang pur', etc.", poursuit-elle. Or "ces appels à la haine, au rejet de l’autre, n’ont donné lieu qu’à peu de condamnations", que ce soit en Pologne ou en Europe, estime-t-elle.
Parce que le gouvernement polonais se durcit
Pour l'historien Jacques Rupnik, spécialiste de l'Europe de l'Est contacté par franceinfo, "on ne peut pas singulariser la Pologne pour de tels faits : ce n'est pas le seul pays où il y a des manifestations d'extrême droite !" Mais il reconnaît que la politique du gouvernement polonais "suscite de vives préoccupations en Europe depuis deux ans". En clair, depuis que le parti conservateur et nationaliste Droit et justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski est arrivé au pouvoir, à l'automne 2015.
Que reproche l'Union européenne à la Pologne gouvernée par la Première ministre Beata Szydlo (même si Kaczynski passe pour le vrai décisionnaire) ? Le recul des libertés tous azimuts. En octobre 2016, des milliers de femmes en noir ont ainsi manifesté contre un projet d'interdiction presque totale de l'avortement (finalement abandonné).
Ce sont surtout les réformes judiciaires, adoptées à un rythme rapide, qui ont alarmé l'UE. Désormais, le ministre polonais de la justice a "des prérogatives quasi-illimitées en matière de nominations et de révocations des juges, toutes instances confondues, sans mécanismes de contrôle indépendants", synthétise le journaliste Jakub Iwaniuk, dans une interview publiée sur un blog du journal suisse Le Temps. Comme le montre cette vidéo, les manifestations se sont multipliées en vain contre ces mesures controversées.
Pologne : Varsovie menacée par Bruxelles après de nouvelles réformes judiciaires controversées
L'audiovisuel public a été mis, lui aussi, sous coupe réglée, complète Jacques Rupnik. "Le gouvernement l'a placé directement sous son contrôle. Les directeurs sont désormais nommés par le gouvernement, plus précisément par le ministre du Budget". Et "les médias publics, surtout la télévision, ont subi des purges massives, jamais vues depuis la chute du communisme", selon Jakub Iwaniuk.
Parce que l'Union européenne s'inquiète et menace
Longtemps seul à dénoncer les dérives de l'exécutif polonais, le vice-président de la commission européenne, Frans Timmermans, s'époumonait dans le désert. Mais il a eu la satisfaction fin août, note Le Monde, de voir Angela Merkel monter au créneau. "Il n’est simplement plus possible de nous taire, de ne rien dire juste pour avoir la paix, a déclaré la chancelière allemande. L’Etat de droit en Pologne, c’est un sujet grave."
Mercredi 15 novembre, le Parlement européen s'y est mis à son tour. Il a estimé que la situation en Pologne présentait un "risque manifeste de violation grave" des valeurs de l’Union européenne (Article 2 du Traité de l'UE : "L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit ...)". Et il a lancé le processus pouvant conduire aux sanctions prévues dans ce cas. "Si l'Etat refuse de se soumettre à ce qu'on lui demande (revenir à un Etat de droit tel que le prévoit l'Union européenne), il peut se voir infliger l'interdiction de participer aux décisions du Conseil de l'Union européenne. Il sera donc exclu des décisions politiques et législatives de l'Union européenne. Mais attention : il ne sera pas exclu de l'UE. On ne peut pas exclure un Etat membre", explique à franceinfo un fin connaisseur du Parlement européen.
Glissons sur le long détail de la procédure, qui peut durer des mois. Au final, les sanctions sont décidées par le Conseil de l'UE [qui regroupe les ministres des Etats membres de l'Union européenne]. Mais d'abord, les chefs d'Etat et de gouvernement réunis au Conseil européen doivent constater une violation "grave et persistante" des valeurs fondamentales de l'UE, à l'unanimité.
Or la Hongrie a déjà indiqué qu'elle refuserait toute sanction contre la Pologne. Et pour cause : elle aussi est visée depuis mai 2017 par une procédure pouvant mener à des sanctions. Echange de bons procédés oblige : à l'inverse, Varsovie ne votera pas de sanctions contre Budapest. Selon toute vraisemblance, donc, la procédure n'aboutira à rien et aucune sanction ne sera prise.
Parce qu'elle révèle un profond malaise en Europe
Mais si la Pologne était d'abord le symptôme d'une Europe de l'Est en profond désaccord avec l'Union européenne ? "Le différend sur la crise migratoire, en 2015, a été un catalyseur, estime Jacques Rupnki. La Pologne ne se reconnaît pas dans l'ouverture complète, sans limite, voulue par la chancelière allemande Angela Merkel, avec son fameux 'Wir shaffen das' ["nous y arriverons", sous-entendu : à intégrer les migrants]. Varsovie a refusé d'accueillir des migrants, comme on le lui demandait, au nom d'une menace présumée sur la sécurité [la crainte d'attentats] et l'identité [chrétienne], vu l'ampleur migratoire".
Auteur de Où va la démocratie ? (éd.Plon), Dominique Reynié, lui aussi, juge que la Pologne ou la Hongrie de Viktor Orban ont "un contentieux de fond avec l'Union européenne. Ils ne veulent pas de la société multiculturelle que l'UE veut, selon eux, leur imposer. Et quand on leur reproche leur position, leur réponse est toute prête. 'Regardez ce qui se passe chez vous et les problèmes que ça engendre : le terrorisme, les attentats ...'".
Mais le problème est plus global, reconnaît le professeur de Sciences Po, puisque, "en Europe, il y a entre un tiers et un quart d'Européens disponibles électoralement pour ce genre d'opinion. N'oublions pas qu'en France, la présidente du Front national Marine Le Pen a obtenu 21% des voix au premier tour de la présidentielle, et qu'elle s'est qualifiée pour le second tour". D'improbables sanctions contre la Pologne paraissent une voie bien timide pour combler la défiance entre une partie des Européens et leurs dirigeants.
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