Du "frère volé" de Riad Sattouf au crapaud philosophe de Jérémie Moreau, 22 BD à glisser sous le sapin

Voici une sélection de vingt-deux bandes dessinées et romans graphiques, à déposer dans la hotte du père Noël.
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 27min
Couvertures des BD à offrir à Noël, décembre 2024. (FRANCEINFO CULTURE)

Le quotidien à l'usine, les aventures d'un crapaud résistant, celle d'un fantôme maladroit à la rescousse d'une adolescente désespérée, le quotidien d'un ouvrier à l'usine, les enjeux du climat, la vie incroyable du frère de Riad Sattouf ou encore le quotidien de deux sœurs solidaires… Voici notre sélection des bandes dessinées à offrir à Noël, pour tous les âges et pour tous les goûts.

"Alyte" de Jérémie Moreau : le monde vu à travers les yeux d'un crapaud philosophe et résistant

La sortie d'un album de Jérémie Moreau est toujours l'occasion d'un émerveillement. Ce dernier opus ne fait pas exception. Cette fois le dessinateur nous raconte l'histoire d'Alyte, un petit têtard orphelin. Remontant le courant, Alyte traverse des pays, découvre le monde et son fonctionnement, fait toutes sortes de rencontres avec des êtres de toutes sortes. Une somme de rencontres qui forgent en lui une certaine philosophie de la vie, le poussant à entrer en résistance contre la "Léthalythe", ennemie de tous. Après Penss et les plis du monde en 2019, Discours de la panthère en 2020, puis Les Pizzlys en 2022, Jérémie Moreau continue à construire avec ce nouvel album une œuvre originale et profonde, inspirée par une réflexion philosophique sur l'état du monde, mise en scène dans des histoires qui laissent place à l'aventure et à la poésie. Dans une économie de mots, le récit exclusivement est déployé dans les dialogues et les images. Jérémie Moreau poursuit son travail graphique numérique amorcé sur Les Pizzlys, une ligne fluide soulignée par des couleurs fluo. (2024 Eds, 308 pages, 28 euros)

"Alyte" de Jérémie Moreau, novembre 2024. (EDITIONS 2024)

"À la ligne" de Julien Martinière, adapté du roman de Joseph Pontus : le quotidien d'un travailleur à la chaîne

Joseph Pontus racontait dans un premier roman, publié en 2019 aux éditions La table ronde, son histoire, celle d'un homme venu s'installer en Bretagne pour suivre son épouse, et contraint de travailler à la chaîne dans les usines agroalimentaires de la région pour assurer le quotidien du ménage. Cette expérience du travail à la chaîne, à l'usine, a fait naître chez lui le besoin d'écrire. À la ligne, un texte en forme de long poème, avait reçu le Grand Prix RTL-Lire. Julien Martinière adapte ce roman engagé dans une forme épurée, en noir et blanc – comme une série de gravures – qui donne toute sa force au texte de ce romancier prometteur disparu à l'âge de 42 ans. (Sarbacane, 208 pages, 25 euros)

"À la ligne" de Julien Martinière, d'après l'œuvre de Joseph Pontus, octobre 2024. (EDITIONS SARBACANE)

"Deux filles nues" de Luz : les tribulations d'un tableau allemand durant les prémices puis l'apogée du nazisme

Avec ce roman graphique, Luz réussit un pari audacieux : raconter l'histoire d'un tableau au travers des "yeux" du tableau et de son seul champ de vision (et auditif). Car dans Deux filles nues, c'est du point de vue de la toile elle-même, celui que le peintre allemand Otto Mueller a réalisé en 1919, que l'on assiste aux changements de main de l'œuvre, ce témoin muet. Une narration hardie pour une histoire tumultueuse qui passe notamment par sa confiscation par la Gestapo, puis par l'exposition "Art dégénéré" organisée par les nazis à Munich en 1937, jusqu'à nos jours. De domiciles en musées, de trains de marchandises et de dépôts en salles de ventes, le tableau traverse le temps. En arrière-plan, la montée inexorable, par petites touches, du nazisme ; la sincérité des uns, le cynisme et la folie haineuse des autres et, en regard, la force de l'art et l'émotion qu'il suscite. Luz, à la fois au scénario (très documenté) et au dessin (encre, sanguine et lavis), y fait passer un message de vigilance face à l'inquiétante montée de l'extrême droite en plusieurs endroits du Globe, dont la France. (Albin Michel, 196 pages, 24,90 euros)

La couverture de "Deux filles nues", un roman graphique de Luz. (ALBIN MICHEL)

"Azur Asphalte" de Sylvain Bordesoules : les galères et les joies de deux sœurs qui se serrent les coudes

Ce beau roman graphique raconte le quotidien de deux femmes, deux sœurs qui vivent à Nice. Après L'Été des charognes, publié en 2023, qui racontait la vie des "invisibles", Sylvain Berdesoules s'inspire cette fois de la vie de ses propres sœurs, qu'il met en scène dans un récit intime, à travers les mots mais aussi un graphisme très pictural, qui exprime avec sensibilité la température des paysages autant que des sentiments des protagonistes. À travers l'existence de ces deux femmes, c'est aussi une peinture sociale, celle des marges et des galères, mais aussi des joies simples du partage et de la solidarité, que nous livre ce talentueux auteur. (Gallimard, 208 pages, 24 euros)

"Azur Asphalte" de Sylvain Bordesoules, septembre 2024. (GALLIMARD BD)

"Zone critique" de Bruno Latour et Philippe Squarzoni : une porte d'entrée sur la pensée passionnante de Bruno Latour

Dans cette BD documentaire, Philippe Squarzoni met en scène les grandes lignes de la pensée du sociologue et philosophe des sciences Bruno Latour, disparu en 2022. En mettant en images des morceaux choisis de deux essais du sociologue, Où atterrir ? et Où suis-je ? publiés en 2017 et 2021, l'auteur de Saison brune parvient à nous faire entrer dans la complexité d'une réflexion profonde sur le monde. Comment repenser l'espace, le territoire, la terre, la géographie et les rapports humains sur cette terre, "Gaia celle qu'on ne peut dépasser, dont on ne peut pas sortir", dans le contexte de la crise climatique. "Apprendre à arpenter la zone critique ce n'est pas revenir en arrière", nous dit le sociologue, qui nous invite plutôt à "habiter le même lieu d'une autre façon", en commençant par "décrire nos interdépendances", à "lister nos attachements", pour mieux nous redéfinir. La solution ne réside ni dans le global, ni dans le local, nous dit-il mais dans une réinvention complète de nos grilles d'analyse. Une matière à penser passionnante, éclairée par la mise en images très judicieuse de Philippe Squarzoni. (La découverte / Delcourt, 176 pages, 29,95 euros)

"Zone critique" de Bruno Latour et Philippe Squarzoni, octobre 2024. (LA DECOUVERTE / DELCOURT)

"Worm" d'Edel Rodriguez : une enfance sous le régime communiste cubain de Fidel Castro qui fait écho à la figure autoritaire de Trump

Connu aux États-Unis pour ses caricatures féroces de Donald Trump depuis 2016, vus notamment en couverture de Time Magazine, Edel Rodriguez a grandi sous la dictature cubaine de Fidel Castro avant de s'exiler avec sa famille aux États-Unis en 1980, alors qu'il avait 9 ans. Son roman graphique, puissant, montre d'abord, à hauteur d'enfant, la réalité difficile du quotidien des Cubains sous le régime castriste, où l'on manquait de tout. Puis vient le long, éprouvant et périlleux chemin de l'exil. Plus tard, alors qu'il a fini par se faire une place aux États-Unis, il s'inquiète dès le début du mandat de Donald Trump des signaux que celui-ci envoie. Dans les discours populistes et les méthodes autoritaires du président républicain, il a en effet retrouvé en partie ceux de Fidel Castro. "Je suis allé aux États-Unis pour parler librement, et c'est devenu mon pays. J'ai perdu un pays. Je n'en perdrai pas un autre sans me battre", promet l'auteur dont le roman graphique écrit avant la réélection de Donald Trump pour un second mandat, fera date. (Bayard Graphic, 302 pages, 28 euros)

La couverture du roman graphique "Worm, une odyssée américano-cubaine" d'Edel Rodriguez, paru en 2024. (BAYARD GRAPHIC)

"Moi, Fadi, le frère volé" Tome 1 (1986-1994) : Riad Sattouf livre la face secrète de "L'Arabe du futur"

Après avoir raconté l'histoire de son enfance et de son adolescence dans les six épisodes de L'Arabe du futur (3,5 millions d'exemplaires vendus dans le monde), Riad Sattouf raconte dans ce premier opus d'une nouvelle série l'histoire de son frère Fadi, enlevé par son père et élevé en Syrie pendant que le reste de la famille, restée en France, n'avait aucune nouvelle de lui. Ce premier tome raconte la fin des années de Fadi en France, avec sa mère et ses deux frères Riad et Yahya et ses grands-parents bretons. Puis le jour de l'enlèvement et les premiers mois de la vie de Fadi en Syrie, propulsé dans un monde totalement inconnu, aux côtés d'un père irresponsable et pathétique. Son acclimatation, jusqu'à rapidement oublier le français, et sa vie d'avant. Cette nouvelle série a cela de passionnant qu'elle offre un regard neuf, différent, sur l'histoire racontée dans L'Arabe du futur. On retrouve les mêmes protagonistes, mais vus par le petit frère. Riad Sattouf raconte cette histoire sur la base des informations recueillies dans des entretiens qu'il a menés avec son frère en 2011, et 2012, quand son frère "fantôme", qu'il a retrouvé après vingt ans, une vie, en Syrie. On a hâte de lire la suite, qui doit sortir dans deux nouveaux tomes. (Les Livres du Futur, 140 pages, 23 euros)

"Moi, Fadi, le frère volé, tome 1 (1986-1994), octobre 2024. (LES LIVRES DU FUTUR)

"Smoking. La révolution Yves Saint Laurent" de Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier : l'histoire captivante d'un vêtement symbole d'affranchissement féminin

Pour les amateurs de mode, ce roman graphique aussi splendide qu'érudit est un must. Il s'agit tout à la fois d'une master class de style, d'une ballade piquante en compagnie d'Yves Saint Laurent et de sa délicieuse muse subversive Betty Catroux, d'un essai sociologique et d'un petit précis historique sur une tenue, le smoking féminin, que le couturier français créa en 1966. Un vêtement transgressif et révolutionnaire – une femme en pantalon était interdite d'entrée dans les restaurants huppés de Manhattan jusque dans les années 1970, rappelle l'ouvrage – qui a donné aux femmes le pouvoir, et est devenu un intemporel de leur garde-robe. "La mode n'est pas seulement faite pour embellir les femmes mais aussi pour les rassurer, leur donner confiance", disait Yves Saint Laurent. Les deux premiers d'atelier du couturier, interviewés pour l'ouvrage, tout comme Betty Catroux, livrent leurs secrets de fabrication pour parvenir au souhait du créateur de ne jamais entraver le mouvement pour se faire oublier. Le récit, dense en informations, et où l'on croise Simone de Beauvoir, Coco Chanel, George Sand ou Rosa Bonheur, est mis en images de façon remarquable, avec un dessin et des découpages à la fois vivants, rythmés et aérés, et, ce qui ne gâche rien, très beaux graphiquement. (Albin Michel, 168 pages, 24,90 euros)

La couverture du roman graphique "Smoking. La révolution Yves Saint Laurent" de Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier. (ALBIN MICHEL BANDE DESSINEE)

"Invisible" (Livre 1/3) de Brenna Thummler : un fantôme maladroit à la rescousse d'une adolescente confrontée à la dure réalité de la vie (et de la mort)

Comment se débrouiller dans la vie quand on se retrouve sans mère, avec un père qui a du mal à faire le deuil de son épouse ? C'est ce que doit affronter seule Marjorie, 13 ans, une collégienne sans amis. La jeune fille tente de s'en sortir avec la laverie familiale, délaissée par son père, et convoitée par l'affreux M. Saubertuck, prêt à tout pour mettre la main sur le local pour en faire un spa et centre de yoga. Heureusement, débarque dans la vie de Marjorie un fantôme maladroit, qui va peut-être l'aider à déjouer les plans de l'infâme Saubertuck. Ce contact avec l'au-delà, et cette amitié nouvelle aidera peut-être Marjorie à accepter la mort de sa mère. Cet album tout en couleurs sucrées met en scène des sentiments humains comme le chagrin lié au deuil, la solitude, les difficultés de l'adolescence à tisser des liens sociaux. Premier tome d'un ensemble qui en comprendra trois, à paraître en octobre 2025, Invisible est le deuxième album de l'illustratrice américaine Brenna Thummler, connue pour ses illustrations dans le New York Times ou le Washington Post. (Traduit de l'anglais par Isabelle Bézard, Sarbacane, 248 pages, 24 euros)

"Invisible" (Livre 1/3) de Brenna Thummler, octobre 2024. (SARBACANE)

"Grand Petit Homme" de Zanzim : l'important, ce n'est pas la taille, nous rappelle ce conte drôle et tendre

Quatre ans après le succès de Peau d'homme, en duo avec feu le scénariste Hubert, Zanzim revient cette fois en solo avec une BD adorable et poétique où il est question de grandeur d'âme, plus que de grandeur de taille. De fait, notre héros, Stanislas, est petit : 1,57 m. Moqué, timide et complexé, il n'en est pas moins amoureux des femmes et fétichiste – on pense très fort au film L'homme qui aimait les femmes de François Truffaut (1977). Son métier, vendeur de chaussures, lui va comme un gant : il en est un véritable expert. Mais un jour, alors qu'il fait le vœu de devenir grand en versant une larme, un maléfice va le rétrécir à la taille d'une souris, 11 cm. Profitant d'abord de cette mutation lilliputienne pour assouvir ses pulsions voyeuristes, Stanislas va au fil des péripéties d'une vie devenue compliquée découvrir la compassion, la générosité et même l'amour. Ce faisant, il va effectivement grandir au plan humain. Avec humour et tendresse, et des dessins pop inspirés des sixties à la sensualité naïve, Zanzim signe un joli conte initiatique. (Glénat, 144 pages, 25 euros)

La couverture de "Le Grand Petit Homme" de Zanzim. (EDITIONS GLENAT)

"L'Héritage fossile" de Philippe Valette : un récit de SF captivant sur un voyage intersidéral en vue de sauver l'humanité

Janvier 2087. Quatre astronautes décollent en mission intersidérale. Objectif : offrir "un deuxième foyer à l'humanité" sur une planète jumelle de la Terre, Geminae. À bord, des embryons humains, en vue de constituer la première colonie humaine sur une exoplanète. Temps de voyage prévu : 20 000 ans. Pour y parvenir, Reiz, Chana, Ryoko et Onye plongent régulièrement dans un sommeil en biostase dont ils se réveillent tous les 25 ans. Très vite, 200 ans seulement après leur départ, la Terre ne répond plus. Puis les soucis se multiplient à bord du vaisseau spatial. L'histoire, c'est le survivant Reiz qui la raconte à sa fille Nova alors qu'ils arpentent tous les deux Geminae, planète désertique et crépusculaire battue par les vents, en quête de vestiges du vaisseau. Première humaine née sur Geminae, Nova deviendra-t-elle la vénérable doyenne de la future civilisation ? Quatre ans de réflexion graphique ont été nécessaires à l'auteur, qui tisse ensemble plusieurs thématiques chères à son cœur, sur l'avenir de l'humanité et de la planète. Découpé comme un film, ce scénario de SF captivant est un "page turner" qu'on ne lâche pas une fois commencé. (Éditions Delcourt, 288 pages, 34,95 euros)

La couverture de "L'Héritage fossile" de Philippe Valette. (EDITIONS DELCOURT)

"Gregory" de Pat Perna et Christophe Gaultier, avec Jean Marie Villemin : retour sur une affaire fracassante jamais élucidée

Le 16 octobre 1984, le corps du Petit Grégory, 4 ans, est retrouvé dans la Vologne dans un sac-poubelle. Quarante ans après, sur la base du témoignage du père de l'enfant et d'une documentation qu'il a minutieusement rassemblée au fil des années, Pat Perna et Christophe Gaultier reviennent en BD sur cette affaire qui avait défrayé la chronique et qui, année après année, et malgré les rebondissements, n'a jamais livré sa vérité. Les auteurs remontent le fil de l'histoire depuis le début, avec la disparition de l'enfant, l'ultime lettre du corbeau, puis le cafouillage de l'enquête, l'agitation des médias qui contribuent à brouiller les pistes, l'arrestation de Bernard Laroche après les déclarations de sa belle-sœur la jeune Murielle Boll. S'ensuit sa libération après que Muriel Boll est revenue sur ses déclarations, et les soupçons qui s'orientent sur la mère, Christine, puis l'assassinat par Jean-Marie Villemin de son cousin Bernard Laroche, qu'il pense coupable. C'est ensuite la prison pour Jean-Marie, et le procès, qui occupe une grande partie du récit. Cette bande dessinée document, initiée par Jean-Marie Vuillemin, qui ne cache pas son point de vue, est le témoignage poignant d'un homme dont la vie est devenue un drame en même temps qu'un spectacle. Il est touchant aussi de découvrir l'enfant qui se cache derrière une image mille fois vue et revue. Un petit garçon qui appelait son père "Nounours" et qui reprend vie dans les cases de cette bande dessinée à la fois émouvante et instructive sur les coulisses d'un insaisissable drame. (Les Arènes BD, 144 pages, 25 euros)

"Gregory" de Pat Perna et Christophe Gaultier, avec Jean-Marie Villemin, octobre 2024. (LES ARENES BD)

"L'Escamoteur" : la fascinante histoire d'une taupe chez Action directe

Si ce n'était une histoire vraie, ce serait un scénario touffu, complexe, "extra-ordinaire". L'histoire de Gabriel Chahine et son destin hors du commun, racontée et dessinée dans "L'Escamoteur", est un retour sur les années de plombs, les années Action directe. Ce récit par Philippe Collin et Sébastien Goethals est précis, documenté, passionnant et surprenant. "C'est l'histoire incroyable d'une infiltration" dit la 4e de couverture. Il n'y aurait pas meilleur résumé. Comme des historiens du temps présent, les auteurs sont partis à la recherche de la vérité de cet homme, cet artiste qui charme et bluffe son monde, était-il une taupe au sein du mouvement à la solde des Renseignements généraux ou un sympathisant dilettante ? Au fil des pages, les auteurs reviennent sur cette période, où entre guerre des polices, assassinats et mitraillages, Action directe est en Une des journaux et l'inquiétude première du pouvoir. Un dessin précis et une histoire vraie fascinante. Aux Editions Futuropolis 317 pages, 27 euros.

Couverture de "L'Escamoteur" de Sébastien Goethals et Philippe Collin. (FUTUROPOLIS)

"Pillow Man" : confidences d'un oreiller

C'est l'histoire "d'un homme allongé qui veut rester debout pour vivre", celle d'un ancien chauffeur routier au chômage pour des problèmes de dos. Jean a perdu tout espoir de retrouver un emploi quand il se présente à un entretien où l'on cherche des insomniaques. Son uniforme ? Un pyjama. Sa profession ? Oreiller vivant. Jean est Pillow Man, il prend son nouveau métier au sérieux. En offrant du réconfort aux autres, il se découvre lui-même. Stéphane Grodet nous propose une comédie non dénuée de réflexion. Pillow Man, une histoire à dormir allongé. Jean, un nounours presque parfait. Poétique. (Glénat, 26 euros)

Couverture de "Pillow Man" de Stéphane Grodet et Théo Calméjane. (EDITIONS GLENAT)

"Idéal" : la dictature du bonheur

Dans cette BD presque contemplative et minimaliste, Baptiste Chaubard et Thomas Hayman nous invitent à la réflexion. Quid du bonheur dans un monde où tout est à portée de main, de rêve ? Le volet SF n'est qu'un moyen pour questionner cet objet obscur nommé désir. Nous sommes en 2160 au Japon. Partout ailleurs dans le monde, les androïdes sont devenus d'usage courant. Ici, particulièrement sur l'île de Kino, ils sont interdits. En apparence, le temps semble figé. En apparence, seulement. Car le couple Hélène/Edo craquelle silencieusement. Un robot pourrait-il être la solution ? Idéal interroge l'intime. Brillant. (Sarbacane, 28 euros)

Couverture du livre "Idéal" de Baptiste Chaubard et Thomas Hayman. (EDITIONS SARBACANE)

"Walicho" : mes sorcières bien-aimées

Véritable coup de cœur pour ce roman graphique de Sole Otero qui repense l'histoire de l'Argentine à travers le destin de trois sorcières. Une fresque qui va de 1740 à aujourd'hui. Trois sorcières, des sœurs dotées de pouvoir surnaturels, narrent une société en proie à ses propres démons à travers neuf récits, indépendants mais tous reliés. Dès leur arrivée à Buenos Aires, ces étranges sœurs (accompagnées d'un bouc), marqueront sur plusieurs destins. La force de l'autrice de Naphtaline(Nouvelle fenêtre), Prix du public France Télévision 2023 à Angoulême, réside aussi dans sa narration poétique et fluide. Sole Otero aborde plusieurs thématiques contemporaines avec brio. L'autrice signe une œuvre complexe, sensible et d'une intelligence exceptionnelle. Ensorcelant. (Éditions Ça et là, 28 euros)

Couverture du roman graphique "Walicho" de Sole Otero. (EDITIONS CA ET LA)

"Du Rififi à Ménilmontant" : Jacques Tardi ressuscite Nestor Burma

L'attachant détective, créé par Léo Mallet, est de retour. Plus de vingt ans après M'as-tu vu en cadavre, la nouvelle aventure (et dernière ?) de Nestor Burma, signée Tardi au dessin et au scénario, se déroule dans le XXe arrondissement, un quartier populaire cher à l'auteur d'Adèle Blanc-Sec. Nous sommes en décembre 1957, il fait un froid de canard, un temps à attraper la crève. Pas étonnant que Nestor Burma traîne une grippe carabinée. Au-delà de l'intrigue, Tardi nous emmène dans un voyage plein de nostalgie et d'humanisme. Une déambulation jubilatoire. Le XXe arrondissement, là où vit Tardi, est un personnage central dans cette œuvre qui ne va pas sans rappeler les films noirs de l'époque. Et, pour s'amuser et aussi rendre hommage à ses proches, le dessinateur a multiplié les clins d'œil. Saurez-vous les reconnaître ? Du Rififi à Ménilmontant, une BD à déguster sans modération. Indispensable. (Éditions Casterman, 25 euros)

Couverture de la BD "Du Rififi à Ménilmontant" de Tardi. (EDITIONS CASTERMAN)

"Le Jour d'avant" : la condition humaine

C'est LA BD à ne rater sous aucun prétexte. L'adaptation par Romain Dutter et Simon Géliot du livre Le Jour d'avant de Sorj Chalandon est remarquable à plusieurs égards. On ne peut qu'en convenir avec Sorj Chalandon qui, même s'il s'interdit de critiquer toute œuvre, ne cache pas son enthousiasme dans la préface : "Ce travail-là est admirable. J'adore le trait, sa violence et sa beauté sauvage. Je suis sidéré par le respect du texte initial. Véritablement, Le Jour d'avant revit le jour d'après." Le roman éponyme, hommage aux "gueules noires", prend son départ à Liévin le 27 décembre 1974. Ce jour-là, 42 mineurs dans la fosse 3bis trouvent la mort dans un accident qui aurait pu être évité. Le Jour d'avant interroge la fraternité, la solidarité, la vengeance, la lutte des classes et les silences impuissants ou complices. Le Jour d'avant, ou la condition humaine. Bouleversant. (Édition Steinkis, 26 euros)

Couverture de la BD "Le Jour d'avant". (EDITIONS STEINKIS)

"Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire" : à 100 ans, trop jeune pour mourir

Si quelquefois, les traits sont parfois légèrement hésitants, le résultat n'en demeure pas moins explosif. Tout est démesuré, complètement loufoque, invraisemblable et joyeusement absurde dans cette BD inspirée par le livre à succès de Jonas Jonasson. Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, alias Allan Karlsson, s'enfuit de la maison de retraite. Le vieux n'est pas n'importe qui. À la manière de Forrest Gump, l'ancien artificier a traversé le siècle en candide apolitique qui croise ce que la politique a engendré de pire et de meilleur : Franco, Staline, Mao, Truman… Le tonton flingueur ne porte aucun jugement. Passé et présent se télescopent. Jubilatoire. (Éditions Philéas, 19,90 euros)

Couverture de "Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire". (EDITIONS PHILEAS)

"Shubeik Lubeik" : vos désirs sont des ordres

Cet épais roman graphique de 518 pages venu d'Égypte se lit de droite à gauche. Il se lit surtout avec beaucoup de plaisir. Le titre Shubeik Lubeik. Vos désirs sont des ordres est une formule exprimée par les djinns (génies) dans les contes populaires égyptiens pour signifier qu'ils vont exaucer vos vœux. Tous les souhaits ne sont pas sans danger. L'autrice Deena Mohamed imagine un monde dans lequel les vœux sont des biens de consommation comme les autres. Shubeik Lubeik est une satire politique et sociale de la société égyptienne, avec une portée universelle. Si les vœux sont accessibles, le prix peut s'avérer exorbitant. Deena Mohamed questionne le désir, la liberté, la quête d'identité à travers trois histoires. Conte moderne. (Éditions Steinkis, 35 euros)

Couverture du roman graphique "Shubeik Lubeik" de Deena Mohamed. (EDITIONS STEINKIS)

"La 3e Kamera" : à la recherche des clichés perdus

Le trait de Denis Rodier est impressionnant de précision, le scénario de Cédric Apikian est captivant. Les auteurs de La Bombe, ouvrage traduit en 18 langues et vendu à plus de 150 000 exemplaires en France, signent une œuvre documentée sur les "Propaganda Kompanien", des reporters de guerre allemands sous les ordres de Goebbels. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ces soldats de la propagande utilisaient deux appareils photo officiels. Certains, comme le lieutenant Frentz qui suivait le Führer en personne, cachaient un 3e appareil clandestin, échappant à tout contrôle : la 3e "Kamera". Nous sommes mi-avril 1945, aux environs de Berlin. L'Armée rouge encercle la capitale. Hitler se tapit dans son bunker. Son photographe prend ses derniers clichés. La 3e Kamera, une BD maîtrisée et haletante. (Éditions Glénat, 23 euros)

Couverture de "La 3e Kamera" de Cédric Apikian et Denis Rodier. (Editions Glénat)

"Le Cas David Zimmerman" : les frères Harari mènent l'enquête

Ne faites pas attention à l'épaisseur (354 pages), l'album se lit d'une traite. Il y a un air de roman fantastique dans cette œuvre d'une grande originalité. Le Cas David Zimmerman questionne le genre et l'identité avec beaucoup de subtilité. Les frères Harari (Lucas et Arthur) installent une narration soutenue dans cet excellent thriller intimiste. Cela commence comme dans un film de Woody Allen pour ensuite prendre d'autres voies. David Zimmerman déprime, il cherche la solitude. Le jeune trentenaire parisien n'arrive pas à percer dans la photographie, son unique passion. Le soir du réveillon, sa vie prend une tournure inattendue. Il se réveille dans le corps de la femme qu'il a désirée. Le lecteur est happé par cette histoire, jusqu'à la fin époustouflante. (Éditions Sarbacane, 35 euros)

Couverture de l'album "Le cas David Zimmerman" de Lucas et Arthur Harari. (EDITIONS CASTERMAN)

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