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Fred Vargas, Christian Blanchard, Michaël Mention, Patrice Gain... notre sélection d'été de thrillers et polars d'auteurs français

Le cru 2023 de thrillers et polars français est exceptionnel. Entre retours attendus et espérés d'auteurs et d'autrices incontournables et nouvelles plumes, tour d'horizon forcément subjectif et non exhaustif.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Rayon polars et thrillers de la librairie "Merle moqueur", à Paris. (Mohamed BERKANI)

Sans s'être concertés, plusieurs auteurs et autrices, de Fred Vargas à Jérôme Loubry en passant par Christian Blanchard, ont choisi la Bretagne comme cadre de leurs œuvres et intrigues. 2023 est un bon cru pour les thrillers et polars d'auteurs français. Ancrés dans le réel ou flirtant avec le fantastique, ils questionnent et regardent la société dans les yeux.

1"Dis bonne nuit", Leïla la gardienne de vos jours

Christian Blanchard est un fin psychologue. Son écriture fluide, simple, nous emmène dans un univers en pleine transition, dans un monde qui ne veut pas mourir. Un entre-deux, un présent qui tarde à naître et un passé qui fait de la résistance. Avec Leïla Le Menn, Christian Blanchard tient un personnage fort, attachant. Il ne faudrait pas s’étonner si Dis bonne nuit se retrouve au cinéma, à la télévision ou en bande dessinée. On voit l’intrigue sous nos yeux au fil des pages. Le polar se lit avec grand plaisir. À Rennes, Leïla Le Menn est détective privée et gère ses amours avec indépendance. S’attacher, pas son fort, plutôt sa crainte. Leïla Le Menn est une personne complexe que le lecteur découvrira petit à petit. Enquêtant sur une banale affaire d’adultère, elle se retrouve confrontée à des forces réfractaires à tout changement, à des groupes apeurés de voir des femmes fortes, indépendantes. Christian Blanchard se saisit des sujets de notre époque et développe deux énigmes en obligeant son personnage à regarder son passé. Dis bonne nuit, un polar lumineux.

(Dis bonne nuit, Christian Blanchard, Belfond, 21 euros)

Couverture du livre "Dis bonne nuit" de Christian Blanchard (Editions Belfond)

2 "Sur la dalle", punaise ! Le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg est de retour ! 

Six ans qu’on attendait un signe, une enquête du commissaire Jean-Baptiste Adamsberg. Six ans après Quand sort la recluse (Flammarion, 2017), le voilà en Bretagne, à Louviec plus précisément, non loin de Combourg, pour un crime qui sort de l’ordinaire par l’arme utilisée. Fred Vargas était attendue par ses nombreux lecteurs. Sur la dalle (Flammarion), elle revient aux fondamentaux : un commissaire pas comme les autres, plus laconique, hors temps, un zeste de zoologie, un ou des crimes exceptionnels, un quotidien fantaisiste où la porosité entre le réel et la légende est béante. Fred Vargas laisse sa plume s’égarer dans des notions philosophiques, prenant son temps pour développer ses idées et refuse de céder à l’urgence. On ne le lit pas l’autrice de Un peu plus loin sur la droite pour les intrigues policières mais surtout pour tout ce qui entoure l’intrigue, pour l’atmosphère Vargas. Sur la dalle, un roman épique. Fred Vargas, une écrivaine exceptionnelle.

(Sur la dalle, Fred Vargas, Flammarion, 23 euros)

Ouverture de "Sur la dalle" de Fred Vargas (Flammarion)

3"Les Gentils" ou l'impossible deuil

Avec une écriture hantée, nerveuse, Michaël Mention nous plonge dans un océan de douleur et de souffrance. Les Gentils (Belfond) est un roman noir, que l’espoir a déserté. Un roman sur le deuil impossible d’un homme qui voit son monde vaciller de toutes parts, un monde d’où il est exclu, d’où il s’exclut. Michaël Mention mitraille à tout va, ne laissant aucun répit à son lecteur. La descente aux enfers de Franck semble ne pas avoir de fond. Abyssale aussi est sa souffrance. Sa soif de vengeance, sans cesse contrariée et toujours insatiable, le mène à des contrées inexplorées. Les Gentils est un voyage au bout de soi, à la poursuite de son âme perdue. Michaël Mention est un conteur impitoyable qui ouvre plein d’horizons, plus ténébreux les uns que les autres, surprenants. Comme si le prix de la salvation était toujours très élevé. Les Gentils, un grand roman noir.

(Les Gentils, Michaël Mention, Belfond, 20,50 euros)

Couverture du roman "Les Gentils" de Michaël Mention (Editions Belfond)

4"La lisière", à la frontière du réel

À la lisière du fantastique et du réel, à la frontière ténue entre deux univers, entre le rêve et le cauchemar, Niko Tackian navigue avec une aisance extraordinaire dans une Bretagne mystérieuse. La vie de Vivian bascule dans l’horreur en quelques minutes. En route de nuit avec son époux et son fils pour rejoindre sa belle-mère en passant par les monts d’Arrée, leur voiture heurte quelque chose. Ses hommes descendent pour voir… Et disparaissent. Elle-même, en descendant du véhicule, est prise en chasse par un homme armé d’une hache. Est-ce un cauchemar éveillé ? Une distorsion de la réalité ? L’auteur d’Avalanche Hôtel nous plonge dans une ambiance onirique où le vrai et le faux sont inextricables. L’écrivain se penche sur les relations toxiques avec beaucoup de talent et de lucidité. La lisière (Calmann-Lévy) est un roman sombre sur la nature humaine.

(La lisière, Nicko Tackian, Calmann-Lévy, 19,90 euros)

Couverture du livre "La lisière" de Niko Tackian. (Editions Calmann-Lévy)

5"Les brouillards noirs", western sombre et lumineux

Patrice Gain signe un grand roman écologiste qui, avec son écriture enveloppante, saisit le lecteur dès les premières pages. L’auteur du De silence et de loup développe plusieurs thèmes dans son dernier livre. Là est sa force. Avec un style concis, percutant, Patrice Gain nous embarque dans une aventure qui va au-delà de l’intrigue policière. En atterrissant à Tórshavn, c’est en père, rongé par la culpabilité, craignant le drame, que Raphaël découvre l’univers de sa fille, ses combats. Et l’un d’eux particulièrement, contre le grindadrap, la chasse traditionnelle des baleines. Patrice Gain, ingénieur en environnement et professionnel de la montagne, pose des questions philosophiques : peut-on encore, aujourd’hui, défendre des pratiques sanglantes au nom de la tradition, des coutumes ? Violenter la nature au nom d’une pratique ancestrale fait-il encore sens ? Comme un western moderne, qui se passe sur un archipel volcanique. Les brouillards noirs (éditions Albin Michel) de Patrice Gain est un grand roman d’atmosphère, qui interroge l’intime et le public, le deuil et l’engagement, la tradition et l’environnement.

("Les brouillards noirs", Patrice Gain, Albin Michel, 19,90 euros) 

Couverture du livre "Les brouillards noirs" de Patrice Gain. (Editions Albin Michel)

6"Colère chronique", une rédaction sous tension

L’autrice canadienne Louise Oligny, installée à Paris, se penche avec férocité sur la précarité, le chômage chez les plus de cinquante ans et leur place dans la société. À 55 ans, la photoreporter Diane Choinière croit moyennement en ses chances de retrouver un travail. À 55 ans, elle est "vieille" pour le métier et pas assez pour la retraite. Après vingt-deux ans de boîte, elle est remerciée sans ménagement. Trop bien payée selon sa direction, qui a entamé un glissement éditorial vers l’extrême. À chaque fois que Diane Choinière rumine sur son licenciement abusif, elle plonge dans une réalité cotonneuse, noyée sous l’alcool fort et les anxiolytiques. Dès qu’elle pense à un responsable de ses malheurs, ce dernier meurt violemment. Au bout du troisième assassinat, la police finit par la soupçonner. Avec Colère chronique (Black Lab), Louise Oligny signe un premier thriller social féroce.

(Colère chronique, Louise Oligny, Black Lab, 20,90 euros)

Couverture de "Colère chronique" de Louise Oligny (Black Lab)

7"Le chant du silence" ou le vacarme assourdissant de vies fracassées

Jérôme Loubry signe un roman puissant, hypnotique, universel. Le chant du silence (Calmann-Levy) est un vacarme assourdissant de vies fracassées sur fond de crise sociale et environnementale. Il raconte les amours contrariées, les amitiés perdues, les silences chargés de non-dits, la non-communication parent-enfant… Jérôme Loubry s’amuse à faire vaciller les certitudes. Dans une petite ville, des pêcheurs rament à assurer le quotidien. Quand un bateau déverse du pétrole, toute pêche devient impossible. Dans un décor à la Ken Loach, les drames rôdent. Trois adolescents, Oriane, Gustave et Damien, découvrent leurs premières amours, leurs premiers émois, leurs premières lâchetés… Et dans cette ville sinistrée, les mensonges deviennent des vérités, avec les silences pour complices. Quand Gustave est découvert mort près du port, toute la petite ville bascule dans une autre réalité. Cet été 1995 marque la fin de l’innocence. Avec une écriture cinématographique, Jérôme Loubry instaure un dialogue original avec le lecteur, se plaît à l’égarer au fil des pages.

("Le chant du silence", Jérôme Loubry, Calmann-Lévy, 21,90 euros)

Couverture du libre "Le chant du silence", janvier 2023. (Calmann-Lévy)

8"Le sang de nos ennemis", la guerre au nom de la paix

Le passé refuse de se décomposer, il habite le présent, toujours entre la veille et le lendemain. Gérard Lecas s’est intéressé à ce qu’on appelait pudiquement les évènements d’Algérie. On est en 1962, à Marseille. Deux flics, que tout ou presque oppose, se penchent sur un étrange crime. La ville est en ébullition. Elle vit un moment qui va la marquer pour toujours : le débarquement des pieds-noirs, pro-Algérie française et indépendantistes en guerre, majorité municipale et opposition en chiens de faïence, gangs en embuscade… La situation est explosive. Le travail de documentation de Gérard Lecas est tout simplement impressionnant. Il a réussi à rendre vivant à l’écrit le Marseille des années 60 et à décrire des évènements qui vont façonner définitivement la ville phocéenne. Marseille, port de migrations, est un personnage à part entière. La ville voit ses enfants s’entredévorer, s’entretuer… Et les deux policiers, pris entre les intérêts des uns et des autres, ramassent des cadavres et tentent d’aller au bout de leur enquête. Quand les temps sont troubles, l’orage menace les braves. Le sang de nos ennemis (Rivages), un roman documenté.

(Le sang de nos ennemis, Gérard Lecas, Rivages, 21 euros)

Couverture de "Le sang de nos ennemis" de Gérard Lecas (Editions Rivages)

9"Le bonheur est dans le crime", Tante Alice, la Miss Marple de Fontainebleau, mène l’enquête

Une fois la voix de l'animateur de "Grand bien vous fasse" sur France Inter et de ses chroniques sortis de la tête, le roman devient plus fluide. Une fois qu'on oublie Ali Rebeihi l'animateur, on se concentre sur Ali Rebeihi l'écrivain qui s'essaie au cosy crime, un roman délicieusement désuet qui fait du bien. Les jeux de mots de ce court texte n'ont aucun lien avec l'émission matinale de France Inter. Le bon bonheur est dans le crime (éditions Lattès), rien à voir avec le roman éponyme de Jules Barbey d'Aurevilly, fait partie de la vague qui submerge la littérature policière : les cosy mysteries, ces polars légers et réconfortants qui cartonnent.  Aussi réconfortant qu'une pâtisserie à l'heure du thé. Recette : des meurtres et de l'humour. Derrière cette ambiance surannée se cache un vrai travail créatif. Quand Paul Faye, pape du développement personnel, est assassiné, Tante Alice, professeur de droit à la retraite, une sorte de Miss Marple, personnage aussi attachant qu'agaçant d'Agatha Christie, décide de résoudre le mystère. À ses risques et périls. Méfiez-vous des gens modestes, ils ont plein de talent. Vous reprendriez bien un petit meurtre avec ce délicieux biscuit ?

(Le bon bonheur est dans le crime, Ali Rebeihi, éditions Lattès, 18 euros) 

Couverture du livre "Le bonheur est dans le crime" d'Ali Rebeihi. (Editions Lattès)

10 "La lionne" ou le rugissement d’une femme blessée

Parce que sait de quoi il parle, parce que le sujet n’est jamais bien loin même si l’actualité hiérarchise souvent ses priorités avec une déraison insensée, parce que le triller est une porte privilégiée pour comprendre le monde contemporain, le dernier livre de François Dupaquier, Lionne (Flammarion), est un roman utile. Comme lors de son précédent ouvrage, Juste parmi les hommes (Fayard), François Dupaquier, juriste de formation, mêle plusieurs histoires simultanément. Son personnage, Tara Vaillant, policière en banlieue parisienne est brisée par les aléas de la vie. Elle n’arrive pas à faire le deuil de sa mère. Elle survit en multipliant les aventures sans lendemain et mettant son corps au supplice. Quand deux repentis de l’Etat islamique sont exécutés en plein Paris, Tara Vaillant se réfugie dans le travail. Et c’est là qu’intervient l’expérience de François Dupaquier, qui a travaillé pendant de longues années dans le Moyen-Orient. L’écrivain détaille les ramifications d’une hydre tentaculaire, et dit toute la complexité de ces opérations. Et Tara Vaillant lors de son enquête, elle découvre et affronte son identité, son humanité.

(Lionne, François Dupaquier, Flammarion, 22,90 euros)

Couverture du livre "Lionne" de François Dupaquier. (Editions Flammarion)

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