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Macron a-t-il raison de comparer l'Europe d'aujourd'hui à celle des années 1930 ? On a demandé à une historienne

Dans une interview mercredi à "Ouest-France", le président de la République a assuré que le "moment que nous vivons ressemble à l'entre-deux-guerres". 

Article rédigé par Margaux Duguet - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le président de la République, Emmanuel Macron, lors d'un sommet à Istanbul (Turquie), le 27 octobre 2018. (OZAN KOSE / AFP)

Il a appelé à être "lucide" et "à résister". Dans un entretien accordé à Ouest-France et publié mercredi 31 octobre, Emmanuel Macron s'est dit "frappé" par la ressemblance entre la situation actuelle en Europe et celle des années 1930. "Le moment que nous vivons ressemble à l'entre-deux-guerres, estime-t-il. Dans une Europe qui est divisée par les peurs, le repli nationaliste, les conséquences de la crise économique, on voit presque méthodiquement se réarticuler tout ce qui a rythmé la vie de l'Europe de l'après Première Guerre mondiale à la crise de 1929." 

Cette analyse est-elle pertinente ? Nous avons posé la question à Isabelle Davion, historienne, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à Sorbonne-Université.

Franceinfo : Emmanuel Macron a-t-il raison lorsqu'il dresse un parallèle entre l'Europe actuelle et celle de l'entre-deux-guerres ? 

Isabelle Davion : La première réaction d'une historienne, c'est de se demander à quelle période de l'entre-deux-guerres il fait référence. Car c'est extrêmement vaste. Il fait de la période de l'entre-deux-guerres une guerre de trente ans, formule utilisée par De Gaulle et Churchill. Si lorsqu'il parle de l'entre-deux-guerres, il fait référence aux années 1930, la comparaison peut être tentée, mais avec toutes les nuances nécessaires. C'est vrai qu'il y a certains traits qui légitiment cette comparaison. 

Quels sont justement les points de comparaison ? 

Il y a d'abord la crise économique, commune aux deux époques, qui sape les régimes parlementaires. Il y a aussi la remise en cause des valeurs démocratiques et libérales accusées d'être incapables de rétablir la situation.

Cela va même jusqu'à la remise en cause des valeurs humanistes, comme le refus d'accueillir les migrants que ce soit aujourd'hui ou à cette époque, avec les réfugiés partis d'Allemagne.

Isabelle Davion, historienne

à franceinfo

Autre point de comparaison : l'explosion de la question nationale. Les sociétés pensent ne plus trouver des réponses dans les partis traditionnels. On cherche alors ces repères dans des partis d'extrême droite qui promettent qu'ils ont la solution et qu'elle est simple. En 1918, la démocratie libérale était censée se propager dans le monde entier, mais avec la crise économique, ce modèle est en repli. De la même manière, ce modèle est aujourd'hui en crise alors qu'à la fin de la guerre froide, il y avait cette impression qu'il était accepté universellement. 

Et les points de différence ? 

Malgré ces points de comparaison, il y a effectivement des points de différence qui sont fondamentaux. Le système international est beaucoup plus démocratique que dans les années 1930 et donc, moins perverti. La volonté de la communauté internationale est plus forte. Dans les années 1930, on a des Etats constitués, des puissances qui ne reconnaissent pas les règles du jeu international et qui souhaitent la guerre. C'est le cas de l'Allemagne nazie ou de l'Italie fasciste. Aujourd'hui, on a des Etats menaçants mais qui, si on leur propose des modifications par la voie diplomatique, ne chercheront pas la guerre. 

Ensuite, les pays qui basculent aujourd'hui dans l'extrême droite n'ont pas de revendications extérieures comme c'était le cas, cela fait une énorme différence. On a donc des bases beaucoup plus saines avec une majorité de pays qui soutiennent un projet de communauté internationale démocratique. On a enfin derrière nous cette expérience des années 1930 qui nous rend alerte sur les signaux.

L'histoire n'est pas un vaccin, mais elle nous rend consciente des enjeux. 

Isabelle Davion, historienne

à franceinfo

Quelle stratégie politique Emmanuel Macron a-t-il en tête lorsqu'il fait cette comparaison ? 

C'est la question que je me pose. J'imagine qu'il veut agir comme un lanceur d'alerte. L'idée étant de dire : "On ne peut pas jouer aux apprentis sorciers, on sait où ça nous mène." Emmanuel Macron a aussi en ligne de mire le Brexit et les prochaines élections européennes. Il veut se poser du côté des acteurs raisonnables, conscients de la lourdeur des enjeux. Il y a cette volonté nette de poser la France en tant que puissance pro-européenne, en tant que grande puissance qui veut maintenir le cap. 

Est-ce que cela marche encore, notamment auprès des peuples, d'agiter cette comparaison comme un chiffon rouge ? 

Que l'on veuille établir cette comparaison, pourquoi pas. Mais j'aurais aimé que l'on renouvelle cette approche parce qu'effectivement à force d'agiter ce chiffon, les gens pourront ne plus y prêter attention.

En Europe de l'Est, c'est une menace qui fonctionne très peu. En Hongrie, en Pologne, mais aussi en Slovaquie, il y a un retour révisionniste sur les années 1930.

Isabelle Davion, historienne

à franceinfo

[Dans ces pays,] on retient plutôt de cette période la menace soviétique qui se nourrit aujourd'hui de la menace russe. Le danger hitlérien a perdu nettement de sa force face à l'idée de la menace russe. Or, c'est aberrant historiquement : la Pologne a survécu à cinquante ans de soviétisme alors qu'elle n'aurait pas survécu au projet nazi.

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