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Témoignages "On m'a proposé un poste le jour de la rentrée" : comment les enseignants contractuels "comblent les trous" de l'Education nationale

Face à la pénurie de professeurs titulaires, le ministre de l'Education nationale a annoncé le recrutement de 3 000 contractuels pour la rentrée 2022. Un statut qui cache bien souvent des conditions de travail précaires.

Article rédigé par Rachel Rodrigues, Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Dans "un contexte de tension inédite pour le recrutement des professeurs", le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, a annoncé l'embauche de 3 000 contractuels supplémentaires. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

"J'ai été complètement lâchée dans la nature." Gaëlle, enseignante contractuelle depuis six ans, se rappelle de sa première rentrée comme si c'était hier. "Ils m'ont demandé si j'étais disponible dans la journée, j'ai déposé mes enfants à l'école et à 13h30, j'étais devant ma classe", se remémore cette ancienne ingénieure, qui s'est confiée à franceinfo, mardi 30 août. Sans entretien d'embauche, ni de formation, Gaëlle se retrouve devant 31 élèves de CM1 et de CM2. "Un enfant m'a dit qu'ils étaient en train de lire un livre donc j'ai rattrapé les wagons comme ça, explique-t-elle. C'était de l'improvisation."

L'expérience de Gaëlle, de nombreux enseignants contractuels l'ont également vécue. Ces professeurs du premier et du second degré sont recrutés chaque année, sur diplôme mais sans concours, afin d'enseigner dans les zones où il manque des titulaires. Et ils sont de plus en plus nombreux chaque année. Dans le secteur public, leur nombre a presque doublé entre 2008 et 2021, jusqu'à atteindre près de 40 000 à travers la France. Plus de 5% des effectifs totaux.

La rentrée 2022 devrait facilement battre ce record. Dans "un contexte de tension inédite pour le recrutement des professeurs", le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, a annoncé l'embauche de 3 000 contractuels supplémentaires. Les syndicats déplorent des conditions de travail difficiles, liées à ce statut précaire. Une dizaine de ces professeurs non-titulaires nous ont raconté leur expérience, parfois compliquée, dans le grand bain de l'Education nationale.

"Personne ne m'a appelé"

L'aventure des contractuels commence presque toujours de la même façon. Après le dépôt d'un CV sur la plateforme du ministère ou à Pôle emploi, ces diplômés de l'enseignement supérieur de tous âges reçoivent un coup de téléphone les informant de leur affectation dans un ou plusieurs établissements. Un appel qui tarde souvent à arriver, alors que la rentrée approche. "On est le 30 août, il est 11h16. La pré-rentrée est demain. Je n'ai aucune information", s'inquiète Jennifer, jointe par téléphone. Le jour de la rentrée, cette enseignante contractuelle d'espagnol n'avait toujours pas reçu d'affectation. L'année dernière, elle avait déjà eu la mauvaise surprise de passer d'un plein temps à un mi-temps. De quoi faire fondre ses revenus et raviver ses angoisses.

"D'une année à l'autre, on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé."

Jennifer, enseignante contractuelle

à franceinfo

Au même moment, d'autres contractuels contactés par franceinfo étaient toujours en attente d'une réponse. "Je ne sais pas encore si j'aurai un poste, personne ne m'a appelé", s'inquétait déjà Linda, mardi. A juste titre : le matin de la rentrée, elle n'avait toujours pas été contactée. En 2021, déjà, cette professeure contractuelle de mathématiques et d'arts plastiques en Ile-de-France, avait dû attendre le mois d'octobre pour finalement décrocher une affectation à la suite d'un désistement, et ce, malgré ses dix années d'expérience. "On comble les trous", résume Lionel, un autre contractuel.

  (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Eloi*, lui, n'avait toujours pas eu de contact avec le rectorat mardi alors qu'il devait commencer le lendemain dans un établissement. "Je n'ai pas de contrat de travail et lorsque j'appelle le rectorat, je tombe sur une boite vocale qui me dit qu'ils sont fermés jusqu'au 14 septembre", souffle ce professeur d'histoire-géographie, qui a finalement signé son contrat mercredi, jour de la pré-rentrée des professeurs. L'année dernière, ce n'était pas mieux. "On m'avait proposé un poste le jour de la rentrée et en me demandant d'enseigner aussi le français." Une situation inacceptable pour les syndicats. "Il faut assumer qu'un professeur recruté ne peut pas se retrouver en vingt-quatre heures devant une classe", revendique Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU.

Apprendre le métier "sur le tas"

Sans pouvoir anticiper, les enseignants contractuels arrivent souvent dans leur établissement avec rien d'autre que leur cartable pour commencer à travailler. Mélissa*, enseignante sous ce statut depuis un peu plus de quatre ans dans le Puy-de-Dôme, décrit une forme de "précipitation" suivie d'un sentiment de "solitude" en se remémorant son premier jour de classe. "J'étais toute seule devant un groupe de BTS, rien n'a été mis en place pour m'accueillir, déplore-t-elle. Ce jour-là, je n'avais même pas eu accès à l'ENT [Environnement numérique de travail] tout de suite, et on ne m'a pas forcément donné de contacts avec les profs."

Au début, "nous sommes un peu lâchés dans l'arène", abonde Linda. Elle se rappelle des débuts compliqués, il y a onze ans. "J'ai eu un rendez-vous avec un inspecteur : on ne m'a même pas demandé si je savais faire une opération", s'indigne-t-elle. Sans formation préalable, l'enseignante débutante de l'époque apprend alors sur le tas les spécificités du métier, comme "savoir gérer un groupe" ou encore "comment faire un plan de classe".

Une formation express

Les premiers jours de contrat sont souvent synonymes "d'improvisation" pour ces contractuels, arrivés dans l'urgence pour remplacer des professeurs absents. "Ces enseignants que nous remplaçons n'ont pas forcément le temps de nous transmettre quoi que ce soit, explique Gaëlle. Donc, au début, il nous arrive d'enchaîner des soirées et des soirées de travail pour tout rattraper."

"J'ai demandé à être aidée. Ça a fait rire mes supérieurs, on me disait : 'Débrouille-toi !'"

Julie, enseignante contractuelle dans l'académie de Toulouse

à franceinfo

Pour la première fois cette année, les enseignants contractuels ont été invités par leur rectorat à une formation de quelques jours avant la rentrée scolaire, sur directive du ministère de l'Education. Au programme : quatre jours d'apprentissage des bases du métier et quelques mises en situation. "On est très contents que cela ait pu enfin être mis en place, nous le demandions depuis longtemps", se félicite Dorothée Crespin, déléguée nationale à l'Unsa Education. Une formation insuffisante, juge de son côté Sophie Vénétitay : "C'est illusoire de croire qu'on peut devenir professeur en seulement quatre jours".

Par ailleurs, le ministère, contacté par franceinfo, rappelle que, tout au long de l'année, les personnels contractuels peuvent, "comme tous les autres personnels", s'inscrire à des formations. Dans le premier degré, dix-huit heures de formation obligatoire sont également prévues pour l'ensemble du corps enseignant. Mais, dans les faits, de nombreux contractuels interrogés font part des difficultés à se dégager du temps pour se former. "Les établissements n'ont pas forcément le temps de nous lâcher, explique Gaëlle. Parfois, il faut se déplacer à plus d'une heure de chez soi, c'est compliqué." Surtout qu'il faut se former "en dehors des heures de cours", sur son temps personnel, explique Linda, qui regrette "des attentes trop hautes" par rapport au "peu de reconnaissance''.

Une intégration compliquée

Une fois lancés, sans filet, dans la grande machine de l'Education nationale, les enseignants contractuels se sentent bien souvent un peu seuls. "On se retrouve dans une famille avec des codes, et dans cette famille, il y a l'intrus. Le contractuel, c'est l'intrus", témoigne Angèle*, professeure d'arts plastiques ayant enseigné en tant que contractuelle pendant plus de dix ans. 

Linda se souvient de son année 2021, durant laquelle un contrat l'amenait à passer seulement sept heures par semaine dans un établissement. "Je voyais peu mes collègues, confie-t-elle. On sent bien qu'on n'est pas intégré, qu'on ne fait pas partie de l'équipe." Sur une période courte, "les enseignants ne cherchent pas trop à nous parler parce qu'ils savent qu'on n'est pas là pour longtemps", ajoute Gaëlle. Parfois, cela va plus loin : certains enseignants plus diplômés "refusent de saluer" les enseignants non titulaires ou alors s'auto-attribuent des "zones dédiées dans la salle des profs", racontent plusieurs contractuels.

"Dans la salle des professeurs, il y avait ceux qui avaient le droit de s'asseoir dans les fauteuils et les autres. Nous, les contractuels, on restait debout."

Benoît, enseignant contractuel dans l'académie de Grenoble

à franceinfo

Ces mésaventures répétées ne doivent pas masquer de nombreuses expériences réussies. "L'équipe pédagogique m'a tout de suite prise sous son aile pour me coacher et me donner des conseils", salue Eloi*, contractuel en région lyonnaise. Une professeure chevronnée est même devenue sa tutrice "sur son temps personnel", précise-t-il. Il faut dire que les conditions de travail, parfois difficiles dans certains établissements, ont tendance à souder 'ensemble des enseignants. "Au collège, tout le monde est dans la même galère, relève Benoit. Dans ces conditions, il n'y a plus ni de différence, ni de concurrence."

* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé(e)

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