"Je cours plus vite que le père Noël" : dans les pas de Romain, livreur en plein rush
A Auxerre, l’entreprise ACL Transports vit sa plus grosse semaine d’activité de l’année. Franceinfo est monté à bord du fourgon.
Au premier coup de sonnette, personne n’a ouvert. Au deuxième non plus. Le livreur allait repartir le colis sous le bras quand une voix de femme est arrivée du fond du couloir : "Monsieur, je suis sous la douche ! J'arrive pour vous ouvrir !" Quelques secondes plus tard, voilà la cliente sur le pas de la porte... vêtue d'un simple peignoir. Romain fait comme si tout était normal : un grand sourire, une signature et un "merci, bonne journée". En dévalant l’escalier, le livreur de 24 ans raconte qu’il en a vu d’autres : un jour, une cliente l’a accueilli... en sous-vêtements.
Il faut toujours rester professionnel. Tu fais comme si tu n’avais rien vu, alors que tu as tout vu. Il ne faut pas que ça te déstabilise. Au pire, tu lâches un rire une fois dehors.
Romainà franceinfo
Encore une anecdote qu'il partagera avec ses collègues quand il rentrera à l’entrepôt. Ce n'est pas pour tout de suite. Ce mardi 19 décembre, il a 98 colis à livrer dans le centre-ville d'Auxerre (Yonne). Le tout en moins de trois heures.
Deux fois plus de colis que d'habitude
Car c'est la journée la plus chargée de l’année pour l'entreprise ACL Transports qui l'emploie. "A Noël, c'est de la folie, s'emporte le patron, Romain Carrier. Il faut aller encore plus vite que d'habitude. La plupart des colis sont des cadeaux qui seront dimanche soir au pied du sapin." Exceptionnellement, la flotte de fourgons a été agrandie. On est passé de quatre à six. Un par secteur : la rive-droite, la zone commerciale, le centre-ville... "Tout a été étudié pour qu'on soit le plus efficace possible, explique le chef d'entreprise. Le pire en ce moment, ce serait de passer deux fois au même endroit."
Dans l'entrepôt de 450 m2, le ballet des camionnettes blanches ne s'arrête donc jamais. Charger, décharger, recharger. Au total, ce jour-là, il y a 496 colis à livrer dans la ville et ses alentours. C’est deux fois plus que d’habitude. Sur les cartons, pas encore emballés dans du papier-cadeau, on trouve beaucoup de produits Amazon, Décathlon, Cdiscount... Franceinfo est en mesure de vous annoncer en exclusivité qu'un habitant d’Auxerre recevra une imprimante à Noël, un autre des chaussures de randonnée, un autre un aspirateur, un autre une cafetière… Et même des pneus de voiture : "Mais qui offre ça à Noël ?", s'amuse le patron. N'empêche que ça fait de la valeur, "plusieurs dizaines de milliers d’euros". D'où les caméras de vidéosurveillance...
281 kg de cadeaux dans la hotte
Parce que "c'est plus pratique pour se faufiler dans les petites rues", Romain, le livreur, sillonne le centre-ville d'Auxerre dans une camionnette électrique. Avec 281 kg de marchandise, le coffre est rempli à ras bord. Dans ses poches, le scanner pour "biper" les colis et un badge magique qui ouvre (presque) tous les immeubles du secteur. Pas besoin de GPS, il connaît toutes les rues par cœur, "peut-être même mieux que monsieur le maire si ça se trouve", plaisante-t-il. La place Charles Surugue ? "Facile, c'est à l'angle de la rue Clémenceau et de la rue de la Draperie." Exact.
9h55 au tableau de bord, quinze minutes après le début de la tournée. Ça ne s’invente pas, nous voilà rue Marie Noël. Mais Romain n'a pas envie de rire. Au numéro 4, madame Montreuil est absente. Il laisse un avis de passage et reviendra. 10h01, coup de fil d’un collègue : "Fais gaffe, les quais sont fermés." Effectivement, on tombe nez à nez avec un panneau "route barrée". Premier juron. Puis demi-tour. 10h04, aïe, rebelote, ralentissement à l’entrée de la ville. Ambiance pare-chocs contre pare-chocs. Deuxième juron.
Je suis tout le temps en train de regarder la montre. C’est comme un chrono qui ne s’arrête pas. Si je prends du retard dès le début, je vais avoir du mal à le rattraper.
Romainà franceinfo
Maudits quais
10h27, rue du Temple. Troisième juron. La place de livraison est prise… par une voiture qui n’a rien à faire ici. Romain se retient de klaxonner, question d'image, mais n'en pense pas moins. "Quand je commence à m'agacer, je respire un bon coup, puis je réfléchis à une solution." Là, ce sera deux roues sur le trottoir, et deux sur la chaussée. Un passant ronchonne car il doit se faufiler entre le camion et le mur. Un petit "Joyeux Noël monsieur !" suffit pour calmer le jeu.
Plus loin, Romain s'autorise une rue en sens interdit sur une trentaine de mètres. On lui fait remarquer. "Ce n’est pas bien, je le sais. Mais là, j’ai gagné trois minutes. Sinon, il faut refaire tout le tour." Il lui est déjà arrivé de "passer des feux très, très orangés" mais "on évite au maximum". Ça bloque encore rue du Temple, la faute à un camion-benne. Petit geste de la main pour que le chauffeur bouge. Ce n'est pas loin de frotter, mais ça passe.
Plus le temps passe, plus le livreur semble accélérer la cadence. A chaque fois, le même scénario : se garer, serrer le frein à main, mettre les warnings, descendre du camion, attraper le colis, le biper, sonner, faire signer, remercier et repartir. Romain marche vite, sprinte et revient essoufflé au fourgon. "C'est extrêmement physique comme travail, surtout en ce moment. Je cours bien plus vite que le père Noël. A la fin de la journée, je suis rincé."
Depuis que je suis rentré dans la boîte il y a un an, j’ai perdu 10 kg.
Romainà franceinfo
Pas de pot, le prochain colis est à livrer au troisième étage, sans ascenseur. Vu la forme de la boîte, on dirait bien une paire de chaussures. Madame confirme : "Oui, c’est pour mon mari, mais chut !" Romain papote quelques instants, puis dévale les marches deux par deux. "Parfois, je suis la seule visite de la journée pour certains. Il faut toujours rester poli mais tu ne peux pas non plus rester trois plombes à discuter." D'ailleurs, coup d’œil à sa montre : "On a toujours un peu de retard", la faute à ces fichus quais qui sont fermés.
11 heures. La fatigue monte, on est en pilote automatique. On continue de se faufiler dans le trafic, entre les voitures, les scooters et les piétons distraits, la pollution et les klaxons. Nous voilà rue Française, chez Monique, toute contente d’avoir enfin reçu les deux cadeaux pour sa fille et son garçon. Sans attendre, on file rue de Paris. On cherche le numéro 47. Mais impossible de mettre la main dessus. Le livreur s’agace : "C’est une blague ! Il y a le 45, le 49, mais pas le 47..." Il cherche un voisin qui pourrait l’aider. Personne. Là aussi, il devra revenir.
"On doit être capables de faire des miracles"
Romain Carrier insiste : "On ne peut pas faire comme si Noël était une période comme les autres." Même s’ils sont pressés, lui demande à ses "gars" de "jouer le jeu de Noël." Il met en garde ses chauffeurs sur les mots à employer "pour ne pas casser la magie". Le risque ? "Qu'on déconne, et qu'un enfant découvre la vérité sur le père Noël à cause de nous."
Si un enfant ouvre la porte au livreur, on cache le colis dans son dos, et on attend que papa ou maman arrive.
Romain Carrierà franceinfo
Le patron est intransigeant : "C'est tenue correcte exigée pour mes livreurs". La veste noire doit être impeccable. "Ce n’est pas un défilé de mannequins non plus, précise-t-il. Néanmoins, on a un rôle important, surtout en ce moment. Noël, c'est aussi nous, on doit être capable de faire des miracles." Comme cette fois où l'un de ses salariés a aidé une cliente à installer sa cafetière Nespresso.
Les mains sur le volant, Romain ne dit pas autre chose. "Je le vois bien sur le terrain, j'ai l'impression d'être celui qui apporte la bonne nouvelle." D'ailleurs, il remarque que les clients ont "plus" le sourire. Au point que certains donnent un petit pourboire. Mais ce n’est pas toujours le cas. "D'autres nous tombent dessus parce qu’on n’a pas leur colis. Mais souvent, l’erreur vient de plus haut, du site où ils ont passé commande."
Certains clients ne veulent rien savoir. Alors tu manges, et tu te tais.
Romainà franceinfo
Midi sonne, la dernière ligne droite. Il faut repasser chez les clients absents. Encore trois colis. Puis deux, puis un. C'est fait, mission accomplie pour Romain, les 98 colis du matin ont été livrés. Retour à l’entrepôt, tape amicale du patron qui a commandé des pizzas. Le compteur du fourgon affiche 16 km.
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