Traditionnelles, personnalisables, artistiques : les cartes postales n'ont pas dit leur dernier mot
Les cartes postales existent en France depuis le milieu du XIXe siècle. La classique photo de plage est en perte de vitesse, mais l'objet mythique se perpétue en prenant de nouvelles formes, plus surprenantes.
Un chaton dans un panier rose, un message "Gros bisous" et au dos de la carte, un rébus. Maxime, 23 ans, a reçu une quarantaine de cartes comme celle-là de la part de son ami Valentin. Entre eux, c’est un rituel, une manière de penser l’un à l’autre en dehors des réseaux sociaux. "Valentin a pris l’habitude de m’en envoyer quand il arrivait dans un nouvel endroit. On redécouvre le cachet sympa de la carte postale et je n’étais pas forcément toujours au courant de là où il partait, donc c’était la surprise", s’amuse-t-il.
Que ce soit un petit plaisir de vacances ou un rituel de famille, la carte postale touristique fait partie du paysage des vacances de nombreux Français. Près de 200 millions de cartes sont envoyées chaque année, selon les derniers chiffres publiés par l'Union professionnelle de la carte postale en 2015. Et chaque Français envoie, en moyenne, sept cartes postales par an.
Mais la carte postale, née à la fin du XIXe siècle en France, s'est transformée au fil du temps dans la forme et dans ses usages.
"L'emblème de la 'slow communication'"
Pour beaucoup, cela représente un souvenir d’enfance : celui des parents qui obligent à poser une petite signature sur la carte à envoyer à la famille. "J'ai pris l'habitude depuis mon voyage en classe de neige en CM2, il y a plus de vingt ans d'envoyer des cartes postales à ma famille et à mes amis lorsque je suis en vacances ou dans un lieu plus insolite pour le travail", confie Etienne Dumont qui a répondu à un appel à témoignages sur franceinfo.fr.
A l’heure où il est possible de se donner des nouvelles en quelques secondes, du bout des doigts sur les réseaux sociaux ou par SMS, la carte postale est "l'emblème de la 'slow communication'" [communication lente], écrit Nicolas Hossard, historien et sociologue dans Recto-verso : Les faces cachées de la carte postale (Arcadia, 2005).
Sans tomber dans la nostalgie, écrire une carte postale, plutôt qu'un SMS, c'est presque une démarche de rupture (...). L'utiliser, c'est quasiment être militant, en revendiquant une certaine lenteur.
Nicolas Hossard,
historien et sociologue"Recto-verso : Les faces cachées de la carte postale"
Envoyer une carte postale, cela prend du temps. "Sept secondes suffisent pour envoyer une photo via WhatsApp, mais la carte postale témoigne de l'effort mis en œuvre, du choix de la carte à l’écriture, jusqu'à l’envoi", confie ainsi Augustin Viot, étudiant de 24 ans. Il envoie en moyenne 40 cartes postales par an et la considère comme un "objet physique que l’on reçoit comme un cadeau".
"Cet objet du tourisme ne véhicule que des bonnes nouvelles. Il existe une poésie associée à son itinéraire, en avion, en bateau ou en train, explique Nicolas Hossard. C'est un mode ludique et normé de lien social." Car la carte postale permet de montrer à ses proches que l'on pense à eux, même lorsque l'on est à l'autre bout du monde. "On écrit de sa main quelques lignes sur notre séjour et chaque membre de la famille signe de sa main", illustre Laëtitia Gomes Gane. "La carte postale est une pratique de l’image qui affirme : 'J’ai été ici' et 'j’aimerais que tu sois là'", explique Marina Merlo, étudiante à l'université de Montréal, auteure de l'article De la carte postale au selfie : histoires de présences médiatisées.
Des ventes en baisse
Certains ont trouvé une manière de détourner l'envoi classique à la famille. "Chaque été, on prend quelqu’un au hasard dans les pages blanches et on lui envoie une carte postale signée de nos prénoms", confie Rémi Chaurand, auteur jeunesse et père de deux enfants de 17 et 19 ans. Nom de village à la sonorité cocasse, simple inspiration en fonction des prénoms de ses enfants, ou encore endroits où ils n’iront jamais… Le choix est large et chaque été, ils s’amusent à perpétuer cette tradition. "On ne veut pas de réponse, c’est un geste gratuit, qui s’envole dans la nature. Peut-être que les personnes qui la reçoivent la déchirent, essayent de nous retrouver ou simplement s’en fichent, lâche le mystérieux expéditeur. Un jour on tombera peut-être sur une personne seule, à qui ça va faire plaisir de recevoir cette carte, quelqu’un qui en aura besoin."
Il existe même un site portugais, Postcrossing, qui permet d’envoyer et de recevoir des cartes postales du monde entier de la part d’inconnus. Le principe est simple : "Il s’agit de 'piocher' une adresse dans le monde, envoyer une carte à un inconnu, un code ID lui est attribué, lorsque la carte est arrivée à destination, elle est encodée par son destinataire grâce à ce code et ce dernier en recevra une … de quelqu’un d’autre, d’ailleurs dans le monde, proche pays ou pas", explique Annie Dufour qui a déjà reçu 620 cartes via ce système, très loin d’une de ses amies qui a atteint 3 800 cartes. Le site compte près de 800 000 membres à travers le monde. Et le concept va encore plus loin : des rendez-vous sont organisés, où les adeptes se retrouvent autour d’un dîner. L’année dernière, ils s’étaient réunis à Bruxelles et le prochain rendez-vous se tiendra en octobre, à Paris, à l’occasion des 150 ans de la carte postale.
Malgré ces initiatives originales, le marché des cartes postales et des cartes de vœux est en légère baisse depuis quatre ans en France, les ventes représentant 387 millions d’euros en 2015, contre 365 millions d’euros en 2018, soit une baisse de 3%, selon l'Union professionnelle de la Carte postale. "Le marché de la carte postale représente près de 25% de notre chiffre d'affaires. Mes distributeurs me disent que la carte postale est gentiment en perte de vitesse", assure Jacques Froidevaux, de la maison d'édition Plonk et Replonk.
Nouveau mot d'ordre : la personnalisation
Certains ne se retrouvent plus dans les cartes postales traditionnelles. Lassés des clichés de plage et des animaux mignons dans des paniers, certains optent pour la personnalisation de leur carte postale. Comme Maureen et Yannélic : ce couple fabrique ses cartes postales sur ordinateur. A chaque destination, ils imaginent une mise en scène pour montrer à leurs proches leur lieu de vacances d’une façon plutôt singulière. A l'été 2017, par exemple, ils ont chacun attaché un bandeau blanc sur leur tête pour ressembler à la tête de Maure, le symbole présent sur le drapeau corse. Après s’être pris en photos, ils font un montage grâce à un logiciel, et le résultat final est là.
Cet été, en vacances en Hongrie, ils ont décidé d’aller encore plus loin. Ils ont proposé à leurs amis une carte postale… à gratter, pour gagner un pot de miel.
Une personnalisation qui plaît. Certains acteurs dans le secteur l’ont bien compris et surfent sur cette tendance. A commencer par La Poste qui a lancé, en 2018, Youpix, une application clé en main. Elle propose de choisir une carte postale et de rentrer l’adresse du destinataire. La Poste s’occupe ensuite de l’imprimer et de l’envoyer à la personne en question. "J’étais impressionnée du niveau de personnalisation : choix de la couleur du fond de la carte, photos, champs pour préciser l’endroit d’où l’on envoie la carte, faux timbre qui peut être aussi une version miniature d’une photo", explique Alizée Baudez, qui se définit comme "nomade digitale". La conception de la carte est aussi plus rapide : "J’ai envoyé une carte postale hier, de mon canapé, devant Netflix, ça m’a pris 5 minutes", explique Alizée Baudez.
D’autres applications ont investi le marché comme Fizzer, qui affirme avoir envoyé 1,6 million de cartes dans le monde en 2018. Ou encore Postmii qui propose des cartes postales personnalisées directement sur les lieux de vacances. La start-up installe des triporteurs dans des endroits touristiques et permet aux vacanciers de prendre une photo, de l’imprimer et d’écrire un petit message.
Des cartes postales inspirées par Instagram
Par ailleurs, l'enjeu pour les éditeurs est de s’adapter aux tendances. "On surveille, on a une veille concernant les photographes avec qui on ne travaille pas forcément et qui publient sur les réseaux sociaux, explique Sébastien Rodier un des dirigeants de la maison d’édition et imprimerie Art Jack à franceinfo. On cherche ce petit côté qui est familier à ce que les gens retrouvent sur leurs téléphones, c'est là-dessus que l'on mise", confie-t-il.
L'accent est également mis sur la "belle carte" qui peut coûter 1 à 1,50 euro. "Sur cette carte on travaille sur la lumière, l'ambiance, le cadrage, il y n'y a pas de personnages dessus, on se rapproche de la carte artistique", explique Sébastien Rodier. Une catégorie de carte sur laquelle ils essayent de se développer. Une sorte d'adaptation de ce que l'on peut poster sur les réseaux sociaux, mais sur du carton pour perpétuer la tradition.
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