Pneumologue et médecin-conseil de Total... La double casquette du professeur Michel Aubier devant la justice
Michel Aubier, pneumologue réputé, ancien chef de service à l'hôpital Bichat de Paris, comparaît mercredi pour "témoignage mensonger". Le spécialiste, qui avait été entendu par une commission sénatoriale qui s'intéressait au coût de la pollution de l'air, avait oublié de mentionner au Sénat ses rapports étroits avec le pétrolier Total.
Il l'avait juré. Devant un parterre de sénateurs, membres de la Commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, le professeur Michel Aubier avait promis de "dire toute la vérité, rien que la vérité". Juste après avoir prêté serment devant les parlementaires, ce pneumologue réputé, représentant de l'AP-HP ce jeudi 16 avril 2015, l'avait assuré : il n'a "aucun lien d'intérêt avec les acteurs économiques". Aucun, vraiment ? Le médecin comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris, mercredi 14 juin, accusé d'avoir passé sous silence ses liens avec l'industrie pétrolière.
En réalité, au moment où il s'exprime devant les sénateurs, Michel Aubier oublie de préciser qu'il travaille pour Total depuis de longues années. La multinationale pétrolière le salariait depuis 1997 en tant que "médecin-conseil de la direction générale", en plus de son siège au conseil d’administration de la Fondation Total, qu'il occupe depuis 2007 selon Le Monde. Une collaboration juteuse pour le pneumologue, qui a perçu jusqu'à 171 504 euros du groupe pétrolier en 2014, selon les informations du quotidien.
Les effets du diesel minimisés dans les médias
En parallèle de ces activités, Michel Aubier a longtemps été un habitué des médias. Sur de nombreux plateaux, il relativisait les effets des particules fines émises par les moteurs diesel, à rebours de nombreuses études médicales. "Aucun risque n'est à craindre pour les personnes bien portantes", assurait-il en mars 2014 sur RTL à l’occasion d’un pic de pollution. Il encourageait même ces dernières à "sortir faire du sport". Deux ans plus tard, dans "Allô docteurs" sur France 5, il renchérit. "La pollution atmosphérique peut-elle être cancérogène ?", interroge l'émission. "Elle peut être cancérogène", répond le professeur, avant de relativiser.
Pour le moment, ce qui a juste été démontré, c’est essentiellement des cancers lors d’expositions assez fortes, c’est-à-dire professionnelles. En ce qui concerne les expositions 'naturelles', c’est beaucoup plus discuté. Il semble que ce soit en tout cas un facteur favorisant chez les sujets qui ont déjà des prédispositions à développer les cancers, c’est-à-dire les fumeurs.
Michel Aubier, pneumologuesur France 5, en 2016
Pour Thomas Bourdrel, radiologue et membre du Réseau environnement santé, c'est l'intervention de trop. Quelques jours plus tard, il signe un communiqué avec d'autres médecins pour réclamer "un rectificatif". "Nous ne savions pas [à l'époque] qu’il travaillait pour Total, explique-t-il à franceinfo. Ses propos nous ont choqués. Les étudiants en chimie apprennent dès la première année que le gaz et les particules émises par le diesel sont cancérigènes, ce que reconnaît l’Organisation mondiale de la santé."
"Pour moi, il n'y avait aucun conflit d'intérêts"
Interrogé par Libération en 2016, Michel Aubier assume son discours et assure être de bonne foi. "Je tiens le même discours depuis que j’ai commencé à travailler sur la pollution de l’air en 1995, affirme-t-il. J’ai toujours dit qu’elle avait des effets sur la santé, mais qu’en ce qui concerne le cancer des poumons, le sujet reste débattu."
Oui, le diesel est cancérigène, mais si risque il y a, il n’est pas encore totalement démontré. Les éléments scientifiques sont beaucoup moins solides que pour l’asthme et les maladies cardio-vasculaires.
Michel Aubier, pneumologueà "Libération", en 2016
Pourquoi n'avoir jamais fait état de ses liens avec l'industrie pétrolière ? Ni lors de ses multiples apparitions médiatiques, ni lors de son témoignage devant le Sénat. Michel Aubier confesse avoir été "un peu léger en ne le disant pas au Sénat". Mais il assure ne l'avoir "jamais cachée" : "Mon activité chez Total est connue de nombreuses personnes", a affirmé Michel Aubier devant les enquêteurs en décembre, rapporte Le Monde.
A Libération, il assurait que son activité de médecin-conseil ne porte que sur "des problèmes sanitaires". "Je suis, sur le plan santé, les 200 dirigeants du groupe, détaillait-il. Quand ils ont par exemple de l’asthme sévère ou un infarctus, je les oriente dans un service hospitalier." Et de poursuivre : "Pour moi, il n'y avait aucun conflit d’intérêts, car au sein de ce groupe, j’ai des fonctions de médecin du travail, avec un statut d’indépendance professionnelle complet", a-t-il affirmé aux enquêteurs selon Le Monde.
Ces activités n’influencent absolument pas mon jugement sur la pollution de l’air et le diesel. Jamais, au grand jamais, Total ne m’a demandé de le faire, ce n’est pas du tout mon rôle et je ne l’aurais pas accepté.
Michel Aubierà "Libération", en 2016
Une pratique courante dans la profession
Martin Hirsch, actuel directeur général de l'AP-HP, qui lui avait demandé d'intervenir en son nom au Sénat, assure n'avoir pas eu connaissance de la double casquette du professeur. "Ce n’était pas une audition sensible et j’avais demandé à ce pneumologue reconnu et respecté de me remplacer, explique-t-il à franceinfo. Il présidait la communauté des médecins de son hôpital et je le connaissais bien. Il était légitime pour évoquer ce sujet. Je pensais qu’en gérant un aussi grand service, il pouvait raconter qu'il voyait arriver davantage de pathologies liées à la pollution de l’air." Jean-François Husson, président de la Commission sénatoriale sur le coût de la qualité de l'air, n'avait, lui aussi, aucun doute sur la qualité de l'intervenant.
On fait prêter serment nos intervenant toujours de la même façon. On ne va pas gratter les activités des uns et des autres. Je ne savais pas et je ne voulais pas savoir ce qu’il faisait à côté.
Jean-François Husson, sénateur Les Républicainsà franceinfo
Le cas de Michel Aubier a en tout cas amené Martin Hirsch à resserrer la vis au sein de l'AP-HP, en rappelant la règle : un cumul d'activités doit être autorisé par l'institution. Un aval dont le pneumologue réputé aurait bénéficié de la part de Anne-Marie Armanteras-de Saxcé, ancienne directrice de l'hôpital Bichat, selon Le Monde. Dans un courrier cité par le journal, cette dernière assure que Michel Aubier n'était pas le premier à travailler pour Total : il prenait la suite du "professeur Henri Mathieu, alors président du comité consultatif médical de l’hôpital Robert-Debré". Martin Hirsch en convient, de telles doubles casquettes sont "courantes" dans la profession.
Thomas Bourdrel ne réclame pas l'interdiction de telles pratiques, juste qu'elles soient connues du grand public. "Ce n’est pas incompatible, mais il faut que ce soit déclaré et su, explique-t-il. Les gens sont davantage alertés quand ils savent que vous êtes payés par des industriels." Jugé pour "témoignage mensonger", Michel Aubier risque jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
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