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Blocages des dépôts pétroliers : faut-il craindre des pénuries d'essence à la pompe ?

Les professionnels du BTP bloquent des dépôts pétroliers pour protester contre la fin de l'exonération de taxe dont ils bénéficient sur le gazole non routier. Franceinfo fait le point sur leur revendication et leur mobilisation.

Article rédigé par Kocila Makdeche, Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des professionnels du BTP bloquent un dépôt pétrolier à Lorient, le 29 novembre 2019. (MAUD DUPUY / HANS LUCAS / AFP)

En plus des perturbations provoquées par la grève du 5 décembre, faut-il craindre une pénurie de carburant ? C'est le risque que font planer les professionnels du BTP. Ces artisans et entrepreneurs bloquent depuis le 29 novembre des dépôts pétroliers pour protester contre la fin de l'exonération de taxe dont il bénéficie sur le gazole non routier utilisé pour les appareils de chantier. Mercredi 3 décembre, les gendarmes sont intervenus pour libérer l'accès à un dépôt à Rennes (Ille-et-Vilaine).

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La veille, les manifestants ont été reçus par Bruno Le Maire. Ils ont obtenu du ministre de l'Economie quelques avancées, mais Bercy leur a refusé un nouveau délai concernant la suppression de l'avantage fiscal pour le gazole non routier (GNR). Que réclament les professionnels du BTP ? Où se trouvent les stations-service fermées ? La pénurie risque-t-elle de perdurer jusqu'au 5 décembre ? Franceinfo fait le point.

Pourquoi les professionnels du BTP bloquent les dépôts pétroliers ?

Depuis le 29 avril, des professionnels du BTP bloquent des dépôts pétroliers avec leurs camions et leurs tracteurs, principalement dans l'ouest de la France. C'est en Bretagne que le mouvement est le plus conséquent, autour de Rennes notamment, où de nombreuses stations-service ne sont pas approvisionnées et sont donc fermées.

>> CARTE. Quelles sont les stations touchées par la pénurie d'essence ?

Les professionnels du BTP protestent contre la suppression d'un avantage fiscal dont ils bénéficiaient jusque-là : l'exonération de taxe sur le gazole non routier. Ce carburant, moins cher que celui que l'on trouve en station-service, est utilisé dans le secteur agricole et dans les travaux publics pour faire fonctionner les engins de chantier.

Dès septembre, la ministre de la Transition écologique et des Transports, Elisabeth Borne, avait dit la volonté du gouvernement de supprimer cette exonération de taxe pour les professionnels du BTP. Pour ces derniers, cette décision représenterait une hausse de 45% du prix au litre et donc une baisse de leur marge. De quoi pénaliser, selon eux, les plus petites entreprises du bâtiment au détriment des géants du secteur. "Cette augmentation va représenter jusqu'à 10% du chiffre d'affaire des entrepreneurs, c'est-à-dire plus que leur marge", explique à franceinfo David Lemaire, secrétaire nationale de la Chambre nationale des artisans des travaux publics et du paysage (CNATP).

Concrètement, cela veut dire que de nombreuses entreprises ne seront plus viables.

David Lemaire

à franceinfo

Que répond le gouvernement ? 

A l'approche de la grève du 5 décembre, lors de laquelle d'importantes perturbations sont attendues sur le réseau ferroviaire et dans les régies de transports de grandes villes de France, les professionnels du BTP souhaitent mettre la pression sur le gouvernement. Ils réclamaient d'être reçus par le Premier ministre, mais ont finalement décroché lundi un rendez-vous à Bercy avec Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie.

A l'issue de cette réunion, la présidente de la Chambre nationale des artisans des travaux publics et du paysage (CNATP), Françoise Despret, s'est félicitée de certaines avancées : "Nous avons obtenu un contrôle renforcé confié à la gendarmerie, un carburant spécifique avec une coloration pour le BTP, une liste des engins qui ne pourront employer que ce carburant." "Cette coloration spécifique permettra d'éviter le vol", tandis que la liste d'engins qui seront dans l'obligation d'utiliser le dit carburant "nous évitera la concurrence déloyale" provenant surtout d'agriculteurs, a-t-elle ajouté.

En revanche, Bercy n'a rien cédé sur leur demande de nouveau délai concernant la suppression de l'avantage fiscal pour le gazole non routier. Les entreprises réclamaient un délai de 10 ans pour pouvoir se tourner vers des engins de chantier plus propres. Mais le gouvernement tient à son calendrier, qui prévoit une disparition progressive de l'avantage fiscal sur le gazole non routier en trois paliers à partir du 1er juillet prochain et jusqu'en 2022.

"C'est vraiment une ligne rouge", indique-t-on à Bercy où on met en avant la nécessité de lutter contre les émissions polluantes. De plus, "on ne peut pas dissocier une entrée en vigueur pour les grandes et les petites entreprises. C'est juridiquement risqué. Par ailleurs, c'est très compliqué à mettre en œuvre", a précisé à l'AFP l'entourage du ministre de l'Economie.

Quelles stations-service sont à sec ?

Le mouvement de blocage a atteint son apogée, juste avant la réunion avec le ministre, avec de nombreuses stations-service à sec. Le 3 décembre, au matin, la pénurie de carburant était surtout en cours en Bretagne et plus ponctuellement dans la région Pays de la Loire, d'après la carte du site participatif Penurie.mon-essence.fr

Dans le détail, voici les départements où ont lieu les principales perturbations qui pourraient se faire ressentir à la pompes : 

En Loire-Atlantique, les artisans du BTP tentent toujours de bloquer la raffinerie de Donges. Depuis lundi, une vingtaine de camions et d'engins de chantier ralentissent les entrées et sorties des camions-citernes. Ils restent toutefois trop peu nombreux pour empêcher les camions-citernes de faire le plein. La psychose s'est quand même emparée des automobilistes qui se ruent sur les pompes, provoquant des pénuries.

• En Charente-Maritime, le dépôt pétrolier de La Pallice à La Rochelle est de nouveau bloqué, après une levée du mouvement le week-end dernier. 

• Dans le Finistère, le préfet a décidé de réserver 11 stations-service (à Brest, Quimper, Morlaix et Châteaulin) aux véhicules d'urgence, de secours et soins aux personnes et aux transports funéraires. Elles ne sont donc pas accessibles au public. Cette décision intervient après un blocage de trois jours qui a mis à sec plusieurs stations dans le département, le week-end dernier. 

• En Ille-et-Vilaine, des stations-service sont aussi fermées, notamment à Rennes et dans son agglomération. Il s'agit des stations de Rennes-Cleunay, tout comme à Chartres-de-Bretagne et Noyal-Châtillon-sur-Seiche. Le dépôt pétrolier de Vern-sur-Seiche a été débloqué mardi matin par les gendarmes.  

• En Mayenne, plusieurs stations sont fermées par l'effet conjugué du manque d'approvisionnement et la ruée des automobilistes vers les pompes. Les cuves sont par exemple entièrement vides au Super U de L'Huisserie, près de Laval, au Carrefour Market de Changé et au Leclerc de Saint-Berthevin. Au moins trois autres stations indiquent être fermées par précaution.

• Dans la Sarthe, 15% des stations-service sont en rupture totale ou partielle de carburant, selon le Conseil national des professions de l'automobile.

Existe-t-il un risque de contagion ? 

Si les représentants du BTP ont obtenu lundi des avancées de la part du ministère, ils n'en ont pas eu sur leur revendication principale : repousser la fin de la défiscalisation du gazole non-routier. "Malgré notre déception sur les délais que nous réclamions, nous avons émis un avis plutôt favorable à la levée du mouvement au niveau national, explique David Lemaire, secrétaire national de la CNATP. Mais cela ne veut rien dire, car nous sommes une confédération. Tous les départements vont prendre leur propre décision."

Sur le terrain, la trentaine de patrons du BTP qui bloquent le dépôt pétrolier de Brest (Finistère) se sont donné pour mot d'ordre lundi soir de "ne rien lâcher", rapporte France Bleu Breizh Izel. A Vern-sur-Seiche, près de Rennes (Ille-et-Vilaine), les gendarmes sont intervenus, mardi à l'aube, pour libérer les accès au dépôt pétrolier et assurer l'approvisionnement des stations-service, a annoncé la préfecture. Deux personnes ont été placées en garde à vue. A Troyes (Aube), les professionnels du BTP ont prévu d'organiser une opération escargot sur la rocade. 

Pour l'instant, difficile de prévoir la suite du mouvement. Des blocages de dépôts étaient prévus, mercredi, dans de nouveaux départements en Occitanie et en Ile-de-France. "Pour le moment, ils ont été mis en suspens, mais les entrepreneurs sur le terrain sont toujours en colère, explique David Lemaire à franceinfo. Nous n'avons pas l'habitude de descendre dans la rue et de bloquer les gens ainsi. Si on le fait, c'est vraiment que ça ne va pas."

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