La Banque centrale européenne prend des mesures exceptionnelles pour relancer la croissance
La zone euro va vivre une révolution de sa politique monétaire. La BCE annonce un programme de rachats d'actifs de 60 milliards d'euros par mois. Résultats attendus : une baisse de la valeur de l'euro, qui doit permettre de relancer les exportations, donc la croissance, et in fine, de lutter contre le chômage. Explications.
"Une révolution", un "évènement", "du jamais-vu". Jeudi 22 janvier, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé des mesures exceptionnelles. En présentant un programme de rachats d'actifs de 60 milliards d'euros par mois à partir de mars 2015, l'institution "franchit le Rubicon", s'enflamme la presse économique. La BCE a recours pour la première fois à un levier particulier de la politique monétaire : le quantitative easing. Le quoi ? Francetv info vous explique de quoi il s'agit.
Le "quantitative easing", qu'est-ce que c'est ?
En français, on parle "d'assouplissement quantitatif." Si vous n'êtes pas un crack en économie, vous n'êtes pas plus avancé. Pas de panique. Si vous préférez, parlons d'une "mesure exceptionnelle" prise par l'institution monétaire européenne.
D'habitude, la BCE se contente "de fixer les taux d’intérêt, en fonction notamment de l’objectif de stabilité des prix", explique le portail Vie publique. Agir sur cette variable lui permet d'agir sur le crédit (plus les taux sont bas, plus il est facile d'emprunter pour les entreprises) et sur le niveau des prix.
Mais parfois, cela ne suffit plus : le taux de la BCE étant aujourd'hui au plus bas, l'institution est à cours de munition. En situation de crise, la Réserve fédérale américaine a ainsi eu plusieurs fois recours aux fameuses mesures "non conventionnelles". Autrement dit, le quantitative easing. "QE" pour les intimes. Concrètement, il s'agit de racheter massivement de la dette, notamment publique, pour réinjecter de l'argent frais dans l'économie. C'est la version moderne de ce que l'on appelait "faire marcher la planche à billets", lorsque les Etats faisaient tout bonnement fabriquer de la monnaie lorsque le besoin de liquidités se faisait sentir.
Concrètement, quelles mesures ont été annoncées ?
Concrètement, le président de la BCE, Mario Draghi, a annoncé une politique de rachats massifs d'actifs par l'établissement. Massif, cela veut dire que la BCE va racheter jusqu'à 60 milliards d'euros de dette publique et privée par mois entre mars 2015 et septembre 2016. Cela s'appelle faire tourner la planche à billets.
Là, normalement, vous imaginez des usines à billets tournant à plein régime, crachant des euros par milliers. Mais la méthode est aujourd'hui un peu différente. En l'occurrence, il s'agit plutôt d'effectuer un tour de passe-passe comptable, explique notamment L'Expansion. "En premier lieu, la Banque centrale 'crée' de la monnaie en portant une ligne de crédit sur ses livres de comptes. Elle s'en sert ensuite pour racheter des titres de créances souverains (de la dette publique) détenus par les institutions financières que sont les banques, les compagnies d'assurance ou les fonds privés. Pour ces institutions, les créances sont donc converties en argent frais." Qui pourra à son tour être prêté à des particuliers ou à des entreprises. Du passe-passe, on a dit.
A quoi cela va servir ?
Pour faire simple : à faire baisser la valeur de l'euro, à inciter les banques à prêter grâce à cette manne d'argent tombé du ciel, et à relancer l'économie en relançant la croissance. Parce qu'avec notre croissance au point mort, ni les consommateurs ni les entreprises ne se lancent dans des crédits et le cercle vicieux de la déflation nous menace.
Ce phénomène de baisse des prix, particulièrement redouté, entraîne en effet de nombreux effets pervers. "La baisse des prix signifie que les revenus des vendeurs [notamment des entreprises] se compriment, ce qui exerce une pression à la baisse sur les salaires", explique notre blog Classe Eco. "D'autres effets viennent se cumuler. En période de baisse des prix, le meilleur moment pour acheter un bien durable est 'plus tard', puisque son prix va baisser ; cela comprime encore plus la demande qui s'exerce sur les entreprises. Par ailleurs, même si les salaires et les coûts suivent la baisse des prix, la charge des dettes, elle, reste inchangée. Le poids du remboursement de la dette dans les revenus s'élève pour les ménages, les entreprises et les gouvernements, conduisant à des faillites et des insolvabilités, ce qui a encore plus d'effet négatif sur l'activité économique."
D'où le recours à cette mesure exceptionnelle. "En mettant beaucoup de liquidités sur le marché, la valeur de la devise se dévalue", expliquent Les Echos. Et si l'euro baisse, "cela doit permettre d’augmenter la compétitivité de l’industrie européenne et aider à ses exportations", poursuit le quotidien économique. Donc, au bout de la chaîne, à lutter contre le chômage. Pour Christopher Dembik, économiste chez Saxo banque, interrogé par 20 Minutes, ce QE doit aussi faire passer le message suivant aux consommateurs et aux entreprises : "Il faut emprunter parce que l’avenir sera positif, parce que les taux vont rester bas longtemps."
On est sûr que ça marche, au moins ?
C'est un peu un pari et les économistes sont divisés sur la pertinence de ces mesures. Le mieux est de regarder ce qu'il s'est passé dans les pays qui ont eu recours au quantitative easing, comme le Japon, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Pour l'économiste allemand Michael Heise, chef des études économiques chez Allianz SE cité par BFM Business, le QE "n'a, par exemple, absolument pas porté ses fruits au Japon".
Après trois vagues de QE successifs, entre 2008 et 2012, les taux d’intérêt ont baissé à long terme aux Etats-Unis, le marché de l'immobilier a été soutenu, tout comme le crédit et l’emploi, résumait Le Monde.fr en octobre. Problème : comme il s'agit d'une mesure provisoire, quand la situation se normalise, les marchés sont susceptibles de paniquer. Ce n'est donc pas une recette miracle.
Que craignent ses détracteurs ?
Enfin, les détracteurs de la mesure, comme l'Allemagne, craignent que cet assouplissement monétaire ne s'accompagne d'un relâchement des efforts de réforme des Européens. Le gouvernement allemand s'est finalement résigné au QE au nom de l'indépendance de la Banque centrale européenne (BCE), mais il n'en a pas moins quelques exigences à faire valoir : par exemple, la Bundesbank (la Banque fédérale d'Allemagne) pourrait s'accommoder de cette politique de rachats d'actifs à condition qu'ils soient directement effectués par les banques centrales nationales. Cela permettrait d'éviter une mutualisation des éventuelles pertes au niveau de la BCE. A l'inverse, une source au ministère des Finances italien, cité par le Financial Times, a dit craindre qu'un QE ainsi fragmenté "ne soit ni efficace, ni cohérent dans une Europe unifiée".
Quid des pays les plus instables ? Pour échapper aux incertitudes liées aux élections en Grèce, où la gauche radicale anti-austérité est donnée favorite, le programme pourrait être façonné de sorte à exclure les obligations grecques, selon Clemente De Luca, de BNP Paribas.
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