"On travaille à l'euro près" : le casse-tête des maires face aux économies imposées par le gouvernement

Les élus locaux, qui s'inquiètent des conséquences des efforts budgétaires sur la vie de leurs communes, prévoient de manifester mardi lors de l'ouverture du Congrès des maires de France à Paris.
Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
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Des maires de l'agglomération toulousaine lors d'une manifestation contre les coupes budgétaires, le 7 novembre 2024, devant la préfecture d'Occitanie à Toulouse. (PAT BATARD / AFP)

La police municipale est-elle aussi importante que les crèches ou les écoles ? C'est à cette impossible question que le maire de Talence (Gironde) tente de répondre. En raison des économies imposées par le gouvernement aux collectivités locales, Emmanuel Sallaberry va devoir trouver 2 millions d'euros d'économies pour construire son budget 2025. Soit l'équivalent du montant annuel consacré à la police municipale ou aux cantines de sa ville. Mais pour cet élu centriste, impossible de se priver de ses policiers municipaux et encore moins de couper dans les dépenses scolaires.

"Je ne sais pas où trouver de telles sommes en si peu de temps."

Emmanuel Sallaberry, maire de Talence

à franceinfo

Comme nombre de ses collègues, le maire de cette commune de 45 000 habitants située en périphérie de Bordeaux se mobilisera, mardi 19 novembre, lors de l'ouverture du Congrès des maires de France à Paris. "Folie""cure d'austérité jamais vue"... Emmanuel Sallaberry n'a pas de mots assez forts pour dire sa colère face aux économies – estimées à 5 milliards d'euros par l'Etat – exigées par le gouvernement sur le fonctionnement des 450 plus grandes collectivités locales. Une décision qu'il juge "injuste".

Projets reportés et embauches gelées

En attendant l'adoption du prochain budget, qui devrait "probablement" se faire par un 49.3 selon le Premier ministre Michel Barnier, Emmanuel Sallaberry a "préparé des pistes et toutes font mal". L'élu centriste évoque un "gel des embauches" et parle de projets d'investissements qui devront être "reportés". Pour trouver de l'argent, le maire de Talence a plusieurs options : réduire ses dépenses, freiner les investissements (rénovation d'une école, travaux sur des routes...), augmenter ses recettes (hausse du prix de la piscine, augmentation des impôts locaux...) ou encore emprunter de l'argent. Et chacun a ses lignes rouges. Pour Emmanuel Sallaberry, il est hors de question de toucher à la taxe foncière, alors il étudie plutôt les moyens de freiner les dépenses de sa ville.

"Pour l'instant, on dit aux associations de ne pas engager de dépenses, mais on sait que le sport et la culture vont trinquer en premier alors qu'il y a quelques semaines encore, on parlait de l'héritage des Jeux olympiques."

Emmanuel Sallaberry, maire de Talence

à franceinfo

A l'autre bout de la France, à Verdun, dans la Meuse, Samuel Hazard refuse lui de toucher au tissu associatif. "Je peux comprendre les collègues qui n'ont pas le choix, mais je ne baisserai pas les aides et les subventions pour les associations culturelles, sportives et sociales. C'est ce qui fait le fondement de notre République et participe au bien vivre-ensemble", explique le maire socialiste et président de l'agglomération, qui reportera sûrement quelques gros projets si le gouvernement n'assouplit pas sa copie. Parmi eux : la rénovation d'une école, le revêtement d'un terrain de football ou le réaménagement d'une partie de son centre-ville. "Je vais geler tous les recrutements et il y aura des départs en retraite non renouvelés", regrette aussi Samuel Hazard, dont la ville emploie 373 fonctionnaires.

Des élus très remontés

Même cas de figure à La Rochelle, où le maire socialiste Jean-François Fountaine ne remplacera pas quelques départs à la retraite. Il a chiffré les économies à réaliser à 4,5 millions d'euros pour sa ville de 80 000 habitants et un peu moins (3,8 millions) pour l'agglomération qu'il préside. Là aussi les élus sortent la calculette. "On ne va pas arrêter les chantiers en cours, mais là où on a lancé des appels d’offres, on va reporter voire annuler des projets", assure le maire, qui ne touchera pas à l'éducation et au social. "Tout le reste va être questionné : la politique sportive et culturelle, l'environnement." Pour alerter sur les conséquences du projet de loi de finances 2025 sur sa commune, le maire a installé une grande banderole sur sa mairie. "La fin du soutien à toutes nos associations ou l'arrêt du financement de nos cantines scolaires ? Vous trouvez ça inadmissible ? Nous aussi !" est-il écrit sur la grande bâche.

D'autres élus ont opté pour des idées plus insolites. Le maire de Bron, près de Lyon, a décidé d'annuler la cérémonie des vœux 2025. "Il est important que les élus montrent l'exemple quand un effort supplémentaire est demandé à tous les Français", explique Jérémie Bréaud (Les Républicains) dans Le Progrès. Le président du conseil départemental de Haute-Marne, Nicolas Lacroix, a lui envisagé de mettre en vente certains bâtiments mis à disposition de l'Etat, rapporte Le Monde, alors que Samuel Hazard a lancé un appel général à la démission des élus locaux. Un moyen de créer un électrochoc, selon lui. "Quand on écrit au président de la République, on n'a pas de réponse. Il ne s'agit pas de démissionner seul, mais de créer un rapport de force", explique Samuel Hazard.

"Si on fait moins de travaux, qui va gueuler ? Ce sont les citoyens, et ils s'en prendront aux maires."

Samuel Hazard, maire de Verdun

à franceinfo

Le maire de Verdun souhaite plus de "décentralisation et d'autonomie" et moins de "verticalité macroniste". "Quand on doit dire non à une association qui attend depuis deux ans un financement de 30 000 euros, les gens ne sont pas contents. Et c'est pareil pour l'habitant qui attend que sa rue soit rénovée", explique de son côté Jean-François Debat, maire socialiste de Bourg-en-Bresse (Ain). Il s'apprête à augmenter l'endettement de sa ville pour absorber "le choc". Pour le reste, il "va repasser au tamis toutes les dépenses" et craint de revoir l'ambition de certains événements.

"On va faire avec des bouts de chandelle et on sera obligés d'emprunter davantage. On va moins investir, tout en étant plus endetté qu'avant."

Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse

à franceinfo

Alors que les collectivités territoriales représentent 58% des investissements publics en France selon l'Inspection générale des finances, certains maires s'inquiètent des conséquences d'un ralentissement de leurs investissements. "Il va y avoir une baisse de la commande publique", s'inquiète Samuel Hazard, alors que Jean-François Fountaine craint de nouveaux "licenciements".

La secrétaire générale de l'Association des maires de France (AMF), Murielle Fabre, regrette que le gouvernement "fasse peser sur les collectivités la mauvaise gestion" des comptes publics. "On travaille à l'euro près, et on va être sur le fil l'an prochain", s'inquiète la maire de Lampertheim (Bas-Rhin) près de Strasbourg. "Mais la difficulté va au-delà de 2025 : on arrive au bout d'un mandat extrêmement fatigant et usant où les collectivités sont de plus en plus empêchées alors que les citoyens ont besoin de concret et veulent qu'on agisse." Excédé par les coupes budgétaires, le président de l'AMF, David Lisnard (LR), a promis que le Congrès des maires risquait d'être celui "de la colère". Et que les élus pourraient être "les prochains 'gilets jaunes'".

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