Mercosur : vins, spiritueux, produits laitiers... Quelles filières agricoles pourraient profiter de l'accord de libre-échange en France ?
"Le Mercosur, c'est non !" Après des actions dans toute la France, il y a une semaine, les agriculteurs se mobilisent encore, à partir du mardi 26 novembre, contre la signature d'un traité de libre-échange entre l'Union européenne et cinq pays sud-américains (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie). Les quatre principaux syndicats français vont dans le même sens. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), les Jeunes Agriculteurs, la Confédération paysanne et la Coordination rurale dénoncent un risque de "concurrence déloyale" qui menace le secteur.
Cet accord commercial ne concerne pas que le monde agricole. Il porte aussi sur l'industrie (l'automobile, la chimie, le textile, la filière pharmaceutique). Mais dans ces pourparlers, "l'agriculture européenne sert de monnaie d'échange pour ouvrir les marchés industriels et de services en Amérique du Sud", estime Maxime Combes, économiste à l'Aitec. En outre, "les filières agricoles du Mercosur sont beaucoup plus compétitives que celles de l'UE dans l'absolu et sont donc largement gagnantes", relève le spécialiste, qui milite contre le projet au sein d'un collectif. Le Brésil et l'Argentine sont en effet de grandes puissances exportatrices, notamment de viande, de soja, de maïs et de sucre de canne. Pour autant, quelques rares filières agricoles et agroalimentaires pourraient sortir gagnantes des négociations.
Si la France compte bien une filière reine à l'export, il s'agit de celle des vins et des spiritueux. Avec ce nouvel accord de libre-échange, qui pourrait faire disparaître les droits de douane actuels de 27% avec l'Amérique du Sud, certains viticulteurs trinquent déjà. "Si les taxes sont supprimées, on pourrait multiplier nos exportations par 1,5", se félicite sur France 3 Occitanie Jacques Tranier, directeur de Vinovalie, une coopérative viticole du Sud-Ouest.
"Une opportunité de business immédiate"
Même enthousiasme en Côte-d'Or. "L'accord entre l'UE et le Mercosur simplifierait énormément la complexité douanière qui existe avec le Brésil", reconnaît sur France 3 Bourgogne Franche-Comté Cyril Meuley, responsable des exportations vers l'Amérique latine du négociant Boisset, à Nuits-Saint-Georges. Il s'agit, selon lui, d'"une opportunité de business immédiate". Elle tombe à pic, alors "qu'une inquiétude monte concernant l'arrivée des taxes Trump", renchérit Jean-Marc Lafont, président d'Inter Beaujolais, dans La Tribune. Le président élu américain menace en effet de relancer des guerres commerciales tous azimuts, notamment via une hausse vertigineuse des droits de douane.
Dans la même logique, les producteurs de cognac semblent très favorables à un accord entre l'UE et l'Amérique du Sud. "Il est important de pouvoir accéder à de nouveaux marchés", explique Tatiana Métais, déléguée générale du syndicat des Maisons de Cognac. Les accords de libre-échange comme celui avec le Mercosur "sont essentiels pour notre filière et nous y sommes donc favorables", assure-t-elle.
"En Europe, la filière viticole est très industrialisée et très compétitive", décrypte l'économiste Maxime Combes. Pour autant, "quand on dit qu'une filière gagne, ce n'est pas forcément le petit vigneron du coin qui va gagner, prévient-il. Ce sont plutôt les gros groupes et les intermédiaires qui gagnent réellement." Ces derniers préfèrent souvent rester silencieux, tant le sujet est sensible dans le monde agricole.
Interrogé à ce sujet, le Comité Champagne, qui représente les intérêts de cette filière largement exportatrice et en partie détenue par de grands groupes comme LVMH, "ne souhaite pas faire de commentaire". La réponse est similaire chez Pernod Ricard. Seule une vidéo publiée sur YouTube par l'organisation Business Europe en juillet 2023 laisse entrevoir leur position. L'accord de libre-échange avec "le Mercosur va permettre d'éliminer de nombreux droits de douane", se félicitait alors une responsable du géant des spiritueux.
Les vignerons français risquent en outre de faire face à une concurrence internationale accrue sur le marché hexagonal. En cas d'accord, les pays du Mercosur pourront, eux aussi, bénéficier de ces facilités à l'export. Bien que loin derrière la France, l'Italie ou l'Espagne, l'Argentine se classe tout de même déjà parmi les dix plus gros producteurs de vin du monde, selon l'Organisation internationale de la vigne et du vin (PDF).
Lactalis, déjà numéro 1 au Brésil
Le secteur des produits laitiers représente l'autre fleuron français qui pourrait bien se frotter les mains. En cas de signature, des dizaines de milliers de tonnes de fromages, de lait en poudre et de préparations pour nourrisson pourraient ainsi être exportées sans droits de douane. Une opportunité pour la France, qui était en 2018 le premier exportateur de produits laitiers de l'UE vers le Mercosur, selon la Commission européenne. Le beurre et les yaourts devraient voir également leurs taxes fondre. Une bonne nouvelle pour les géants français implantés sur place, comme Lactalis, numéro 1 du secteur au Brésil depuis 2019, grâce à l'acquisition d'une entreprise locale.
Mais encore plus que pour le vin, les petits producteurs de lait pourraient ne pas voir la couleur de cette nouvelle manne. "L'intérêt pour Lactalis sera surtout de pouvoir s'approvisionner sur les marchés internationaux plus facilement", explique Maxime Combes. "Le petit producteur de lait, ce n'est pas lui qui va exporter. Lui, il aspire à être collecté." Or Lactalis a récemment annoncé une réduction de ses volumes achetés en France. Dans ce contexte, la Fédération nationale des producteurs de lait, proche de la FNSEA, a demandé, en octobre, "l'arrêt total des négociations" avec le Mercosur. Et cela malgré la protection promise de nombreuses indications géographiques, comme le comté.
"La logique de cet accord, c'est de favoriser les plus compétitifs, c'est-à-dire l'agrobusiness très industrialisé", affirme Maxime Combes. Les géants français de l'agroalimentaire pourraient ainsi s'imposer sur de nouveaux marchés et gonfler leur chiffre d'affaires, sans que cela soit toujours favorable aux agriculteurs français, qui s'inquiètent de revenus toujours trop faibles. "Il faut être très gros, très compétitif ou très reconnu pour pouvoir réellement tirer son épingle du jeu, prévient l'économiste. Cela risque également de faire disparaître les moins compétitifs."
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