Colère des agriculteurs : qu'est-ce que l'"exception agricole française" évoquée par Gabriel Attal lors de sa déclaration de politique générale ?

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
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Le Premier ministre, Gabriel Attal, à la tribune de l'Assemblée nationale, pour sa déclaration de politique générale, le 30 janvier 2024. (EMMANUEL DUNAND / AFP)
Cette notion, défendue depuis longtemps par certains syndicats agricoles, est reprise à son compte par l'exécutif. Mais avec une définition qui varie sensiblement concernant les accords de libre-échange.

"Je le dis ici solennellement : il y a et il doit y avoir une exception agricole française." Sous pression du monde agricole depuis plusieurs jours, et alors que des barrages de tracteurs bloquent des accès de plusieurs grandes villes françaises, Gabriel Attal a dévoilé mardi 30 janvier de nouvelles annonces en faveur des agriculteurs lors de sa déclaration de politique générale. L'agriculture "constitue l'un des fondements de notre identité, de nos traditions", a insisté le Premier ministre à la tribune de l'Assemblée nationale.

Cette notion d'"exception agricole", également appelée "exception agriculturelle", fait référence au fameux principe d'"exception culturelle". "Sans nier la dimension économique de la culture, l'exception culturelle vise à reconnaître et protéger sa dimension éthique, politique et sociale, qui en fait l'un des fondements de la dignité humaine", rappelait en 2013 le rapport de Pierre Lescure consacré à ce sujet (en PDF). En clair, il s'agit "de ne pas abandonner les productions culturelles aux seules lois du marché, de l'offre et de la demande, mais au contraire encourager leur diversité par un système de subventions et de réglementations", résumait à l'époque Télérama.

L'idée d'une '"exception agricole" n'est pas nouvelle. Le syndicat Coordination rurale dit la défendre depuis vingt-cinq ans. "A l'image de la culture, l'agriculture est une activité économique si vitale qu'elle nécessite d'être protégée du libre-échange", écrit sur son site cette organisation positionnée généralement à droite de la FNSEA, le syndicat professionnel majoritaire du secteur agricole en France.

La Confédération paysanne, classée à gauche, plaide également pour une protection de l'agriculture face au marché. Sans utiliser les expressions "exception agricole" ou "exception agriculturelle", elle demande "l'arrêt des accords de libre-échange et la suspension immédiate de toutes les négociations" autour d'autres traités, visant notamment le très décrié accord avec le Mercosur.

Du RN à LFI, une remise en cause des "logiques libérales"

Dans la classe politique, l'idée était jusqu'à présent surtout relayée par les oppositions. "L'agriculture doit être exclue des traités de libre-échange", plaidait en 2019 Jordan Bardella. Un principe qu'il martèle à nouveau depuis le début de la crise des agriculteurs. Le président du Rassemblement national a également joué sur la fibre identitaire dans une lettre ouverte publiée lundi (en PDF). L'agriculture "est le cœur battant de la France, elle est une part inestimable de notre identité nationale, écrit-il à l'attention des agriculteurs. Le combat que vous menez n'est pas seulement celui d'une profession, d'une corporation, mais celui d'un pays tout entier ; un pays qui entend vivre dignement sur sa terre et de sa terre."

De l'autre côté du spectre politique, le député LFI François Ruffin défend également l'exception agriculturelle, pour éviter le dumping social lié aux accords commerciaux. "On peut considérer que nos terres, nos sols, nos assiettes, que nos paysans sont une chose assez importante pour qu'on les sorte des accords de libre-échange, pour qu'on les sorte de la valse des cours mondiaux", a-t-il notamment déclaré au micro de Sud Radio le 24 janvier, comme il l'avait fait sur les réseaux sociaux deux jours auparavant.

A gauche toujours, les sénateurs du groupe CRCE (à majorité communiste) ont affirmé "proposer depuis longtemps de sortir des logiques libérales pour instaurer une exception agricole". Pour eux, "les biens et services qui visent à assurer nos besoins alimentaires doivent être soustraits du jeu du marché".

Le gouvernement exclut une sortie des accords

Au sein de la majorité, "le président de la République a toujours défendu l'exception agricole française", a assuré Prisca Thévenot, le 28 janvier dans "Dimanche en politique", sur France 3. Pour le prouver, la porte-parole du gouvernement a mis en avant les lois Egalim, censées garantir un revenu fixe aux agriculteurs et éleveurs français.

Mais quelle "exception agricole" le Premier ministre envisage-t-il exactement ? Quelle différence avec celle revendiquée par les oppositions ? Au lendemain du discours de Gabriel Attal, le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a fermement exclu mercredi un abandon des accords commerciaux : "Sortir des accords de libre-échange, c'est la mort de l'agriculture française, a-t-il affirmé sur Sud Radio. La France n'est pas une puissance agricole autarcique qui vient juste couvrir ses besoins, donc on a besoin d'accords", a-t-il argué. Citant plusieurs exemples, le ministre a notamment souligné que les accords avec le Japon permettent d'avoir avec ce pays "plus de 200 millions d'euros d'exportations supplémentaires pour les produits agricoles français".

Même son de cloche du côté de Bruno Le Maire. "Quand nous négocions l'accord avec le Canada, cela permet d'augmenter de 46% les exportations de vins, de spiritueux et de fromages vers ce pays", a fait valoir le ministre de l'Economie mercredi sur CNews, excluant là aussi toute sortie des accords. "J'entends tous ces ignares de la vie économique qui disent que le libre-échange est terrible. Qu'ils aillent le dire dans une ferme", a -t-il lancé.

Plutôt qu'un simple arrêt des accords, le gouvernement plaide pour en négocier de meilleurs, pour qu'ils soient plus "équilibrés", selon Marc Fesneau.

"On a besoin d'accords de libre-échange qui soient loyaux, y compris sur la question environnementale."

Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture

sur Sud Radio

Cette dimension d'équilibre dans les traités commerciaux se retrouve dans le refus d'Emmanuel Macron de soutenir l'accord avec le Mercosur. Le président de la République doit d'ailleurs en parler jeudi avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Alors que des pays comme l'Allemagne sont favorables à ce traité, la France s'y oppose et justifie son refus par l'existence de "règles qui ne sont pas homogènes avec les nôtres". "Si on n'obtient pas ce que nous voulons, c'est-à-dire des clauses de respect et de réciprocité sur les pratiques agricoles, il n'y a pas d'accord du Mercosur. C'est ça, la position française", a résumé Marc Fesneau.

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